Du Stade Charléty, Paris (France)
Devant 16’535 spectateurs, le stade Charléty a vibré au rythme de “ses” Français. Il y eut le récital de Kevin Mayer au triathlon (saut en longueur, poids et 110m haies), il y eut la performance en demi-teinte de Renaud Lavillenie (5,84m) à la perche; sans jambes mais avec le plaisir de concourir dans “son” Meeting international de Paris, il y eut également Jimmy Vicaut, deuxième des 100m derrière l’intenable Américain Ronnie Baker, meilleure performance mondiale de l’année, et puis il y eut aussi Pierre-Ambroise Bosse. Le champion du monde des 800 mètres de Londres aura comme beaucoup, encore énormément d’ajustements pour tenir la distance. « Le Meeting de Paris laisse toujours un bon souvenir. Le public français est très gentil avec nous », confiait-il alors.
Pierre-Ambroise Bosse a 26 ans, son âge n’est pas anodin quand on en vient à penser la carrière surprenante que le jeune homme est en train de mener sur les pistes internationales. L’homme est parti de peu pour, un jour, se permettre de surprendre son monde… et le monde entier. Un soir d’août, en finale du 800 mètres mondial, il prend le risque qu’il devait prendre aux 550 mètres. Il lance une accélération spontanée et bien maîtrisée pour s’en aller tromper ses adversaires dès la ligne droite opposée et franchir la ligne d’arrivée à la stature d’un champion. Alors que concurrents et spécialistes le pensaient voir s’essouffler et s’arrêter avant le terme de la course, Pierre-Ambroise a tenu bon ses 800 longueurs. Un résultat insensé pour bon nombre, y compris Bosse lui-même, lequel n’espérait pas moindre miracle au départ de son demi-fond. En 1’44”67, il avait pris la mesure de la classe planétaire en capitale anglaise, sans vraiment y croire; aussi car avec son tout premier grand titre international, le garçon est devenu grand. Et puis, il faut dire qu’il ne partait de loin pas favori, réduit par quelques pépins physiques avant la finale de la discipline, preuve étant faite que rien ne l’arrête. Le Nantais courait même avec des douleurs vives aux ischio-jambiers lors de sa demi-finale, où il risqua véritablement d’échouer. Ne reste que le jeune homme a le mental d’un grand fondeur, alliant sourire et bonne humeur avec un zèle grandiose d’athlète confirmé.
« J’ai réalisé une course que j’analyse moyenne. Un 800 mètres, c’est sur 800 mètres, et non sur 700. Il me manque encore un petit peu de travail. Je me pensais meilleur que je ne l’étais aujourd’hui »
Pierre-Ambroise Bosse, champion du monde des 800 mètres après le Meeting de Paris
Et la concurrence est rude en tous temps. Sans compter David Rudisha, recordman du monde aux Jeux Olympiques de Londres en 2012 (1’40”91), la classe africaine joue toujours les premiers rôles: les Kényans Kipyegon Bett, Michael Saruni, Jonathan Kitilit, Ferguson Rotich ou encore le Botswanais Bot Nijel Amos, vainqueur de la Diamond League en 2017, sont tous les noms qui retirent l’Europe des prouesses planétaires. Bosse fut la merveilleuse exception en 2017 mais son travail devra subir quelques opération de remise à niveau (encore) avant son prochain grand rendez-vous aux Européens de Berlin du 7 au 12 août prochains. S’il en a obtenu les minimas ce samedi soir au Meeting de Paris, au terme de trois courses disputées cette saison, le jeune homme sait que le niveau affiché n’est de loin pas optimal. Car s’il a travaillé durement ses départs, il attend encore beaucoup de son arrivée: « Je me suis senti ralentir à 690 mètres, il faut dire que c’est dur 100 mètres en extrême lactique. J’ai réalisé une course que j’analyse moyenne. Un 800 mètres, c’est sur 800 mètres, et non sur 700. Il me manque encore un petit peu de travail. Je me pensais meilleur que je ne l’étais aujourd’hui. J’ai peut-être eu un petit coup de chaud aussi, même si je considère que 35 degrés sont toujours mieux que 15, donc cela ne constituera pas une excuse valable. Ce sont les effets du jeu et l’on voit qu’il faut bien une demi-heure pour récupérer derrière. Donc cela m’a fait renouer avec l’assiduité du 800m, cela faisait longtemps que je ne l’avais pas eu, pas même à l’entraînement. Comme quoi, il n’y a vraiment que les courses pour cela. Toujours est-il que je reviens dans le jeu », affirmait alors le jeune homme en zone mixte à Charléty.
À Paris, une esquisse intéressante du niveau européen
À Paris, Bosse a terminé 7e en 1’45”19. Il n’en est pas très heureux, même si les minimas pour les Championnats d’Europe de cet été ont été assurés. « Je ne pensais pas galérer cette année pour les faire, je les ai trop côtoyés ce [samedi] soir, plus que prévu [ndlr, 1’45”50 établis par la Fédération Française d’Athlétisme]. C’était quand même assez chaud, mais heureusement, je suis du bon côté du bateau », assure-t-il alors à la presse au sortir de piste. Le jeune homme le savait par ailleurs; Paris tient est l’un des meetings les plus animés du circuit de la Diamond League. « C’est le genre de meeting où il ne faut pas avoir peur des accélérations. Il faut y démontrer audace et courage si l’on veut prétendre à la victoire. Et la course peut partir très vite », esquissait-il alors déjà la veille à l’hôtel Marriott de Rive Gauche, dans le 14e arrondissement de la capitale. « Et puis, il ne faut plus avoir peur des courses qui ne sont plus fluides. C’était le cas avec David Rudisha mais maintenant, ce n’est plus le cas. »
« Je me suis fait battre à plate couture sur les derniers mètres et cela veut dire qu’il faudra encore réaliser un grand travail en spécifique pour parvenir au meilleur niveau et tenir véritablement les 800 mètres »
Pierre-Ambroise Bosse, champion du monde des 800 mètres après le Meeting de Paris
D’autant plus que le Meeting de Paris a offert un avant-goût intéressant de la puissance attendue aux prochains Européens. Si l’on en retire les performances tout en sécurité des Kényans Rotich, Kitilit et Kipketer ou encore des Australiens Joseph Deng et Peter Bol, il reste une personnalité toute Européenne qui défie le palmarès: l’Espagnol Saúl Ordóñez, vainqueur à Huelva le 8 juin dernier et auteur de sa meilleure marque en carrière à Charléty (en 1’44”36). Européens peu nombreux à Paris et pourtant, il en faut peu pour mesurer toute la marge qu’il reste à Pierre-Ambroise Bosse en vue de Berlin. La concurrence sait par ailleurs parfaitement agir sur la préparation de chaque athlète et les individualités qui s’annoncent au portillon continental n’ont rien de talents fauchés, au contraire, ils ont minutieusement travaillé leur forme, avec un peu d’avance de surcroît. « C’est la deuxième fois qu’il [Ordóñez] me bat en deux courses. À moi de renverser la vapeur, j’ai deux mois pour le faire avant les championnats. Il est d’autant plus solide, il faut le dire. Ça fait deux fois qu’il donne une accélération forte sur la dernière ligne droite, et cela est d’autant plus dangereux pour nous. C’est un concurrent sérieux, je me suis fait battre à plate couture sur les derniers mètres et cela veut dire qu’il faudra encore réaliser un grand travail en spécifique pour parvenir au meilleur niveau et tenir véritablement les 800 mètres », concède Pierre-Ambroise avant de rappeler: « Si j’avais mieux géré ma course, j’aurais pu grappiller quelques places, mais la victoire m’était exclue et pourtant c’était mon objectif affiché ce soir. Ça donne une idée précise de ce qui nous attend en Allemagne. » Bosse le sait, ses adversaires préparent la riposte avant l’attaque et les résultats sont de grande augure pour nombreux athlètes du Vieux Continent, avec Marc Reuther, Amel Tuka, Andrew Osagie, sans compter le Polonais Adam Kszczot, qui a déjà aligné trois meetings de la Diamond League cette saison après Doha, Eugene et Rome. Son record saisonnier reste pourtant encore en retrait même si ses 1’46”12 établis Chorzów en Pologne lui témoignent d’une progression lente mais constante.
« La concurrence est rude et elle est passée aussi par Joseph Deng [ndlr, l’un des deux Australiens, avec Peter Bol, avec lesquels il s’entraîne], c’est dire s’ils arrivent dans le monde des grands rendez-vous, en Diamond League »
Pierre-Ambroise Bosse, champion du monde des 800 mètres après le Meeting de Paris
Et même si elle n’était, en grande partie, pas Européenne, la concurrence que Pierre-Ambroise Bosse a rencontrée à Charléty avait tout d’un parfait concours de prestige au niveau international. Le temps de référence s’est approché des 1’43 minute, sans pour autant casser la marque; pour y parvenir, il aurait, présomptueusement, fallu établir une marque de 50” secondes à mi-course (400m) et proche des 1’16” minute aux 600 mètres. Non pas que les marques en furent loin, mais l’épreuve a tenu un rythme haché du début jusqu’à la fin. Jackson Kivuva a passé en premier la marque aux 400m (en 50”11) avant d’abandonner, alors que Jonathan Kitilit avait pris la tête aux 600m (en 1’16”80). Des temps d’autant plus significatifs qu’ils quantifient la raison même des faiblesses de Pierre-Ambroise Bosse. Troisième jusqu’aux 700m, dans les temps serrés des Kényans, le Tricolore a perdu pied sur le dernier virage pour allonger son temps de plusieurs dixièmes. À 100 mètres du terme, il gagnait encore un dixième sur ses rivaux avant d’en concéder presque 15 sur la dernière ligne droite. Une immensité dans la précision d’une course en long sprint, d’autant plus que c’était cette même gestion des fins de course qui lui permit à plus d’un titre de trouver son premier titre mondial. « La concurrence est rude et elle est passée aussi par Joseph Deng [ndlr, l’un des deux Australiens, avec Peter Bol, avec lesquels il s’entraîne], c’est dire s’ils arrivent dans le monde des grands rendez-vous, en Diamond League. » L’épreuve du plateau international aura alors offert la jauge nécessaire à Pierre-Ambroise Bosse, dans une préparation qui manquait justement de compétition officielle après sa participation à La Norville le 19 mai et sa disqualification à Huelva le 8 juin.



« Je n’ai plus besoin de repères, plus besoin de me rassurer »
Le jeune homme a toutefois gagné en maturité et a grandi depuis son titre mondial à Londres. Il l’affirme, ce n’est plus le nombre de meetings, ni même les temps affichés qui le confortent désormais. Il sait que le travail s’affirme comme seul porteur de performances notoires, d’autant plus que remporter ses courses devient désormais une priorité dans la carrière du garçon, peu importe la valeur d’un chrono mauvais, moyen ou excellent. « J’ai besoin de sentir les bonnes opportunités avant de courir, de saisir les conditions climatiques et comment celles-ci vont influencer ma course. Il faut bien évidemment un concours de circonstances pour établir un record personnel mais le but premier est d’être le mieux placé dans toutes les courses que je courrai par le futur, sans forcément aller chercher le temps référence absolument », confiait-il alors la veille du Meeting à Paris. « Je préfère gagner en 1’45 que 3e en 1’43”50. » Cela est d’autant plus vrai qu’à Paris, le public porte davantage d’attention aux résultats qu’aux PB* ou SB**.
« Ce serait une suite prestigieuse et une belle continuité d’être sacré champion d’Europe. Ce serait une sorte de revanche après Amsterdam 2016 et Zürich 2014 »
Pierre-Ambroise Bosse, champion du monde des 800 mètres après le Meeting de Paris
Quoi qu’il en soit, le central reste l’objectif affiché d’une médaille d’or continentale aux prochains Européens de Berlin, et il y est évident de privilégier la performance plus que les références. « Ce serait une suite prestigieuse et une belle continuité d’être sacré champion d’Europe. Ce serait une sorte de revanche après Amsterdam 2016 et Zürich 2014 », préfigure-t-il alors, au souvenir des deux dernières éditions où il n’avait pas figuré sur le podium. Mais assure-t-il aussi, « il n’y a pas de pression supplémentaire liée à son titre de champion du monde fraîchement conquis. » Seuls l’occupent à présent, les compétitions. Peu alignés ces derniers mois en compétition officielle, en raison d’une blessure conséquente à une altercation survenue au tôt matin du 27 août dernier (4h00), visiblement assez longue de rétablissement, le formé du club d’athlétisme de Gujan-Mestras n’a toutefois pas manqué l’entraînement depuis la nouvelle année. Il est parti se ressourcer dix jours (seulement) à Agadir sur la côte atlantique sud du Maroc. « J’avais besoin d’une remise au vert, ce qui est parfait en cette période. J’ai l’habitude d’y aller quelques jours. J’y ai déjà commencé à travailler le spécifique et je monte en puissance depuis. Je n’ai plus de douleurs, aucune. Je peux dire que cette blessure est (presque) derrière moi. Disons plutôt que j’arrive m’en décharger quand je cours. », expliquait-il alors vendredi après-midi au Marriott Hôtel de Rive Gauche à Paris. Et s’il ne concoure que très peu ces derniers temps, il relativise: « Je n’ai plus vraiment besoin de repères, plus besoin de me rassurer énormément avant un grand championnat. C’est le moment présent qu’il faut être juste et fort. Je sais qu’avant, j’avais besoin de 20 courses pour me rassurer de ma forme, maintenant, j’arrive à passer outre. » Le Français a toutefois prévu de revenir à la course prochainement, au meeting de la Diamond League de Monaco le 20 juillet prochain, si ce n’est au meeting de Lucerne le 9 juillet prochain. Il rappelle d’ailleurs: « Tous les meetings sont importants pour nous. » Même si pour chacun, ils relèvent d’une importance aléatoirement relevée. Et puis, en somme, écoutez-le: « Je préfère être plus dans la peau d’un outsider que d’un favori. À chaque fois que j’étais favori, cela s’est pas toujours très bien passé. » Alors que le contraire trouve son exemple éloquent aux derniers Mondiaux de Londres. Que le futur lui sourie…
*PB, Personal Best. Signifie la meilleure performance en carrière d’un athlète.
**SB, Season Best. Signifie la meilleure performance durant la saison active d’un athlète.