Dans le hall de leurs bureaux flambant neufs, Gabriel Lignières, entraîneur du Servette Rugby Club nous reçoit à un peu plus d’une semaine du premier match de la saison face à Genève Plan-les-Ouates lors du Trophée des Champions Naxoo, samedi 1er septembre au Stade de Genève. Il faut le dire, le club Grenat accoste dans une nouvelle dimension, se faufile dans une nouvelle division qui s’érige en principale sélection purgatoriale des Fédérales. L’échelon reste régional, mais le niveau bascule inéluctablement dans une réalité supérieure. « On passe un palier », assure alors le manager sportif principal du club.
Ce sera un retour à la réalité après le titre de Champions de France cueilli à Moulins le 24 juin dernier. Le Servette Rugby Club va devoir revenir au jeu, au cru de la compétition en championnat contre des équipes réputées supérieures et d’autant plus aguerries à la mesure de l’adversité. Mais les Grenat ont longuement démontré avoir bâti les bases nécessaires pour parvenir à se glisser parmi les meilleures équipes de leur classe. Depuis le départ de Guillaume Boussès de la Praille à l’aube de la Promotion Honneur, le club a su conserver son esprit et son dessein de promotion continu. On croyait il y a un an encore, pourtant, que l’expérience d’un ancien professionnel issu d’Oyonnax en Top 14 permettrait au club de passer un cap dans son évolution et c’est vrai. Sous l’ère Boussès, Servette a certainement gagné une mise en expertise tactique et technique sur le vert de la Praille mais il manquait sans doute encore une âme d’équipe, un dépassement continu dans la douleur et la persévérance. Aussi, depuis son titre en 2015 à Labarthe-sur-Lèze, plus jamais le club n’avait réussi à dominer la concurrence en championnat de France, preuve que l’aventure n’était pas encore pleinement vécue. « Le championnat de France, c’est vraiment une aventure! » assure alors Gabriel Lignières avant de poursuivre: « C’est vraiment la période de l’année où l’équipe a la chance de se découvrir. C’est une période très courte mais durant laquelle l’on se voit plus que tout le reste de l’année. À chaque fois, on part le samedi matin et on revient le dimanche soir; 48 heures de vie commune qui rendent toute l’intensité des émotions. » Après deux ans de demi-échecs dans les affrontements directs – deux éliminations avant les quarts de finale –, le collectif a pourtant trouvé le juste équilibre en 2018, grâce notamment à l’apport de son entraîneur Gabriel Lignières. Passée la tactique sur le terrain, c’est avant tout un esprit de groupe que l’ancien joueur formé au Sporting Club Mazamétain a su inculquer. « Je n’ai rien inventé au niveau du rugby mais j’ai peut-être (ré)inventé la mentalité propre du sportif. La jeu tactique et la stratégie ne servent à rien si l’on n’a pas construit un groupe avant. Il faut une équipe avant de jouer; il faut s’amuser avant de jouer. »
« Nous nous basons sur un management participatif, où chacun fait confiance à l’autre. Tant qu’il n’y a pas de contrat pro, l’on ne peut pas forcer les joueurs à être toujours présents. Or, à Servette, tout le monde s’entend très bien que l’équilibre est parfaitement trouvé. »
Gabriel Lignières, manager sportif principal du Servette Rugby Club
Et cela, est-il vrai, est d’autant plus estimable pour des joueurs qui ne sont pas encore liés par des contrats professionnels avec le club Grenat. Cela implique de nombreux ajustements, pas nécessairement administratifs, mais surtout mentaux et psychologiques. Aussi, l’équilibre du sportif, prétendant d’élite, veut sans doute convenir dans un cadre d’entraînement où l’attention semble lui être porté de manière bien assurée, où celui-ci se sent porté par une inertie de groupe conciliatrice et lénitive. Derrière leur famille et leur emploi, subsistent bien cette mission et cette force communes assouvies et délivrées sur le terrain et d’autant plus cadrée par un staff bienveillant dans l’exigence. « Il est clair que chacun a sa famille et son travail à côté mais il est aussi vrai que chacun a envie de se retrouver à l’entraînement pour puiser dans une force qui n’est pas évidente », détaille alors Gabriel Lignières avant de continuer: « Nous nous basons sur un management participatif, où chacun fait confiance à l’autre. Tant qu’il n’y a pas de contrat pro, l’on ne peut pas forcer les joueurs à être toujours présents. Or, à Servette, tout le monde s’entend très bien que l’équilibre est parfaitement trouvé. » Aussi, cet équilibre ne se fige pas dans le statu quo, chaque saison trouvant son renfort parmi l’aide assurée de grands hommes du rugby français et européen. Des hommes de confiance, certainement et d’expérience, toujours.

Gabriel Lignières, la convivialité cadrée
C’est l’image du sportif accompli qui séduit Gabriel Lignières. Triompher est parfois si libérateur qu’il n’en faut jamais exagérer à l’heure des festivités. Dans sa manière de concevoir le sport, l’entraîneur du Servette Rugby Club ne fait aucune concession sur l’excès; l’exemplarité faisant toujours foi dans l’image du parfait rugbyman. Et que l’on soit amateur, cela n’y change rien. « Je ne parle pas beaucoup, en réalité, avec mon groupe. J’essaie d’être proche, tout en étant distant. Je les aime bien mais je ne suis pas leur copain », aiguillonnait-il alors. L’ambiance, dans le club, reste celle des juniors, où la bâtisse entière a lentement pris forme dans la difficulté et l’abnégation. C’est toujours l’envie de grandir, progresser et mûrir qui prévaut dans les esprits du contingent genevois. Et, dans les faits, l’arrivée il y a un an de l’ancien talonneur de Mazamet, sélectionné en équipe d’Espagne à son temps de joueur, a concrétisé l’osmose des tous les esprits au sein du club. Un peu vacillant après de la défaite devant l’US Pays de Gex en octobre 2017 (13-8), le collectif a dû sans autre retrouver du mordant, de l’entrain et du courage, jusqu’à la finale du Comité du Lyonnais – remportée 36-26 à Roanne – puis au plus profond des travées du Championnat de France. Nul doute que l’apprentissage fut vif et perçant pour Gabriel Lignières, qui avoue avoir réalisé « en 8, 10 mois, un travail de cohésion de 10 ans ». Dans les faits, en terme de cohésion, de l’effort fourni et des résultats accomplis, l’entraîneur servettien a indéniablement connu plus qu’une promotion, son expérience à la barre de l’effectif Grenat ayant bondi par mesure d’exception: « J’ai eu tous les scénarios en une année d’entraînement à Servette. J’ai pris 10 ans d’expérience en quelques mois. Je dois avouer que deux titres pour une première en tant qu’entraîneur principal est très prometteur. » Mais cela est dû aussi par le travail de raison porté par les joueurs, n’omet-il pas de préciser alors.
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« Tout ce que j’ai vécu l’année passée, je le dois aussi aux joueurs. Ils ont fait montre d’un comportement exemplaire », ouvrait-il alors. Dans ses souvenirs, il est vrai, plusieurs matches ont marqué son esprit – outre bien évidemment les finales remportées à Roanne et Moulins. « Nous avons connu des matches formateurs, face à Gex lors de la saison régulière, face à Annemasse aux 1/32e de finale du championnat de France – parce que les derbies sont toujours plus délicats à aborder – et surtout face à Pont du Casse en demi-finales que je considère être le meilleur match de la saison [ndlr, score final 22-14]. » L’aboutissement de ces rencontres a de fait offert de spectaculaires précédents, aussi parce que cela fait longtemps que le groupe, en l’état, prépare sa promotion vers les divisions fédérales. « Cela fait depuis janvier [2018] que l’on prépare la saison qui arrive, que l’on anticipe le niveau des équipes que nous irons affronter. Être promus en Pré-Fédérales est indubitablement un nouveau palier et cela peut véritablement donner un nouvel élan », ajuste alors Gabriel Lignières. Pourtant, nouvelle recrue de l’effectif servettien, Kenji Caprice garde un optimisme bien visé. « Cela m’étonnerait, sur le papier, que l’on ne soit pas promus cette année, même si sur un match, en finale, tout peut arriver. Très sincèrement, le véritablement saut de niveau aura lieu plus tard; logiquement, le gap sera entre les Pré-Fédérales et les Fédérales », affirme alors l’ancien troisième ligne de Genève Plan-les-Ouates.
« Le cadre et le staff est très expérimenté. Mais au-delà de cela, tout est fait pour que l’on soit dans un cocon. C’est magique et je pense qu’il n’y a pas d’autres clubs en France [au niveau Pré-Fédéral] qui peuvent vanter une telle infrastructure. »
Kenji Caprice, troisième ligne du Servette Rugby Club
« En ce qui concerne nos possibilités de promotion en Fédérales, nous aurons le temps d’en reparler en janvier, lorsque nous aurons de meilleures informations sur notre état de forme et sur celui de nos adversaires », temporisait alors Gabriel Lignières. Il semble clair que le manager principal des équipes Grenat souhaite observer la situation de façon plus posée. Cela dit, le staff n’a pas manqué de se renforcer, parallèlement à un contingent comptant 17 nouvelles arrivées. Depuis le titre au Championnat de France de Promotion Honneur, deux hommes d’expériences sont par ailleurs arrivés au Stade de Genève. Il y a d’abord Didier Drif, une connaissance du rugby interdépartemental d’Auvergne. Ancien préparateur physique et entraîneur des 3/4 à La Motte-Servolex – club du championnat régional, échelon inférieur aux Pré-Fédérales –, le Chambérien de 39 ans, passionné de sport, a terminé l’ensemble de ses activités fin juin 2018 – il était notamment entraîneur des gardiens de hockey sur glace au Stade olympique de Chambéry (SOC) – pour prêter main forte au club Grenat. Il est arrivé (pratiquement) en même temps que Lee Eldridge, un Londonien issu de l’Université St. Mary’s à Twickenham et ancien préparateur de la condition physique aux clubs de rugby de Blackheath et London Welsh, où il est resté presque six ans, de 2010 à 2016. Il faut dire que l’homme est qualifié et fin connaisseur de la condition physique dans le sport de haut niveau. À Londres, il était bien l’homme de référence pour la une des Welsh où il a notamment bâti son entière carrière dans le coaching sportif, accrédité de l’UKSCA (UK Strength and Conditioning Association). Dès lors, établi à Genève depuis février 2016, il n’a eu aucun mal à prêter ses connaissances et son expérience au profit de Servette. « C’est un joueur qui m’a convaincu de l’appeler – assure Gabriel Lignières – et le fait qu’il habite à Genève est très pratique. Mais au-delà de cela, c’est aussi un enjeu sécuritaire d’arriver aux matches avec des joueurs qui soient bien préparés physiquement. » Et à en croire certains nouveaux arrivés, il s’agit aussi d’un confort digne des plus grands complexes sportifs; un staff aguerri apparaît pour beaucoup comme un indissociable mur de soutènement à la condition et aux performances des joueurs. « Le cadre et le staff est très expérimenté, avec Gabriel Lignières, Christian Bel et désormais aussi Lee Eldridge », consent alors Kenji Caprice avant de poursuivre: « Mais au-delà de ça, tout est fait pour que l’on soit dans un cocon. C’est magique et je pense qu’il n’y a pas d’autres clubs en France [au niveau Pré-Fédéral] qui peuvent vanter une telle infrastructure. C’est un rêve de jouer à Servette qui va finalement devenir réalité. Et il faut dire que lors de notre stage à Tignes, nous étions vraiment dans un fauteuil. »

Trois jours de stage en altitude à Tignes
« Il existe vraiment une différence d’attentes à Servette, par rapport à ce que l’on peut voir en Suisse mais aussi à d’autres clubs français du même niveau, voire un peu supérieurs », relate Kenji Caprice, ancien centre du Paris Université Club en Fédérale 2 et du RC Genève Plan-les-Ouates. « On voit bien qu’ils ont vraiment envie de taper dans le professionnel et qu’ils se mettent dans des conditions pro et semi-pros, même à l’entraînement. » Le rythme est en effet des plus élevés au rapport avec les autres clubs de la ville de Genève. « Il existe des différences structurelles entre la Suisse et la France », observe alors Gabriel Lignières qui également été joueur au RC Nyon par le passé. « L’on produit chez nous [à Servette] un travail beaucoup plus régulier, dû aussi aux exigences du calendrier. Nous n’observons pratiquement aucune pause en hiver – le championnat a lieu d’août à fin juin sans véritable interruption – et l’on y retrouve des philosophies de jeu bien diverses. » Il est vrai, qu’avec un mois de pause octroyé tout au long du mois de juillet et un rythme imprimé de trois séances d’entraînement par semaine, l’exigence des Pré-Fédérales apparaît d’autant plus notoire. Une aspiration qui définit parfaitement également les envies et ambitions du club Grenat. « Même en Fédérales en France, je n’avais pas un cadre comme celui-ci. L’on est dans une autre dimension qu’en Suisse. Ici, nous sommes vraiment au-dessus. À Servette, les dirigeants mettent toutes les chances de leurs côtés pour parvenir à leurs ambitions; tout le monde espère sans vraiment le dire d’atteindre un jour le Top 14 », souligne alors Kenji Caprice. « Selon moi, Servette a un niveau de jeu proche des Fédérales 2 ou 1 sans problème. » Preuve d’une certitude acérée qui s’est notamment affinée lors du stage interdisciplinaire de Tignes ce dernier week-end du mois d’août. Partis en groupe dans les Alpes françaises du Val d’Isère, à plus de 1’400 mètres d’altitude, les joueurs de l’Académie (U16 et U18) ainsi que l’équipe sénior ont partagé des moments de liesse et de promiscuité, immergés dans un projet qui les concerne tous.
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« Cela faisait depuis deux semaines, depuis que j’ai intégré le groupe, que j’attendais ce week-end de cohésion à Tignes! », assure alors à son retour lundi après-midi Kenji Caprice. « Et je suis surpris parce que je ne m’attendais pas à un accueil comme celui-ci. J’ai vraiment été très bien accueilli par le club et cela fait d’autant plus plaisir de partager leur même réalité. » Il faut dire que l’écart de dimension avec la saison passée est d’autant plus visible à la taille de l’effectif servettien. Réduit à un groupe de 45 joueurs pour deux équipes (réserve et première) après l’intersaison passée, le club a souhaité réagir au lendemain du titre de Champions de France. Au-delà du déficit numérique, deux raisons sont venues étayer les choix des supérieurs Grenat selon Gabriel Lignières: « Il nous fallait absolument déterminer un plan de succession. Nous voulons donner la chance aussi à des jeunes joueurs à très fort potentiel dans la région. Puis, il nous était également viable de déterminer une certaine concurrence dans les rangs et pour chaque poste. Personne ne doit pouvoir se reposer sur ses performances car le danger, après une belle aventure [ndlr, celle du championnat de France] est que l’on ne reprenne plus avec le même sérieux la suite des opérations. » Autrement dit, dès les premiers instants, le manager principal du club souhaitait susciter un intransigeant mais juste retour à la réalité. Une nécessaire mise au vert à l’annonce d’une période de transferts marquée par 17 nouvelles arrivées!
« Il y a les nouveaux arrivés, les plus jeunes, les plus expérimentés mais il y a aussi des cadres. Jonathan Torossian, Dylan Dene et Maxime Tognon sont trois joueurs qui sont présents depuis le tout début »
Gabriel Lignières, manager sportif principal du Servette Rugby Club
« 17 nouveaux joueurs, c’est énorme. Il faut vraiment trouver sa place dans un effectif relevé. Mais il y a eu des signes positifs à Tignes. J’ai vraiment eu l’impression de faire déjà pleinement partie du groupe », constatait alors encore Kenji Caprice. Voilà qui rassure alors que le stage en altitude – le tout premier réalisé depuis la naissance du club en 2014 – souhaitait pleinement regrouper tous les membres du club dans un même environnement. « Le but est bien de créer une famille, tant du point de vue administratif que sportif. Nous voulons uniformiser la formation, utiliser le même “langage” entre nous », assurait pour sa part Gabriel Lignières. Dans un contingent très fourni, il existe dès lors une convergence de différentes individualités et de personnalités fort variées. Avec 17 nouveaux noms, tous entre les 19 et 23 ans, il est dès lors d’autant plus utile de cadrer l’effectif, entendez par là qu’il faille compter aussi sur la présence de cadres d’importance au sein même des joueurs. Et Servette les détient depuis les premières heures de la naissance du club. « Il y a les nouveaux arrivés, les plus jeunes, les plus expérimentés mais il y a aussi des cadres – consent alors Gabriel Lignières – Jonathan Torossian, Dylan Dene et Maxime Tognon sont trois joueurs qui sont présents depuis le tout début. » Trois joueurs qui seront portés tout du moins par un rôle de communication, de transmission: « Il nous faut dès lors observer sur le terrain s’il se crée une force collective, cela est d’autant plus important dans les clubs amateurs. C’est un facteur de prédominance. C’est pourquoi il est nécessaire de compter toujours sur des éléments d’expérience. Les joueurs sont tous munis d’un devoir; ils arrivent, s’intègrent puis transmettent. C’est pourquoi il y a toujours un large pan d’incertitude lors des premiers matches de chaque saison. Il faut indéniablement passer ce cap avant d’analyser la situation qui sera celle de l’équipe. » Et cela ne change rien de compter plus particulièrement sur des renforts dotés d’une certaine bouteille, tous doivent trouver leurs marques dans l’économie générale de l’équipe. Parmi ceux-ci, par ailleurs, figurent plusieurs connaissances du rugby suisse. En provenance de Genève Plan-les-Ouates – au-delà de Kenji Caprice –, arrive également l’arrière et buteur Léo Bel. Accompagnent également sur la liste des arrivées l’ouvreur de l’Équipe de Suisse Julien Gros (en provenance de l’US Bourg-en-Bresse en Fédérale 1 avec le numéro 10), Mathis Cavoret, fils de l’ancien entraîneur servettien Didier Cavoret (une proche connaissance du club) ainsi que William Goodwin en provenance de Chambéry (également en Fédérale 1). Une pression certaine portée sur les épaules de ces nouveaux joueurs ? « Je ne pense pas », assure alors Gabriel Lignières avant de conclure: « L’effectif est solide et le seul qui a la pression, c’est moi. Il est toujours plus facile d’être joueur qu’entraîneur principal dans un club à ambition comme celui de Servette. »