En première partie des intouchables Alice in Chains, le Kentucky était à l’honneur. On ne peut plus sobre, Emma Ruth Rundle est venue broyer du noir avec sa Dark folk. Malgré un public impatient et acquis à la cause des rois du grunge, la jeune chanteuse a su monopoliser l’attention du Montreux Jazz Lab. Entame de soirée lynchéenne en perspective.
Lorsqu’elle s’engage sur la scène du Lab, une envie pressante de serrer les dents nous saisit. Peur rationnelle : sommes-nous au bon endroit ? Bien que la tête d’affiche annonce une performance acoustique, la silhouette d’Emma Ruth a comme un goût amer. Ère du soupçon. S’agirait-il d’un énième avatar de cette pop-folk servie à tort et à travers, prêt à faire écran en remplissant le rôle ingrat de chauffeur de salle ? Discrète et masquée sous une longue frange, Ruth articule un quasi inaudible « bonjour ». Pourtant, il ne nous faudra seulement quelques secondes afin de dissiper tout malentendu : le doute qui nous avait brusquement envahi s’évapore dès les premières secondes. Sous ses airs de jeune fille intimidée, la native de L.A est loin d’être une débutante. Elle débute avec le groupe indu Nocturnes avec qui elle sortira trois albums entre 2008 et 2011 auxquels il faut ajouter une contribution chez les Red Sparowes en 2011 sur The Fear Is Excruciating. But Therein Lies the Answer. Projet initialement lancé par Bryant Clifford Meyer et Jeff Caxide, tous deux guitaristes chez Isis, la formation post-rock, hébergée sur le label de Neurosis (il faut dire que Clifford sait faire fructifier ses relations ; il s’occupe des visuels du groupe de metal éponyme). Sans compter la participation fugace de Toshi Kasai (ingé de Melvins et Tool). Enfin, c’est avec ses compères Greg Burns et Dave Clifford qu’elle prend de la hauteur, toujours dans la veine post-rock, avec la fondation de Marriages dont elle est la voix : un album studio et un EP plus tard, c’est seule qu’elle se lance. D’abord avec Electric Guitar: One puis Some Heavy Ocean, Marked for Death et The Time Between Us chez Sargant House. Ces albums valent la peine d’être cités, de par la trajectoire qu’ils impliquent dans l’évolution de l’artiste : des ambiances lancinantes du ambiant / drone à des sonorités plus folks et plus noires, contribuant aussi à une charge émotionnelle d’avantage présente dans ses titres.
« Quelqu’un m’a traité de hippie ? »
Quelque part entre Joan Baez et feue Dolores O’Riordan, Emma prend ses responsabilités : accompagnée de sa guitare, elle tiendra en haleine son public pendant 45 minutes. D’un calme remarquable, alors même que quelques impatients haussent de la voix pour invoquer Jerry Cantrell et sa bande, l’ex Red Sparrows ne se démonte pas : « Quelqu’un m’a traité de hippie ? » lance-t-elle à ses détracteurs. Faisant preuve d’une maîtrise vocale remarquable notre artiste seule en scène en impose. Elle sait dresser son public, par sa présence scénique et l’atmosphère angoissante qu’elle instaure lors de l’entame de ses titres. Emma se plaît à entraîner son public dans cette noirceur magnifique, le cueille en début de piste lorsqu’elle susurre des paroles à son micro, comme lorsqu’elle monte en puissance, sans pour autant faire preuve de démonstration forcée. Minimaliste sur scène comme dans ses chansons, Ruth se dépouille de tout ornement pour viser juste. Une justesse d’autant plus réelle qu’elle allie le fond et la forme : son dernier album en date, Marked for Death en est la preuve. Sans aucun doute, il s’agit de l’album le plus investi par l’artiste. Marquant un tournant dans sa vie personnelle, il se fait l’étendard de sa transformation, dans une honnêteté dépouillée. D’une profondeur émotionnelle touchant par la sincérité que Ruth dégage, la track d’ouverture de l’album, Marked for Death, permet d’évoquer des thèmes personnels comme ses dépendances, tout en évitant les écueils habituels. En première partie des mastodontes de Alice in Chains, Emma Ruth Rundle a su s’imposer avec l’essentiel et conquérir un public qui n’allait pas être charmé par défaut. Si bien nommé, son prochain album On Dark Horses est annoncé pour la rentrée. Le titre “Fever Dreams”, qui nous a été présenté en avant-première s’annonce comme une chevauchée vers une renaissance. Renaissance encodée dans son précèdent album, dépositaire d’un passage vers de nouveaux horizons, présent sur le titre Hand of God : « I wish the Hand of God / Would cover the faces and cover the traces / Of lovers lost / I wear the colors of Babylon / Into a world, dressed as the girl I know is gone ». Frange, timide, puissance, seule et guitare, tu m’as appelée hippie.