« Faire comprendre aux gens que la musique est un vrai métier »

Adriano Koch fêtera le vernissage de son premier album Leap au cinéma CityClub de Pully le 27 septembre. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Il ne joue pas du piano debout, ce qui ne l’empêche pas d’être libre. Alors que bon nombre de musiciens profitent de la période estivale pour se produire dans les festivals avant de prendre quelques jours de congés, en voilà un qui n’a pas savouré le même genre d’été. Adriano Koch l’a consacré à finaliser la sortie de son premier album solo : Leap. Un saut dans le vide, vers l’inconnu ? Pas tout à fait pour ce jeune pianiste lausannois, derrière les compositions de Fabe Gryphin. Avant le vernissage de Leap le 27 septembre prochain au Cinéma CityClub à Pully, nous avons rencontré l’artiste qui allie savamment son savoir-faire de claviériste à des résonances multiples.

Vernissage de l'album “Leap” d'Adriano Koch
27 septembre au cinéma CityClub de Pully
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Suivre son instinct, sortir des sentiers battus, s’engager corps et âme dans sa voie. Telle pourrait être la trajectoire d’Adriano Koch. Pourtant, il est loin d’avoir atteint l’âge de contempler le chemin parcouru. Il n’a pas encore fêté son vingtième anniversaire ce qui ne l’a pas empêché d’abandonner ses études gymnasiales pour se lancer pleinement dans la musique. Formé à l’École de Jazz et de Musique Actuelle (EJMA) en plein cœur du quartier du Flon, Adriano Koch est un autodidacte dans le business musical : il gère sa carrière, se débrouillant pour récolter fonds, booker les salles de concerts, solliciter les médias… sans oublier l’essentiel : composer. Comète naissante, sous ses airs réservés, le pianiste est un créateur d’ambiance prenant un parti pris étonnant : donner naissance à un espace de rencontre entre le piano et l’électro. Le piano acoustique s’élève, simultanément aux douces éructations de la console et de ses sons électroniques voluptueux. Une invitation à dépasser les attentes et les préjugés de styles trop souvent considéré à deux extrêmes.

« En fait, j’étais un peu tiraillé entre deux mondes : celui de la musique électronique et celui du jazz, du piano solo acoustique. Comme je n’arrivais pas du tout à me décider, je les ai rassemblés pour créer quelque chose qui me plaise, sans avoir à choisir entre l’un ou l’autre. »

Adriano Koch, pianiste suisse

Nous approchons le jour de sortie de Leap, ton premier album solo. Comment as-tu vécu le processus de création de ce premier opus à ton nom ?

Pour moi, cet album est une grosse étape. Il y a quelques années, j’ai décidé de tout quitter pour me lancer dans la musique. J’ai arrêté le gymnase, je suis parti de chez mes parents et je me suis lancé en indépendant pour tenter d’essayer de vivre de la musique. Actuellement, je donne des cours pour subvenir à mes besoins et aussi parce que j’adore enseigner. Cet album, c’est deux ans de travail, deux ans de recherche d’un projet. Quand je suis parti, je savais que je voulais vivre de la musique, j’avais quelques projets qui gravitaient mais je n’avais rien de vraiment précis qui me convainquait. En fait, j’étais un peu tiraillé entre deux mondes : celui de la musique électronique et celui du jazz, du piano solo acoustique. Comme je n’arrivais pas du tout à me décider, je les ai rassemblés pour créer quelque chose qui me plaise, sans avoir à choisir entre l’un ou l’autre. Sinon je le vis très bien, j’ai fait un crowdfunding pour financer l’album. C’était aussi intéressant dans le processus parce qu’il s’agit d’un album autoproduit : j’ai d’abord enregistré en studio professionnel et après toute la production des images, la cover de l’album, ou le son je m’en occupé. D’une part, par souci de finance et d’autre part, pour mon premier album, j’avais envie de le faire. C’est peut-être moins « pro » que du travail professionnel mais il y a ce côté plus authentique. Quand je compose, je vois le travail fini et j’ai de la peine à l’exprimer à des professionnels qui travaillent le son. Vu que c’est un premier album et que je n’en suis qu’à mes débuts, à mon sens, c’était le moment pour faire cette expérience parce qu’après ce sera surement plus difficile à faire.

Tu es passé par un financement participatif pour produire cet album. De nos jours, est-ce un passage obligé pour les jeunes artistes ?

Je pense que c’est un passage obligé parce qu’il n’y a que des avantages à faire un crowdfunding. D’une part, tu reçois des finances qui te permettent de réaliser un projet, d’autre part c’est un outil marketing assez fou : s’il est bien utilisé, cela permet aux gens de te rencontrer par le biais de cette plateforme… et aussi parce que tu as une raison de bombarder de la pub pendant un mois et demi! [Rires] C’est important, des gens ont rencontré le projet et ils ne l’auraient pas forcément vu sans le crowdfunding.

Tu n’as pas encore 20 ans et pourtant tu parviens déjà à vivre de la musique, que tu enseignes également. Est-ce que cette autonomie était un rêve pour toi ?

Depuis l’enfance, je savais que je voulais en faire mon métier. Même avant que je prenne des cours, c’était vraiment gravé dans ma tête. Je n’ai jamais changé d’avis. J’avais envie de ce métier, d’être intermittent du spectacle mais pas seulement. J’ai toujours eu envie de vivre d’un projet, qu’il s’agisse du mien ou d’un projet commun. Faire quelque chose qui me plaît vraiment, pas simplement être ce qu’on appelle sideman. J’avais besoin de mon identité, qu’elle me rapporte de l’argent et que j’y investisse 100% de mon temps. Donc oui, j’ai toujours rêvé de cela.

En tant que pianiste solo mais aussi par ton jeune âge, tu peux avoir une image d’un jeune prodige du clavier. Tu étais d’ailleurs sur la scène du Music in the Park au Montreux Jazz Festival alors que tu n’avais que 11 ans. Est-ce que le fait de coupler le piano à l’électro te permets de casser cette posture lisse ?

Un des moteurs de ce projet, c’est de rassembler les gens et de casser les images qui appartiennent à chaque style. Pour le piano solo, il y a cette image que je ne dirais pas lisse mais plutôt comme quand tu vas voir un piano sol: si on te propose d’aller voir un concert, tu vas voir un récital de piano. Il y a ce côté un peu vieillot, un peu pompeux… Moi, j’adore voir des récitals mais il y a cette image que j’ai envie de changer. J’ai envie que des gens qui n’écoutent généralement pas des musiques plus classiques, acoustiques ou instrumentales le fassent. Inversement, pour la musique électronique il y a ce cliché d’une musique très répétitive, très agressive au niveau des sons alors que comme dans tous types de musique, il y a tout type de chose : l’électro minimale extrêmement agressive moi, ce n’est pas celle-là qui me plaît. La musique électronique basée sur les sons, avec une recherche tellement évoluée et des ambiances magnifiques, c’est cela qui m’intéresse… des artistes comme Jon Hopkins, si je devais n’en citer qu’un. Il prend des sons de partout, il sample plein de choses et crée des univers incroyables. J’ai envie que les jeunes et les gens qui écoutent de la musique électronique rencontrent la musique acoustique et inversement

« Par rapport à Leap, j’ai justement envie d’un mélange pas seulement électro et musique acoustique mais de tous les styles que j’ai pu écouter. Actuellement, nous sommes en train de vivre une époque où ce sont les mélanges musicaux qui font que ce qu’on écoute est intéressant. »

Adriano Koch, pianiste suisse

Couverture de Leap d’Adriano Koch [2018]

La pochette de Leap suggère que cet album est un grand pas dans ta vie de musicien, mais aussi que le chemin reste à faire… On t’y voit à vélo de dos, sur une route qui marque la frontière entre un univers urbain et de l’autre côté, une atmosphère festive. Faut-il comprendre que tu te trouves à la croisée de deux chemins ?

Je pense que c’est une très bonne analyse! Effectivement, je suis au tout début de ce que j’ai envie de faire. C’est la première fois dans ma vie où je me sens être sur une route qui donnera je ne sais quoi dans le futur. C’est ma route. J’ai eu beaucoup de difficultés. Maintenant, j’y mets plus de temps et je commence à gagner de l’argent avec. J’étais tiraillé par le fait de suivre un chemin « normal », même si je n’aime pas ce mot : suivre des études ou me lancer dans ce que j’aime. Je crois vraiment que les études, ce n’était pas du tout fait pour moi.

Sur la pochette de Leap, on peut lire cette phrase : « No I mean, what’s your real job ». Tu peux nous en dire plus ?

C’est une phrase qui revient très souvent quand on est artiste. Si je fais un concert de piano, les gens me demandent ce que je fais dans la vie et quand je réponds que je fais de la musique, on me demande quel est mon vrai métier. C’est ce que j’ai envie de changer. Si je suis parti de chez moi, c’est aussi parce que j’avais envie de faire de la musique ma vie et ce n’était pas toujours forcément possible. J’ai rencontré des gens qui n’étaient pas forcément d’accord avec cela et qui auraient eu ce genre de discours. J’ai envie de le combattre et de faire comprendre aux gens que c’est un vrai métier. On ne se rend pas compte que derrière un musicien qui joue sur scène, il y a 70% de travail administratif. Trouver des fonds, des salles de concerts, des articles… trouver un million de choses, monter une sorte de mini-entreprise car c’est de l’entreprenariat au final. J’ai envie que les gens comprennent cela; c’était un petit clin d’œil d’une phrase qui m’a marqué dans le passé.

J’ai évoqué l’électro précédemment mais ta musique s’inspire également du jazz, de la pop-électro ou encore de la musique du Moyen-Orient. Outre les grandes références telles que Avishai Cohen, qu’est-ce qui t’as inspiré pour cet album, qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?

Dans l’électro, il y a Jon Hopkins, c’est ma principale référence. Mais c’est assez frais dans le sens où cela fait seulement deux ans que je me suis lancé dans la musique électronique et que j’en écoute beaucoup. Au niveau de la musique jazz, ce qui m’a le plus marqué c’est Tigran Hamasyan, un pianiste arménien qui a su associer des musiques traditionnelles et sacrées au jazz mais pas seulement. Ce que j’aime chez cet artiste, c’est ce qu’il mêle le métal au classique et c’est pour moi un des artistes qui mélange le plus de genres tout en créant quelque chose de cohérent. Par rapport à Leap, j’ai justement envie d’un mélange pas seulement électro et musique acoustique mais de tous les styles que j’ai pu écouter. Actuellement, nous sommes en train de vivre une époque où ce sont les mélanges musicaux qui font que ce qu’on écoute est intéressant. Après, Shai Maestro dans le même genre aussi. Sinon Moderat dans les groupes électro ou encore Jack Garratt, James Blake et Bon Iver plus dans la pop.

Écouter: I Shoud Have Run, Adriano Koch

Au-delà de ton statut de musicien, tu t’intéresses aussi aux images. Avec Jaya Mongodi, tu as réalisé le clip de I Should Have Run, premier extrait de ton album. Ton travail de compositeur implique-t-il une dimension visuelle ?

Cela fait plusieurs années que je fais des vidéos pour mes projets, par exemple avec Fabe Gryphin on a fait quelques vidéos ensemble. J’ai un peu découvert ce monde de l’image que j’aime beaucoup. C’est un monde qui rassemble vraiment tous les sens: dans la vidéo il y a la musique, l’image… c’est très complet. Je ne suis pas un pro mais à nouveau, le cheminement d’un processus artistique qui est authentique, cela passe par réaliser des images de mes morceaux. Je ne le ferai pas tout le temps, je pense que quand mon projet grandira je prendrai un professionnel mais pour l’instant cela me plaît beaucoup. Quand je compose, à force de faire des vidéos, je vois une atmosphère, je l’entends: cela peut être des souvenirs. Je vois beaucoup de choses, des images que j’aurais envie de shooter plus tard. Donc oui, c’est une dimension très présente.

Tu as composé et tu joues également avec Fabe Gryphin. Malgré le lancement de ta carrière solo, tu vas continuer à y participer ?

Pour l’instant, il y a moins de travail que pour mon projet. Je suis compositeur-interprète avec lui, c’est un grand ami et on a beaucoup de plaisir à composer ensemble et à créer. On vient de sortir un EP qui a été vernis aux Docks [ndlr, il s’agit de PAIN]. On a quelques dates mais on ne répète pas toutes les semaines. On se voit pour les événements important, et le suivant sera surement en lien avec le prochain album. Donc c’est moins demandant et c’est un projet que j’adore. Cela fait déjà trois ans que j’y participe et je vais continuer.

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« Le 20 octobre, [je joue] au Piano Im Pool à Lucerne, dans une piscine olympique qui va être vidée, la scène se trouvera dans la piscine. Cela va être intéressant de voir comment se mêlent les sonorités très électroniques avec une acoustique que je n’ai jamais testée. »

Adriano Koch, pianiste suisse

Après la sortie de ton album, comment vas-tu organiser ton planning ? Tu as des concerts prévus pour l’automne ?

Après le vernissage du 27 septembre, il y a une tournée de 7 dates. Le 28 septembre aux Duke’s Bar, le 29 septembre à la Parenthèse, le 20 octobre au Piano Im Pool à Lucerne qui sera assez spécial. C’est une piscine olympique qui va être vidée, la scène se trouvera dans la piscine. Cela va être intéressant de voir comment se mêlent les sonorités très électroniques avec une acoustique que je n’ai jamais testée. Cela va être assez unique de s’y confronter. Le 7 octobre au Théâtre de la Voirie à Pully et le 10 novembre au JazzOnze + à Lausanne.