Le Qatarien Abderrahman Samba aux portes du record du monde

Stade Charléty, Paris
Stade de la Pontaise, Lausanne

En courant à nouveau les 400 mètres haies en moins de 48 secondes à Athletissima (47”42), le Qatari Abderrahman Samba n’aura pas encore effacé Kevin Young des tablettes mais aura à nouveau démontré sa pleine autorité sur la discipline. Le jeune athlète de 22 ans est fin prêt pour les Jeux d’Asie du 22 au 29 août à Jakarta en Indonésie, où il sera bien évidemment le grand favori sur l’épreuve.

En sortant du stade Sébastien Charléty, dans le 14e arrondissement de Paris, le Qatarien Abderrahman Samba avait le souffle coupé, étranglé par un mélange de chaleur, humidité et surtout d’émotion vive. Le grand homme de l’athlétisme actuellement reste le souffle coupé, yeux dissimulés derrière une paire de lunettes de soleil teintées noires. Le Mauritanien, né en Arabie Saoudite – ayant ensuite choisi de représenter les couleurs du Qatar depuis le 6 mai 2015 –, venait de couper la ligne d’arrivée de son 400 mètres haies à seulement deux dixièmes du record du monde de l’Américain Kevin Young (46”78 depuis les JO de Barcelone en 1992).

Immanquablement, c’est une grandissime épopée pour l’athlétisme du Qatar, lequel compte deux athlètes désormais aux portes du panthéon mondial, les records du monde étant très fortement menacés sur la piste, mais aussi sur la hauteur avec Mutaz Essa Barshim (lequel n’a jamais été très loin des 2,45 mètres de Javier Sotomayor, détenus depuis le 27 juillet 1993 à Salamanque). Deux records du monde qui avancent en âge mais qui marquent le sceau d’une légende prête à la réécriture. Abderrahman Samba est indéniablement l’auteur programmé d’une nouvelle histoire, d’un nouvel apologue dont l’instruction morale est essentiellement fondée sur le mérite de la persévérance.

Une stratégie de course rôdée

La marque de Young est à portée de jambes, seul un coup du destin (des conditions de courses optimales et une course propre du départ jusqu’à l’arrivée) manque encore à son exploit. « Je viens toujours plus près du record du monde, je sais que je peux courir encore plus vite cette saison et que je peux ramener le record du monde chez moi, inch’Allah. Le futur me sourira sans doute mais j’ai aussi envie de prendre les étapes, les unes après les autres », évoquait alors le starter qatarien à Paris il y a quelques jours. Pour l’heure, il reste néanmoins invaincu cette année, sept victoires en sept courses après avoir établi un nouveau grand chrono sur le cendré du stade de la Pontaise à Lausanne, en 47”42, sa troisième meilleure marque en carrière. « C’est un très bon sentiment que j’ai après cette course, c’est tout simplement magique d’être parvenu à descendre à nouveau en-dessous des 48 secondes, lâchait alors Samba en zone mixte. C’était une course difficile, d’autant plus que je suis parti plus vite que d’habitude. Quand les genoux commencent à tomber, il faut se battre à chaque foulée pour maintenir une bonne vitesse de course. Je travaille toujours très dur pour parvenir à mes objectifs et le record du monde en est clairement un pour moi. »

Il faut dire que la stratégie de course du Qatarien est particulièrement rodée; il part à l’économie sur les 300 premiers mètres avant de se relâcher sur les derniers 100. À Lausanne, il est pourtant parti plus rapidement qu’à Paris, quitte à connaître quelques difficultés majeures sur la dernière ligne droite. Mais pas de quoi alarmer, le Qatarien a une nouvelle fois animé le stade au prix d’un fantastique finish. Peut-on s’attendre de lui de tester une autre stratégie, partir plus rapidement qu’à l’accoutumée ? « Je garde la stratégie qui est la mienne, annonçait-il déjà la veille. Beaucoup d’athlètes font différemment et ont du mal ensuite à terminer leurs courses. Un jour peut-être, je changerai mais pas maintenant. » C’est par ailleurs une qualité reconnue par ses compères. « Abderrahman est un excellent finisseur, il faut le reconnaître », avouait alors déjà à Paris le champion du monde 2017 Karsten Warholm.

« Il faut une course concurrentielle pour pouvoir établir des chronos rapides. J’ai vraiment envie de devenir l’homme le plus rapide au monde. J’ai progressé dans ma technique l’année dernière et qui sait, peut-être que tout viendra plus vite que prévu »

Abderrahman Samba, meilleur performeur mondial de l’année sur 400 mètres haies

À 22 ans, Abderrahman Samba est devenu l’un des athlètes les plus en vogue cette année sur le circuit. Après une année 2017 marquée par une erreur fatale sur la dernière haie en finale du 400 mètres haies des Championnats du Monde de Londres (où il termina 7e), le Qatarien s’est repris de toute désillusion, entamant la nouvelle année en constante progression. Sur sa première course à Potchefstroom, en Afrique du Sud le 19 avril dernier, il donnait déjà la mesure, en 47”90. Un temps en-dessous des 48 secondes qui témoin d’une préparation intense, rugueuse mais favorablement porteuse au plus près de son entraîneur Sud-Africain Hennie Kotze qu’il a rencontré en 2016 lorsque celui-ci était venu en voyage dans le Moyen-Orient.

C’est d’ailleurs quelques mois après les Mondiaux de Londres que les entraînements ont pris un nouveau souffle, au Qatar dès novembre, puis à Pretoria dès les premières semaines de 2018. Des sessions intenses qui l’ont porté à changer également régulièrement de cadre, l’amenant à la course au printemps en Europe, en Turquie et à Valence, avant le retour sur les pistes pour sa première Diamond League à Doha. « Je suis très heureux de mon état physique actuellement et la concurrence favorise les chronos rapides. J’ai vraiment envie de devenir l’homme le plus rapide au monde. J’ai progressé dans ma technique l’année dernière et qui sait, peut-être que tout viendra plus vite que prévu, je peux gagner encore une seconde l’année prochaine. »

Abderrahman Samba avait réussi un très grand coup samedi soir au Meeting de Paris à Charléty en devenant seulement le deuxième homme à courir les 400 mètres haies en moins de 47 secondes. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Paris]

Sambacill, Samba do Catar

De Paris à Lausanne, de Charléty à la Pontaise, « les deux courses sont très rapprochées, ce qui ne permet aucun, ou très peu d’ajustements techniques entre temps », lâchait en conférence de presse à Lausanne le vainqueur de la Diamond League 2017 Kyron McMaster. Il faut dire que l’athlète des îles Vierges britanniques est celui qui a eu besoin de plus de temps et de mise en jambes ces derniers temps, sortant d’une blessure datant de sa course à Doha le 4 mai dernier. Il est revenu sur les pistes à Charléty, où il a terminé deuxième derrière le Qatarien, avant d’abandonner la course à Lausanne. Les deux plateaux ont, de plus, offert une concurrence similaire, dans des conditions légèrement moins chaudes mais aussi plus venteuses. Cela n’a pourtant rien changé aux attentes d’Abderrahman Samba. En France, il a atteint un tel niveau de course que l’inertie le porterait à continuer sur la même lancée en Suisse.

C’est ce qu’il a fait en s’abaissant à nouveau sous la barre des 48 secondes. « Depuis deux saisons que je cours, je sens que je vais dans la juste direction. Et ces temps, je ne peux qu’être ravi de mes performances, confiait-il alors au stade Charléty. [À Paris], je ne [m’étais] pas entraîné particulièrement pour établir un tel temps, et pour descendre au-dessous des 47 secondes. D’autant plus, qu’au départ j’ai commis une erreur sur ma première foulée, j’ai perdu mon équilibre après la première haie. » À Lausanne, il avait même précisé avoir mal négocié la dernière haie sur sa course en capitale française. Cela laisse imaginer la marge de progression restante pour le reste de la saison. « Quand on fait des erreurs, l’on a toujours envie de faire mieux. »

« La qualité des 400 mètres haies en ce moment est presque insensée. Rarement l’on finit deuxième d’une course quand l’on parvient à descendre au-dessous des 48 secondes »

Karsten Warholm, champion du monde 2017 à Londres sur 400 mètres haies

Les performances du jeune athlète qui autrefois, représentait la Mauritanie, la patrie de son père, sont les parfaits témoins d’une discipline en profonde mutation. « La qualité des 400 mètres haies en ce moment est presque insensée. Rarement l’on finit deuxième d’une course quand l’on parvient à descendre au-dessous des 48 secondes », lâchait jeudi soir à Lausanne le champion du monde Karsten Warholm. Il faut dire que ce dernier, qui reste le premier Norvégien à remporter une médaille d’or mondiale sur les pistes depuis Ingrid Kristiansen en 1987, avait été le premier à redonner à la discipline une saveur particulière en abaissant son chrono personnel, l’année dernière à Oslo, à 48”25, un temps jugé excellent alors à deux mois de son sacre de Londres.

« Je travaille dur et je me présente en compétitions avec une détermination forte. Durant les courses, nous nous poussons tous les uns les autres et c’est ce qui favorise aussi le spectacle. C’est pourquoi je continuerai à courir le plus vite possible aux côtés de ces grands athlètes et l’on verra ensuite comment la saison finira. » Toujours est-il qu’avec Samba sur les pistes, les haies retrouvent un quelque chose de musical. «  J’aborde les haies comme une danse et j’espère que je continuerai toujours à danser! Les haies sont les notes de musique d’une belle partition. » En somme, l’air est bon tant qu’il reste crescendo.

La concurrence, dont faisait partie Karsten Warholm, n’a pas pu suivre le rythme. Le champion du monde norvégien est également parvenu à courir les 400m haies en moins de 48 secondes, mais cela n’a pas suffit pour l’emporter à Lausanne. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Un duel avec Benjamin Rai la saison prochaine?

Cette année, pourtant, Abderrahman Samba n’a pas été le seul à s’approcher des 47 secondes. Aux championnats universitaires américains, le 8 juin, c’est un autre phénomène, venu d’Antigua, Rai Benjamin (classe 1997) qui avait réussi ce qui était alors la meilleure performance mondiale de l’année en 47”02. À cet instant, la meilleure marque de Samba n’était que de 47”48, établis au Golden Gala de Rome. Puis sont venus les 47”41 de Stockholm, puis le Meeting de Paris.

Certains auront dit que le Qatarien a voulu répondre à Benjamin en abaissant le chrono en-dessous de 47 secondes ce dernier week-end à Charléty, mais toujours est-il, qu’en 2018, l’épreuve du tour de piste sur les haies aura permis de grands combats, comme rarement vu depuis plusieurs années. « Plus on a de concurrence, et plus on peut pousser nos corps. Il ne serait alors pas erroné de voir en mon chrono une belle réponse adressée à Benjamin et aux autres hurdlers du circuits, parmi les meilleurs », expliquait alors Abderrahman Samba à Ouchy. Toujours est-il que Rai Benjamin ne compte plus s’aligner sur les 400 mètres haies cette saison, au profit de distances plus courtes. « Je me sens extrêmement rapide cette saison et les 200 mètres me conviennent mieux, expliquait-il. J’ai réalisé une très longue saison universitaire, entre 20 et 25 courses. J’ai réussi les 47”02 en Oregon mais j’avais besoin de prendre un peu d’expérience internationale. J’avais besoin de m’éloigner un peu de ce circuit. Mais cela n’empêche que je suis de très près les performances de Samba, Warholm et les autres. Je suis sûr qu’il resteront tous aussi rapides la saison prochaine et que nous pourrons nous livrer à de grands duels. »

« Bien sûr que je prépare déjà les Mondiaux de l’année prochaine à Doha. J’ai hâte et ce serait magnifique de réussir un record du monde devant mon public en 2019 »

Abderrahman Samba, meilleur performeur mondial de l’année sur 400 mètres haies

L’année prochaine, justement, auront lieu les Championnats du Monde de Doha, en capitale qatarie. « J’ai hâte et ce serait magnifique de réussir un record du monde devant mon public en 2019 », s’empressa de répondre sur le sujet le hurdler national qatarien. Cela est d’autant plus marquant qu’au-delà de grandissimes possibilités de médailles, le Qatar pourrait être l’hôte de grands exploits sur la hauteur et les haies.

Depuis quelques années indéniablement, le Qatar a évolué sur le plan sportif, tant sur l’athlétisme que sur les autres sports de grande envergure à l’image du football, où aura également lieu la Coupe du Monde en 2022. Et les athlètes ressentent le tournant, comprennent la mutation engagée par la nation. C’est ce qui a notamment permis à Aderrahaman Samba de sentir le vent en sa faveur, notamment en représentant le Qatar, son pays d’adoption. Un changement de nationalité en 2015, mais aussi un changement de discipline dès 2017 qui tiennent par ailleurs du parfait secret de famille. « Sur mon passage des 400 mètres plat aux 400 mètres haies, je peux l’expliquer de manière synthétique. C’est en 2017 que j’ai commencé à m’aligner sur les haies après avoir observé une progression constante sur le flat. J’ai alors testé les haies à l’entraînement en Afrique du Sud et j’ai connu la même régularité, en passant notamment de 51” à moins de 47” cette année. Alors je me sentais prêt à m’inscrire sur les haies et je suis un hurdler convaincu désormais. » Quand au changement de nationalité ? « Un jour, je vous l’expliquerai. Peut-être », confiait-il alors plus réservé.

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