En ce week-end de la mi-juin, le calendrier de l’athlétisme suisse connaîtra une nouvelle étape, au sein même de sa capitale fédérale. Le meeting CITIUS de Berne a vu le jour ce jeudi après-midi à l’occasion de sa conférence de presse d’ouverture en compagnie de quatre des meilleurs athlètes du pays, Julien Wanders, Alex Wilson, Lea Sprunger et surtout la locale de l’étape, la Bernoise Mujinga Kambundji. Cette première édition marquera aussi le retour de l’athlétisme international à Berne, après plus de 29 ans d’attente. Un événement d’importance pour la ville, tout autant que pour bon nombre d’athlètes prêts à se mesurer à la concurrence de la piste de Wankdorf. Pour les Romands Lea Sprunger et le fondeur Julien Wanders, leur participation leur constitueront de test sur des disciplines de mesure (le relai 4x400m pour la Nyonnaise et les 1500m pour le Genevois, spécialiste des 5000, 10’000 mètres et du semi-marathon). Quant aux Alémaniques Mujinga Kambundji et Alex Wilson, ils auront l’occasion de se confronter à une concurrence certaine sur leurs disciplines de prédilection (les 100m pour la Bernoise et les 200m pour le Bâlois).
Cela faisait depuis 1989 que la capitale fédérale n’avait plus son meeting d’athlétisme, un paradoxe d’autant plus grand que Berne est à équidistance des deux meetings de Diamond League de Lausanne et Zürich. C’est la route incontournable, un point de rencontre évident entre tous les athlètes du pays qu’ils n’omettent jamais de retrouver. Mais depuis près de trois décennies, il n’y avait plus de rendez-vous fédérateur entre ces derniers, sur la piste de Wankdorf, le Stade de Suisse ayant littéralement mangé l’attractivité de ce coin d’athlétisme oublié. Six jeunes, entre les 19 et 29 ans, tous passionnés d’athlétisme et eux-même athlètes encore en activité, ont tenté avec persévérance de renouer avec la tradition en proposant une offre internationale à l’athlétisme bernois, une nouvelle pointure dont l’appui organisationnel n’a jamais omis les succès de ses prédécesseurs tout en lui adjoignant son versant nécessaire d’innovation. La dernière édition d’ARENA – il y a 29 ans donc – avait réuni pas moins de 6’500 spectateurs aux abords du stade de Wankdorf, preuve que le berceau est prospère. D’autant plus que le timing fut fort étudié, par ailleurs. Le meeting de CITIUS à Bern se veut être une ouverture de prestige aux plus grands rendez-vous planétaire de l’athlétisme suisse. Un 16 juin, il est un compromis sérieux pour les athlètes qui débutent leur saison tôt dans les meetings de la Diamond League (entre Doha et Stockholm) et les athlètes moins entraînés souhaitant se satisfaire à quelques semaines de l’ouverture d’un calendrier fort prospère. Suivant donc l’entrain porté par AtletiCAGenève, CITIUS sera donc l’une des premières scènes d’ouverture en vue d’Athletissima (5 juillet), le meeting de Lucerne (9 juillet), les championnats suisses des 13 et 14 juillet, le Galà dei Castelli de Bellinzona (18 juillet) ou encore les Européen de Berlin (du 7 au 12 août). Sans compter la première finale de la Diamond League, au Weltklasse de Zürich le 30 août. En somme, l’athlétisme suisse a trouvé son point de croisée, au centre d’une attention toute particulière entre l’entrain romand, le charme tessinois et la démesure zürichoise. Et même si les disciplines sont restreintes à la piste – épreuves de course presque exclusivement –, l’enthousiasme du voisinage n’en reste pas moins grand, d’autant plus que c’est sur une journée pleine de fête que le meeting souhaite regrouper son public, amenant l’intérêt à la fois sur des épreuves nationales (samedi après-midi), tout autant qu’internationales (samedi soir). Et le casting est d’autant plus alléchant que de nombreux Swiss Starters ont confirmé leur présence, à l’image de Jason Joseph (110m haies), Alex Wilson et William Reais (200m), Julien Wanders (sur la “courte” distance des 1’500 mètres), Salomé Kora, Ajla Del Ponte et Mujinga Kambundji (sur 100m) ou encore Lea Sprunger (sur le relai 4×400 mètres). Ils seront d’autant plus en lourde concurrence pour certains, puisque nombreux sont aussi les athlètes étrangers de renommée mondiale, à l’image de la sprinteuse bulgare Ivet Lalova (100m) ou encore le Brésilien Silva Derick de Souza (200m).
« Ce week-end, c’est surtout la course en équipe qui lui change un peu de son habitude d’être jugée constamment sur ses propres performances en individuel. Ici, la pression sera moindre, [Lea] donnera son meilleur pour l’équipe »
Laurent Meuwly, entraîneur de Lea Sprunger
Pour plus, le meeting de CITIUS débutera son programme principal samedi soir à 20h30 par le relai 4×400 mètres, une épreuve d’autant plus rare sur les plateaux internationaux. Pour les quatre équipes suisses engagées (deux chez les femmes et deux chez les hommes), il sera donc enjeu de grandes performances sur la piste de Wankdorf, notamment en vue d’une éventuelle participation aux Championnats d’Europe de cet été. Pour cela, seules les meilleures 16 formations du continent sont autorisées à participer et autant dire que pour l’heure, aucune formation helvétique ne figure dans le haut du classement européen sur la discipline. Le quatuor féminin est pourtant mieux placé que son homologue masculin; la saison passée, la Suisse avait obtenu le 22e temps européen de l’exercice à Vaasa (Finlande) le 25 juin 2017 en 3’33”10 minutes (record de Suisse à 3’28”52 datant de Stuttgart en 1993). Ce week-end, la première équipe suisse, celle de Lea Sprunger (complétée par Cornelia Halbheer, Robine Schürmann et la Lausannoise Sarah Atcho), aura certainement l’occasion de se distinguer dans une course qui comptera aussi un quatuor britannique, hollandais, irlandais et belge. Une course qui pourra, pour plus, apporter aussi bien un orgueil national qu’une marque d’importance individuelle pour les relayeuses. Lea Sprunger, spécialiste des 400 mètres haies, revient justement sur le plat, allégée d’une ambition collective. « Ce week-end, c’est surtout la course en équipe qui lui change un peu de son habitude d’être jugée constamment sur ses propres performances en individuel. Ici, la pression sera moindre, elle donnera son meilleur pour l’équipe, tout en ayant des informations importantes sur son propre temps, afin de préparer la suite », aiguillonne son entraîneur Laurent Meuwly en interview avec leMultimedia.info au terme de la conférence de presse au Leichtathletikanlage de Wankdorf jeudi après-midi.
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« L’année passée, Lea était la meilleure Européenne sur 400 mètres plat et cet hiver, elle a gagné le World [Indoor] Tour sur 400m plat aussi – complète encore Meuwly – C’est dire si la discipline est loin d’être accessoire pour elle; c’est une discipline sur laquelle, elle peut performer parmi les meilleures. Cette course vient à un moment idéal dans la saison. » Aussi, victorieuse pour sa rentrée à Langenthal en mai sur les 300 mètres, puis créditée d’un temps séduisant à Oslo en Diamond League, puis à Genève le week-end passé, le temps de course de la coureuse du COVA Nyon sera d’autant plus intéressant.
Alex Wilson à la mesure d’une (autre) concurrence
Autant le dire tout de suite, le Bâlois est en forme, même s’il n’a débuté sa saison que très récemment à Bâle. En effet, pour sa première sortie, chez lui, Alex Wilson a réalisé des temps fort convaincants, tant sur 100 mètres (10”15 secondes) où il est resté à quatre centièmes de son record de Suisse, que sur 200 mètres où il a amélioré sa marque nationale à 20”29 (+0,3 m/s). Un état de forme que le garçon ne dissimule pas en conférence de presse jeudi après-midi; l’on sent l’athlète de 27 ans libéré, venu sans pression à l’inauguration d’un meeting qu’il tiendra à participer pour sa bonne forme et son plateau relevé. Relevé car, en face, se tient une figure montante et marquante de la discipline. Sur 200 mètres, le Brésilien de 20 ans Silva Derick de Souza est parvenu à descendre à 20”23 secondes sur le demi-tour de piste à Auburn aux États-Unis le 21 avril dernier, soit six centièmes de moins que Wilson; une performance certaine quand bien même le vent lui ait été fort favorable (+1,6 m/s). Le médaillé d’argent aux championnats U20 panaméricains en juillet 2017 a traversé cette semaine l’Atlantique pour la première fois de sa saison, lui qui s’est surtout aligné au Brésil et aux États-Unis ce printemps. Le Brésilien s’est par ailleurs aligné sur les 100 mètres du meeting Elite d’Hérouville-St-Clair dans le Calvados en Normandie ce jeudi soir où il a couru en 10”28, à deux centièmes de sa meilleure marque personnelle. C’est dire, peut-être, la forme que tient le garçon à deux jours du meeting CITIUS.
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Mujinga Kambundji en locale de l’étape
« Je sens bien ma saison; il n’y a pas encore de chronos exceptionnels mais le plus important pour moi est ma régularité », explique la Bernoise jeudi après-midi. Ce week-end, devant son public, la sprinteuse aura l’occasion de prendre une nouvelle saillie sur les 100 mètres. Il faut dire que depuis son retour sur piste à Doha (Qatar) le 4 mai dernier, Mujinga a cultivé de très belles performances, quand bien même elle ne s’est pas encore approchée de son record de Suisse sur la distance reine. Mais la progression reste intéressante. « Sur 100 mètres, je reste entre les 11”07 et 11”20 secondes et sur les 200 mètres dans les 22”70. C’est une bonne nouvelle, peu importe les conditions de course, que je sois un peu fatiguée, qu’il y ait du vent en face ou qu’il fasse froid, j’arrive à rester dans ces cordes. Donc, je sens qu’en cas de très bonnes conditions, je peux courir plus vite. » Aussi, la Bernoise n’a jamais été aussi rapide si tôt dans la saison, sans compter qu’elle s’illustre parfaitement en Diamond League contre la concurrence; elle a cueillie une très bonne troisième place au Golden Gala de Rome le 31 mai dernier avant de monter à nouveau sur le podium mercredi soir lors du World Challenge d’Ostrava (à chaque fois sur 200 mètres). « Battre la concurrence est évidemment un point éminemment positif pour moi. Mes deux podiums, en plus de ma 5e place à Shanghai [ndlr, en 22”72], montrent que je suis en forme, indépendamment de mes temps. »
« J’avais l’impression de devoir courir ces derniers temps, de faire plus de compétition. Les dernières années, j’ai toujours fait une compétition tous les 7 jours et ce n’était pas toujours concluant »
Mujinga Kambundji, sprinteuse suisse des 100 et 200 mètres
Ce samedi soir au meeting de CITIUS, elle ne sera pas nécessairement assurée d’être reine de la soirée puisque ses 100 mètres compteront une adversaire de poids. La Bulgare de 34 ans Ivet Lalova-Collio a gagné dernièrement les 200m du meeting de Stockholm en Diamond League (2e à Rome), établissant aussi la meilleure performance mondiale de la saison. Néanmoins, il faut dire que ses meilleures performances sur les 100 mètres commencent à dater quelque peu; son PB, un 10”77 claqué à Plovdiv en Bulgarie, est déjà vieux de… 14 ans. Et sa meilleure performance sur le sprint roi en 2018 est établi à 11”20, quatre centièmes de plus que le meilleur chrono de la Bernoise établi lors de sa victoire samedi dernier à AtletiCAGenève (11”16). Voilà que l’affrontement retiendra un quelque chose de passionnant samedi soir à 21h45, lors de la dernière discipline programmée. Puis, Mujinga a un avantage dans les jambes; elle est entraînée au gré de ses dernières courses, qu’elle accumule depuis quelques semaines. « J’avais l’impression de devoir courir ces derniers temps, de faire plus de compétition. Les dernières années, j’ai toujours fait une compétition tous les 7 jours et ce n’était pas toujours concluant. Je voulais savoir enfin comment je me sentais en accumulant les courses, cela m’indiquera pour les prochaines années la méthode d’entraînement la meilleure. Pour l’instant, je me sens très bien comme ça, même si les voyages fatiguent quelque peu. Je cours plus et les entraînements sont plus légers », explique-t-elle alors.
« Il y a 15 minutes entre chez moi et le stade. Je suis heureuse de retrouver le public de Berne, car les autres compétitions sont toujours un peu plus loin de la capitale »
Mujinga Kambundji, sprinteuse suisse des 100 et 200 mètres
Puis, la Bernoise sera devant son public, l’occasion – dans de parfaites conditions de course – d’établir une nouvelle marque nationale ? « Je me réjouis beaucoup de ce meeting, il y a 15 minutes entre chez moi et le stade. Je suis heureuse de retrouver le public de Berne, car les autres compétitions sont toujours un peu plus loin de la capitale. Et pas tout le monde a Berne n’a toujours le temps, ni l’énergie de se déplacer dans une autre ville. » L’on peut l’espérer…