Du Tollcross International Swimming Centre, Glasgow (Écosse)
En quelques minutes, l’Italie a bondi dans une nouvelle dimension. En cinq finales, la délégation azzurra a débusqué trois médailles d’or et deux en bronze. Du jamais vu dans l’histoire de la natation italienne. Avec Piero Codia (sur 100 mètres papillon), Simona Quadarella (400 mètres nage libre) et Margherita Panziera (200 mètres dos), la fédération italienne peut se féliciter d’une belle troisième place au classement des médailles en natation (22 médailles totalisées, dont 6 en or). Seules la Russie et la Grande-Bretagne font mieux.
Simona Quadarella s’y attendait, tout de même. L’air de rien, la Romaine de 19 ans sait depuis le premier jour de compétition être entrée dans la cour des grands, dans le Hall of Fame des champions européens. Sortie du bassin du Tollcross International Swimming Centre, l’air joyeux, elle ne manquera pas longtemps pour tomber dans les bras de son entraîneur Christian Minotti qui l’aura vu grandir, s’élever en championne tout du long des sept jours de compétition à Glasgow. « Elle a assurément grandie, une évolution exponentielle tant du point de vue de la concentration que dans la détermination », avoue ce dernier, coudoyé par la presse italienne en zone mixte. « Elle est encore assurément jeune, avec beaucoup de marge mais l’évolution est flagrante. » Elle n’a versé aucune larme, contrairement à l’avant-veille, sortie victorieuse déjà des 1500 mètres face à la concurrence de l’Allemande Sarah Köhler et de la Hongroise Ajna Kesely. Ce jeudi après-midi, néanmoins, Simona avait fait un bond supplémentaire dans la gestion des ses émotions, elle a gagné l’aura des championnes, devenue insensible au titre, le regard toujours porté vers le haut. Lors de sa finale, sur ses 400 mètres nage libre – un demi-fond qu’elle ne semblait pas maîtriser de pied en cap comme les 800 mètres de son titre inaugural vendredi à Glasgow –, elle est partie doucement, ménagée, libérée de toute pression insolente. Elle a contrôlé son retard – car elle en avait à la place jusqu’aux 350 mètres – tout en s’imposant sans concession au prix d’un fantastique finish. « Je dois avouer que les derniers 50 mètres de course ont été incroyables. Je voyais que j’étais un peu derrière [ndlr, entre la quatrième et la cinquième place intermédiaire] et j’ai fait simplement ce que je savais faire », aiguillonnait alors la fraîche championne d’Europe. Dans l’eau, elle avait pourtant passé la première transition à la sixième place, en 29”15, mesurant un déficit de plus de six dixième de son adversaire Kesely. La Hongroise avait par ailleurs passé la quasi totalité de la course en tête, faiblissant uniquement dans les derniers 35 mètres pour concéder 22” à l’Italienne au toucher. Kesely n’aura faibli, en réalité, qu’en mesure de conséquence, puisqu’elle démarque son ancien record d’Europe junior pour l’améliorer de plus de deux secondes, en 4’03”57, preuve d’une course d’exception.
« Nous avons fait un grandissime bond en avant; trois médailles remportées ainsi, c’est extraordinaire. Elle s’est conduite en championne, avec un calme déconcertant »
Christian Minotti, entraîneur de Simona Quadarella
Avoir la résistance nécessaire pour s’aligner sur les 800 mètres, puis les 1500m quelques jours plus tard témoignait d’une gestion parfaite de ses propres potentialités. Simona Quadarella est repartie au Tollcross le cœur léger ce jeudi matin. Les 400 mètres en nage libre auraient pu lui servir de discipline accessoire – et elle l’était jusqu’à la finale de l’après-midi – mais l’Italienne a encore une fois prouvé avoir les ressources pour s’aligner également sur le demi-fond. Elle avait déjà établie une course satisfaisante en qualifications, détaillant le quatrième temps des séries en 4’09”97. Un temps qui se serait bien évidemment avéré insuffisant pour venir décrocher un podium sur une finale européenne. Mais dans les faits, la Romaine s’est passablement cachée le matin, assurant sa qualification derrière l’Allemande Sarah Köhler et la Hongroise Ajna Kesely (premier temps en 4’08”77). Et, bien connu, une finale offre souvent le restant de motivation nécessaire aux exploits. « Les deux derniers jours, j’ai de plus en plus pris conscience que l’exploit était possible, je ne m’y attendais toutefois pas », lâchait-elle alors après son troisième titre à Glasgow. « Nous avons fait un grandissime bond en avant; trois médailles remportées ainsi, c’est extraordinaire. Elle s’est conduite en championne, avec un calme déconcertant. Aux séries, nous nous étions même cachés de toute stratégie, aussi parce la fatigue a joué un coup », ponctuait également son entraîneur à l’accent romain Christian Minotti, qui entrevoit déjà la suite; aux Mondiaux de Gwangju (Corée du Sud) en 2019, avant les Jeux Olympiques de 2020 à Tokyo.
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À la lutte contre Katie Ledecky en 2019
« Je ne pense pas qu’elle va changer », ponctue encore le coach de 38 ans. Il existe le risque, somme toute, d’un relâchement relatif à une prise de conscience pour la jeune fille d’être entrée parmi les meilleurs éléments continentaux sur les longues distances. Un risque que les meilleurs éléments s’empressent rapidement de balayer d’un sec revers de main. « C’est une fille qui doit continuer à garder les pieds sur terre et moi aussi. Nous devons à chaque fois repartir au travail et chaque saison, l’on repart à zéro. Nous irons de l’avant ainsi jusqu’à Tokyo. » Mais il faut dire que la prestation sur les 400 mètres nage libre est le fruit d’un travail extraordinaire et résultante d’une prestation de fort grande classe. « Cette médaille est d’autant plus impressionnante que je savais la victoire se jouer sur un chrono proche de 4”04 », aiguillonnait alors Christian Minotti avant de poursuivre: « Mais parvenir à descendre encore en-dessous, en 4’03”3 témoigne d’une course de très haut niveau. Cela nous donne d’autant plus d’informations sur nos prochaines courses de 800 et 1500 mètres. Elle a prouvé ne pas avoir besoin d’attendre les autres filles pour s’échapper. » Autrement dit, Simona Quadarella peut se permettre de partir seule, sans avoir peur de finir seule (en tête).
« J’étais venue pour gagner les 1500m et visais un podium sur les 800m. Je repars avec trois médailles d’or. Je n’ai aucune limite et je me rends compte que j’arrive toujours à me surpasser »
Simona Quadarella, championne d’Europe des 400m, 800m et 1500 mètres en nage libre
Mieux, la jeune championne de 19 ans se rend compte n’avoir aucune limite; ce qui est bien évidemment rassurant pour son très jeune âge, mais qui laisse surtout prédisposer une lutte sensationnelle entre la l’Italienne et la triple tenante du record du monde américaine Katie Ledecky. La native de Washington détient, il est vrai, la meilleure marque de tous les temps sur 1500m (15’20”48), 800m (8’04”79) et 400 mètres en nage libre (3’56”46). Des temps sur lesquels la Romaine ne peut encore pleinement surfer. Mais là n’est pas non plus l’objectif; battre l’Américaine serait déjà sans doute suffisant pour se hisser sur la première marche du podium en Corée du Sud, puis au Japon. Et ses trois médailles d’or à Glasgow sont immanquablement les rampes de lancement utiles à sa progression. « J’étais venue pour gagner les 1500m et visais un podium sur les 800m. Je repars avec trois médailles d’or. Je n’ai aucune limite et je me rends compte que j’arrive toujours à me surpasser. Je ne pensais par ailleurs ne pas être capable de débusquer un temps en 4’03, surtout après une semaine de compétition, desquels, au-delà de la fatigue, l’on est soumis à une perte de concentration, surtout après deux médailles d’or consécutives », lâchait-elle alors en zone mixte jeudi après-midi après sa finale.
« Maintenant, je sais que je peux travailler sur les trois distances, et pourquoi pas me mettre en tête de m’aligner sur les 200 mètres. Avec 4’03 sur 400m, il me serait envisageable de réaliser un très bon 200m »
Simona Quadarella, championne d’Europe des 400m, 800m et 1500 mètres en nage libre
Katie Ledecky domine ses sujets, c’est une certitude. Mais sa force est d’autant plus grande que son champ de connaissance est très varié et large, du sprint (désormais) – comme Federica Pellegrini qui a terminé 5e européenne du 100 mètres nage libre mercredi après-midi – jusqu’au fond. Désormais, voilà Simon Quadarella prendre le même chemin, de l’éclectisme non sans mesure de certitude. « Je me suis découvert des qualités que je ne pensais pas avoir, j’ai toujours su que les 400 mètres étaient une distance qui m’était difficile, toujours très rapide par rapport aux 800 et 1500 mètres. Pour être honnête, je n’ai jamais su comment l’interpréter. Maintenant, je sais que je peux travailler sur les trois distances, et pourquoi pas me mettre en tête de m’aligner sur les 200 mètres. Avec un 4’03 sur 400m, il me serait envisageable de réaliser un très bon 200m », avouait-elle alors, à l’image de son aînée Federica Pellegrini. « Je ne sens vraiment pas le besoin de tirer des parallèles avec elle – assurait-elle ensuite avant de poursuivre – C’est une très grande athlète qui a tellement gagné et qui est très loin encore de ce que j’ai pu accomplir sur la scène internationale. Je m’y approche mais je dois encore accomplir énormément pour m’approcher de son palmarès. » Quadarella et son entraîneur le savent également: le travail sera de grande intensité si la jeune championne rêve d’or mondial ou olympique. « Nous connaissons la concurrence qui est celle des plateaux internationaux, avec Katie Ledecky. Mais nous essayons et essaierons toujours de nous approcher de ses performances. Peut-être qu’elle faiblira un jour », concluait alors Christian Minotti, qui reprendra les entraînement dès septembre prochain. En attendant, Simona Quadarella peut partir en vacances, le cœur léger mais le cou appesanti de trois médailles d’or. Le tout, en continuant de rêver, bien sûr.
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L’Italien Piero Codia en or sur 100 mètres papillon, Cseh 8e
La grande surprise de l’après-midi, jeudi, au Tollcross International Swimming Centre de Glasgow est venue de cet autre Italien, Piero Codia (28 ans de Trieste). Il s’est adjugé en 50”64 – nouveau record des Championnats d’Europe – le titre sur 100 mètres papillon où la concurrence fut rude avec la présence, notamment, des Hongrois Kristof Milak et Laszlo Cseh et du Britannique James Guy. Finalement, l’or a échappé à tout le monde, grâce à une impressionnante chevauchée du Triestin sur ses derniers 50 mètres. « Je suis ému. Je fais toujours des petits pas, année après année. Je n’ai jamais vraiment réalisé d’exploits. Et je dois dire que cette médaille est d’autant plus importante. Celle de Copenhague [ndlr, aux Européens en petit bassin, en décembre 2017, où il a décroché l’argent sur 100 mètres papillon] était déjà fondamentale dans ma préparation pour Glasgow. Nous avons travaillé depuis avril et j’étais déjà heureux d’avoir accompli ma qualification pour ces Championnats d’Europe. C’est un rêve que de recevoir l’or aujourd’hui, parce que personne ne peut s’attendre de le remporter », avouait-il alors en zone mixte jeudi après-midi.
« Mes derniers 50 mètres étaient étranges, pas aussi bien qu’hier. Mais cela n’a aucune importance maintenant, les 100 mètres papillon n’étaient pas ma distance de prédilection dans ces Européens »
Laszlo Cseh, 8e du 100m papillon
Pourtant parti du couloir latéral, Piero Codia fait désormais partie du cercle fermé de nageurs en Italie ayant réussi à nager la double traversée en papillon en moins de 51 secondes. Il est devenu un champion mondial, lui aussi. Ceci dit, malgré l’excitation, le jeune homme a gardé un calme froid en zone mixte: « Je suis quelqu’un qui ne rit pas beaucoup. Je préfère garder mon calme en toute circonstances. » Sur la même longueur d’onde, la médaille en moins, le Hongrois Laszlo Cseh a également commenté sa dernière place: « Mes derniers 50 mètres étaient étranges, pas aussi bien qu’hier. Mais cela n’a aucune importance maintenant, les 100 mètres papillon n’étaient pas ma distance de prédilection dans ces Européens. Je peux me tourner pour la prochaine année désormais. Je veux augmenter en puissance jusqu’aux JO de Tokyo. »