Bohemian Rhapsody : un biopic aseptisé

Le biopic « Bohemian Rhapsody » consacré à Freddie Mercury sort ce mercredi 31 octobre. [Extrait/Bryan Singer]

Teasé en long et en large depuis l’annonce du casting jusqu’aux images promotionnelles diffusées au compte-gouttes, le biopic consacré à Freddie Mercury, et plus généralement à l’épopée des reines britanniques, sort ce mercredi 31 octobre. Bryan Singer – largué pour la postproduction – raconte le parcours de Farrokh Bulsara alias Freddie de manière lisse et paresseuse. Il en résulte un film sans prise de risque “stempelisé” « biopic » duquel – en se mentant peut être à soi-même  – on espérait davantage.

L’inscription du film dans le genre très en vogue du biopic permettait peu de marge de manœuvre à une œuvre conforme et en bonne et due forme manœuvrée par un Bryan Singer (Ennemi Public, la saga X-men) remplacé par Dexter Fletcher suite à des accusations pour abus sexuels. Néanmoins, une lueur, un doute renfermait le mince espoir d’apercevoir une sortie de piste et quelques prises de risques. Autant le dire tout de suite, ces expectations seront rapidement déçues. L’avouer si rapidement, c’est évidemment faire preuve d’une honnêteté sans faille, tuer dans l’œuf toute échappatoire. Pour une propre défense, cela est également rendre hommage au film, qui procède de la même manière. Malgré une durée qui dépasse allégrement les deux heures, tout soubresaut s’évapore rapidement, sinon brutalement. La première séquence du film est en effet consacrée aux coulisses du concert Live Aid donné le 13 juillet 1985 auquel Queen participe aux côtés de Bob Dylan, The Who, Elton John ou encore Sting. Autrement dit, une fois n’est pas coutume, c’est un flashforward qui inaugure le film. Cet usage cloisonnera et guidera l’entier du récit puisqu’il inscrit le film dans une logique classique pour le genre, à savoir de (dé)montrer le parcours fulgurant d’un homme, celui de Freddie Mercury, de son emploi de bagagiste jusqu’à ce qui est présenté, par le discours du film, comme le point culminant de sa carrière – et de celle de Queen – au Wembley Stadium. Ainsi, lors de ce plan séquence où la caméra suit Freddie Mercury (Rami Malek) des backstages jusqu’à la scène, c’est toute la structure du récit qui se déroule sous nos yeux, un moule net et précis qui n’échappera que rarement à sa logique implacable, celle qui ramène tout à une ligne droite, d’un point A à un point B.

Écrire la légende

Le film s’applique alors à poser des jalons, moments clés de la vie du compositeur de « I Was Born to Love You » : la rencontre avec les membres du groupe Smile, son mariage, les enregistrements avec les contraintes des maisons d’édition – avec tous les clichés que cela peut engendrer – la chute, l’isolement puis la maladie, avant le retour sur scène. Parallèlement, toute l’histoire des membres du groupe se dessine en creux. Plus étrangement, cette histoire qui devrait être secondaire, background à la trame principale, vient en fait se plaquer à cette dernière : ainsi, Mercury est tributaire de Brian May, Roger Taylor et John Deacon. Seule la période d’isolement orchestrée par Paul Prenter (Allen Leech) octroie à cet incroyable destin une once d’autonomie, évidemment néfaste. Bohemian Rapsody n’est pas tant l’histoire d’un homme qu’un prétexte à la sanctification d’un groupe. Celle-ci passe par les longues séquences performatives amorcées par les enregistrements studio dans lesquels le processus de création des plus gros titres du groupe est mis en scène jusqu’à culminer en live : reconstitution de la foule, costumes, jeu d’acteur de Rami Malek époustouflant (incroyable dans son rôle, tout comme sa capacité à s’extraire de son image de geek souffrant de psychose dans Mr. Robot). Autre problème du film, lors de la reconstitution en temps réel du set donné dans le cadre de Live Aid. L’utilisation du montage alterné entre la prestation du groupe et les locaux d’appels des dons suggère que Queen est non seulement à l’origine du boom de la récolte des fonds destinés à lutter contre la famine en Éthiopie mais également que leur prestation a permis aux organisateurs d’atteindre leur objectif en termes de gains. On comprend mieux pourquoi le film a été porté contre vents et marées par les deux membres restants du groupe : écrire sa légende de son vivant plutôt que laisser la postérité s’en charger, c’est prendre son destin en main.

Bohemian Rhapsody n’est pas un mauvais film mais il reste, malgré la performance de son acteur principal, attendu et sans aucune surprise dans sa réalisation. Il excelle, par exemple, dans son rapport au réel. [Extrait/Bryan Singer]

Bohemian Rhapsody n’est pas un mauvais film mais il reste, malgré la performance de son acteur principal, attendu et sans aucune surprise dans sa réalisation. Il excelle, par exemple, dans son rapport au réel. Il suffit de visionner la captation vidéo de Live Aid pour se rendre compte que chaque détail, qu’il s’agisse de la reconstitution de la scène, de la gestuelle de Mercury comme du placement des caméras est en tout point similaire à la réalité. Une prouesse mimétique qui laisse pantois : qu’est-ce que la fiction dit-elle vraiment de l’homme hors normes ? Reste tout de même ce plan, alors que le groupe se dispute dans la maison de campagne au sein de laquelle il enregistre l’album At Night at the Opera : Mercury sort pour fumer sa clope, observe l’horizon. La caméra bascule alors en vue subjective et panote de gauche à droite, avant de se fixer sur une motte de terre en friche. Au plan suivant, l’artiste est au piano et compose ce qui deviendra « Bohemian Rhapsody ». Sans aucun doute, l’hommage le plus vibrant à la mémoire du grand Freddie.