Les chiffres de l’édition 2018 du Bol d’Or Mirabaud donnent le tournis; 559 inscrits, 543 départs pour… 301 abandons. Ce dernier peut sembler alarmant et pourtant c’est un chiffre que les organisateurs relativisent tant les vents furent évanescents sur toute la longueur. Les plates conditions météorologiques ont aussi eu un impact sur les résultats sportifs mais ont aussi provoqué de belles surprises avec le septième succès au général de Christian Wahl sur Mobimo, une victoire arrachée au prix d’une belle embardée sur le chemin du retour et sur le passage du Petit Lac.
Le lac était calme, surface lisse, sans vagues impétueuses, sans relief. Et tout commença timidement au large de la SNG. Au coup de canon, à dix heures tapantes, les lignes de départs restèrent fixes, nombre de bateau calant sous la faible poussée de vent, les D35 restèrent presque immobiles, une sensation de ralenti.
Depuis la rade de Genève, Alinghi a peiné à s’élancer, prenant un retard curieux sur l’ensemble de la classe; à Founex, le Libéra d’Implantcentre Raffica (monocoque) avait même pris les devants sur la plupart des Decision 35 engagés. Parmi les M1, seules certaines embarcations réussirent à valider une avance (qui s’est révélée toutefois relative); Ladycat Powered by Spindrift Racing avec Dona Bertarelli à sa barre – malgré que la milliardaire avait pris le pli de moins naviguer – et le Ventilo M1 Safram prirent temporairement leurs marques. Mais dans les faits, le régime de brises typiques du Léman a constamment fait chavirer les équilibres.

À la sortie du Petit Lac, Ladycat avait déjà perdu son avance et Alinghi avait rejoint la tête de course. Au large de Nyon, l’équipage barré par Arnaud Psarofaghis ont remis l’ouvrage sur le métier; talonné jusque dans la Riviera par Okalys de Nicolas et Arnaud Grange, skippé par l’invité d’honneur Loïck Peyron, les deux des trois plus grandes écuries de la course ont été les meilleures à tirer profit des calmes conditions du Grand Lac. Puis, à l’arrivée sur le Haut Lac, Ylliam s’était même joint à la partie. « Il est vrai que l’on a eu un départ très difficile. Mais étant donné les vents capricieux, nous avons su nous contenter de notre position un peu plus arriérée. Nous savions qu’il y aurait des transitions qui pouvaient nous être favorables et devant Lausanne, nous avons saisi nos opportunités. C’était bien grâce à Ladycat et d’autres bateaux qui étaient devant nous que nous avons su où il ne fallait surtout pas naviguer. Nous avons pris les bonnes options à ce moment-là; ce sport est un peu ingrat de ce point de vue-ci », souriait alors Arnaud Psarofaghis dimanche après-midi.
« Nous avions bien géré la transition à l’entrée du Petit Lac mais malheureusement, il y en a eu une autre à l’entrée de la Rade, à hauteur de Collonge. Il fallait faire un choix et nous sommes allés du mauvais côté »
Arnaud Psarofaghis, barreur d’Alinghi
En revanche, Ladycat a déchanté. Depuis Lausanne jusqu’à la mi-course, l’équipage de Dona Bertarelli s’est rapidement retrouvé dans les dernières places du classement des M1, relevée 11e à la marque du Bouveret. Et puis, dans un tout autre registre, faudra-t-il préciser que sept heures furent nécessaires pour apercevoir au Bouveret les premières embarcations négociant le contour de la barge à l’autre extrémité du Léman. Sept heures, c’est déjà près du triple de la marque établie l’année dernière, symbole d’une régate aux temps longs, très loin du record du Triga IV de Peter Leuenberger qui avait conclu la double traversée en 5h01”51′.
La marque de cette année (14h14”02′) trouve dans les registres un autre indicateur de son atonie; il faut remonter en 2010 pour retrouver une course aussi étirée. Il y a huit ans, elle avait pourtant souri au Ladycat de Dona Bertarelli en plus de 16 heures. « Ça fait déjà huit ans ? Cela veut dire que l’on a eu de la chance lors des sept dernières années ! », sourit le président du Bol d’Or Rodolphe Gautier. « C’est tout de même un peu ce que l’on vient chercher quand on s’inscrit au Bol d’Or, l’on sait que ce ne sont pas des conditions de rêve comme l’on pourrait en retrouver en mer. Une étape de montagne pour les marins, cela fait partie de la norme. »
Mais cela étant dit, ce n’est pas pour autant que la régate n’ait pas offert de suspense. Le duel notamment entre Okalys, Alinghi et Ylliam fut d’un intérêt palpable, ceci même qu’à hauteur d’Évian-les-Bains, seuls 80 mètres séparaient les deux embarcations l’une de l’autre, et seuls 20 mètres de l’équipage du barreur Arnaud Psarofaghis de l’autre D35 Ylliam. D’autant plus que le Ventilo M1 Safram du Président Rodolphe Gautier n’a jamais été très loin. Surprenant de les voir tous coiffés sur la dernière ligne droite par Mobimo, un léger 35 pieds de 1200 kg de carbone, qui réalisa une remontée spectaculaire grâce notamment à une juste maîtrise de l’embarcation à l’entrée du Petit Lac: « Nous savons que nous revenons de loin dans cette course. Nous avons réalisé un très bon passage en passant par le dessous à hauteur de Nyon. Nous étions toujours bien positionnés et on savait que tout se jouerait sur la ligne d’arrivée », expliquait alors de retour sur la terre ferme son barreur Christian Wahl.
L’intelligence tactique de son équipage témoigne aussi d’ô combien s’élève l’importance, au Bol d’Or, de maîtriser les transitions entre le Petit et le Grand Lac: « C’est un passage important avec des effets venteux certains entre les côtes suisses et françaises qui peuvent se ressentir même au milieu du lac, aiguillonne Arnaud Psarofaghis avant de poursuivre. C’est beaucoup plus compliqué que sur le Grand Lac. Cela n’est pas surprenant que les transitions y soient très nombreuses à cet endroit-ci. Nous l’avions bien gérée au retour mais malheureusement, il y en a eu une autre à l’entrée de la Rade, à hauteur de Collonge. Il fallait faire un choix et nous sommes allés du mauvais côté. »

Cela est d’autant plus piquant que, dans l’histoire des vainqueurs du Bol d’Or, il faut remonter en 1998 pour retrouver trace d’Ylliam sur le palmarès. Quant à Okalys, leurs succès furent plus récents; le D35 des Nicolas Grange et Loïck Peyron l’avaient emporté en 2005 et 2007, soit tout de même onze ans d’attentes sur la double traversée du Léman. Pour Safram, en revanche, il se serait agi d’une première victoire sur le Bol d’Or; après trois dixièmes places consécutives, le M1 du Président Gautier aura néanmoins réussi un bon Bol d’Or pour la 80e en terminant cinquième: « Nous progressons gentiment, tout en essayant de le faire dans la régularité. La lutte a été acharnée, nous avons toujours été dans le groupe des cinq [premiers] et pouvoir jouer un peu avec ces marins professionnels nous a bien amusés. Nous en garderons un excellent souvenir, assurément. »
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Mobimo, un premier succès depuis le début du partenariat avec Christian Wahl en 2014
Le final de régate fut riche, intense et à quelques égards surprenant. Dans le noir, à minuit, depuis la rade de Genève, le public aperçoit les premières silhouettes de voiliers; un premier, un second, puis… cinq. Le premier à frapper les esprits, un D35 noir, floqué de marquages rouges, illuminé par les flashes de photographes positionnés sur leurs bateaux presse, dévoile son habit.
C’est Mobimo; une surprise certaine, surtout à la vue des trois Décision 35 d’Alinghi, Ylliam et Okalys devancés sur le tard. Mais en réalité, les cinq bateaux – comptant le M1 Safram – étaient très proches les un des autres, à quelques mètres les uns des autres. Mobimo s’approche de la bouée d’entrée, puis se bloque, s’immobilise. Derrière, les poursuivants réussissent encore à avancer, lentement, presque sûrement. Un écart déjà mince qui se minimise à vue d’œil. Ils étaient trois, à minuit passée de treize minutes à espérer passer la ligne d’arrivée avant leurs adversaires. Mais tous les voiliers s’arrêtent au même endroit, entre la bouée d’entrée et celle d’arrivée, tous misant sur l’aléatoire d’un vent évanoui, plus qu’évanescent.
Une minute plus tard, le coup de canon retentit, Mobimo a parcouru les derniers centimètres qui le tenait encore éloigné du titre. Bien que collés les uns aux autres, Okalys franchira en second l’arrivée avec trois minutes de retard sur le vainqueur. Une immensité pour la réalité des écarts sur l’eau. « Il y a eu beaucoup d’émotion, on a de la peine à réaliser tant les dernières minutes de courses furent serrées et intenses, lançait de retour sur la terre ferme Christian Wahl, barreur de Mobimo. L’écart au temps est peut-être conséquent, mais il ne reflète pas l’écart en mètres entre les bateaux sur la ligne d’arrivée. Nous ne savions pas si c’était Alinghi, Okalys, Ylliam ou nous-mêmes qui allions passer devant. Une arrivée très longue qui s’est jouée sur très peu de choses. L’écart était susceptible d’être renversé entre la bouée d’entrée et celle d’arrivée. »

Quoi qu’il en soit, Christian Wahl est désormais septuple vainqueur du Bol d’Or, 22 ans après son tout premier succès. C’est aussi le record de victoires sur l’événement; le directeur général de bj-office.ch a alors égalé les exploits de Philippe Durr, Philippe Stern (leur dernière victoire ensemble sur Altaïr XII en 1992) et Pierre-Yves Jorand (la dernière sur Alinghi en 2017). C’est aussi une première à plusieurs égards; Christian Wahl n’avait jamais gagné en tant que barreur, jamais avec Mobimo (depuis le début du partenariat en 2014). Et surtout jamais avec son équipe telle que constituée: « L’équipe a beaucoup tourné ces dernières années et je pense que l’équilibre a finalement été trouvé. Tout le monde est très heureux de naviguer à bord, même quand on ne fait pas tout juste et que l’on fait des erreurs. Tout le monde est là pour corriger. Le fait d’avoir rajeuni l’équipe, aura aussi permis de dynamiser l’entente entre tous », lâchait l’embraque de l’écurie Bryan Mettraux dimanche au très tôt matin.
Une équipe bien expérimentée dans les faits car, au-delà de la septième couronne du “Sorcier du Léman”, deux autres équipiers pouvaient déjà se réjouir d’avoir déjà remporté le Bol d’Or au moins une fois avant cette 80e édition. Cédric Schmidt, au Grand Voile, en est à son deuxième succès sur la régate (dernière victoire en 2012 avec Realstone), alors que l’embraque Bryan Mettraux (27 ans) en compte purement trois, le dernier remporté avec Ladycat en 2014.
« Nous avions très bien navigué depuis Évian, nous avons su rester dans le vent, nous avons alors réussi une belle échappée »
Christian Wahl, barreur de Mobimo, dit « Sorcier du Léman”
Un final sur la ligne d’arrivée avec 0,7 nœuds de vent. Soit rien de bien porteur, alors qu’il est communément établi qu’un D35 satisfasse son foil à partir de 8 ou 9 nœuds: « Arriver avec moins d’un nœud, cela veut dire qu’il n’y avait rien dans les voiles, il a alors fallu beaucoup de concentration et surtout de communication puisque, pour plus, l’on est arrivés de nuit », précisait alors Christian Wahl. « À la fin, tous les voiliers ont connu le même sort; ils se sont arrêtés. Nous avons eu la chance d’être plus en pointe par rapport à nos adversaires. Nous n’avions pas très envie de tourner la tête derrière, mais nous n’avons pas pu nous empêcher. Nous avons vu Alinghi revenir sur nous et par chance, ils se sont arrêtés comme tout le monde à la bouée d’entrée. C’est l’horreur pour les nerfs; et pour les équipages qui ont fait pratiquement toute la course en tête, cela devait être très difficile », lâchait aussi Bryan Mettraux.
« C’est une arrivée plus que frustrante, nous avons fait la course avec Ylliam sur toute la montée et la descente, puis Okalys nous a rejoint. Mobimo a été plus opportuniste au bon moment, ils ont trouvé la petite risée qu’il fallait pour nous passer devant à la dernière transition et celle-ci nous a été fatale, à dix mètres de la ligne d’arrivée, livre pour sa part Arnaud Psarofaghis. Nous y avons cru jusqu’au bout mais il est vrai que 4e est un résultat qui nous déçoit. Mais cela n’enlève rien à notre belle course; nous avons fait partie du groupe de tête presque tout le long et cela est très réjouissant. »

Aussi est-il vrai que la concurrence entre les premiers D35 et le Ventilo M1 Safram fut particulièrement relevée. Et ces courses palpitantes s’élèvent toujours plus au rang de norme au Bol d’Or. Aussi plaisancière que compétitrice, la manifestation regroupe toujours le meilleur, en toute occasion. « Maintenant, on le remarque davantage; dans chaque catégorie de bateau, le niveau des concurrent est élevé, commente le Président Rodolphe Gautier. Chacun vient avec l’envie de performer dans sa catégorie pour aller chercher les places d’honneur. Le départ est certes très important, la sortie du Petit Lac et le passage au Bouveret le sont aussi. Ce qui est devenu la norme, c’est qu’il faut cravacher du début jusqu’à la fin, il n’y a pas d’endroits clefs. Seuls comptent véritablement les passages à niveau car les erreurs se paient souvent comptant. Cette fois, il fallait maintenir une vitesse de bateau pour pouvoir avancer de risée en risée et quoi qu’on en pense, les régates se veulent toujours très tactiques, indépendamment des conditions. »
Christian Wahl confirme: « C’est une monotypie, tous les équipages sont affûtés, il y a beaucoup de professionnalisme à bord, sur tous les bateaux. Gagner des mètres sera toujours difficile même si parfois des stretches et des écarts se creusent. La flotte est très homogène et il est donc très difficile de pointer devant. Il faut toujours avoir de la réussite pour gagner le Bol d’Or et cette année, elle était de notre côté. »
« Sur ce genre de course, tout le monde peut espérer à la victoire, il n’y a rien d’autre en jeu que la réussite. Nous avons été décrochés au début, nous avions commis une grosse erreur mais toute l’équipe a su manœuvrer jusqu’au bout. Des conditions propices pour pouvoir y croire jusqu’au bout »
Bryan Mettraux, embraque de Mobimo
« Sur ce genre de course, tout le monde peut espérer à la victoire, il n’y a rien d’autre en jeu que la réussite. Nous avons été décrochés au début, nous avions commis une grosse erreur mais toute l’équipe a su manœuvrer jusqu’au bout. Des conditions propices pour pouvoir y croire. » Bryan Mettraux ne dissimule pas le cran qui a été celui de son équipage. Le départ, comme pour bon nombre d’embarcation, aura été aussi terrible que l’arrivée. Des pannes causés par des vents évanescents émaillèrent la régate à plusieurs endroits, multipliant les points de transition sur les 66,5 miles nautique de course. Preuve de l’incertitude écrite sur le perron de cette 80e édition, la marque du Bouveret aura été des plus relatives.
En effet, c’est avec pas moins de 45 minutes de retard sur le trio de tête, que Mobimo franchissait la barge. Un retard sans cesse comblé sur l’ensemble de la distance du Haut et Grand Lac. À Lausanne, Mobimo n’était déjà plus distancé à perte de vue. « Il n’y avait pas de vent établi donc nous étions tous conscients que tout pouvait se jouer jusqu’à la dernière seconde. Nous n’avons vraiment rien lâché sur le retour. Nous avions très bien navigué depuis Évian, nous avons su rester dans le vent et avons alors réussi une belle échappée », affirmait samedi nuit Christian Wahl. Puis à l’entrée du Petit Lac, l’équipage a su garder la tête froide malgré la tension que ce passage à niveau pouvait générer: « Nous nous sommes rapidement calmés, cela ne servait à rien de s’énerver à ce moment-là, nous avons pris une décision et c’est près de la tour Carrée que nous avons réussi à prendre la tête. »
Pour Arnaud Psarofaghis, son Alinghi n’aura pas assez bénéficié de son avance au Bouveret: « Il est vrai qu’en temps de fort vent, la marque au Bouveret peut-être déjà décisive. Mais les conditions étaient classiques du Léman, avec peu de vent. Dans ces conditions, l’on dit aussi qu’il faut éviter d’être premiers au Bouveret parce qu’il est plus facile pour les poursuivants de voir où il ne faut pas aller. Mobimo a parfaitement maîtrisé son retour malgré son retard. » Et pas que… Ylliam Comptoir Immobilier aura aussi pleinement profité de la marque au Bouveret, au talon d’Alinghi. Le D35 de Bertrand Demole aura même eu – dit-il même sur la scène de la barque “Neptune” dimanche, en soirée à la remise des prix – le cran de dépasser à quatre reprises l’équipage d’Ernesto Bertarelli, « la dernière fois étant à la bouée d’entrée de l’arrivée », sourit-il même, les yeux plongeant vers ceux de son homologue chez Alinghi.
Grange, père et fils
Vent de jeunesse au moins il y a eu sur le D35 de la famille Grange. L’année dernière, Arnaud avait quitté son Optimist – un voilier conçu pour les jeunes navigateurs jusqu’aux 15 ans – pour devenir le plus jeune barreur d’un D35 sur l’Okalys de son père à… 15 ans justement sur la Genève-Rolle. Le jeune garçon avait alors eu droit à une véritable promotion, lui qui a grandi sur les barques et le catamaran de son père. Mais de là, à l’imaginer trouver un poste fixe à la barre de l’engin, il y avait un monde.
Il l’a pourtant fait. C’est à la guide du voilier aussi survitaminé que le jeune homme a tenu les quatorze heures de la régate (et ce n’était pas forcément sa première fois au Bol d’Or). Un an après son baptême en compétition, le talent précoce s’est remis aux commandes de l’embarcation ce week-end, cette fois-ci pourtant étroitement “secondé” par la stature de l’expérimenté Loïck Peyron, une très bonne connaissance de la famille. L’année passée, Okalys avait terminé cinquième à douze minutes d’Alinghi; l’écurie avait même terminé septième (sur neuf) du classement général 2017.

Cette année, non pas que la situation soit meilleure en D35 Trophy, mais l’équipage de Grange et Peyron ont failli réussir l’incroyable tour de main de remporter l’épreuve phare de la saison, pour la 80e du Bol d’Or. Incroyable pour un équipage dont la moyenne d’âge n’atteint même pas la majorité. 3”03 minutes séparaient Mobimo d’Okalys et pourtant les deux embarcations étaient collées l’une de l’autre, à une différence d’une poignée de mètres. « Cela aurait été bien évidemment extraordinaire de gagner ce premier Bol d’Or [ndlr, pour Okalys Youth Project, avec l’équipage actuel]. Mais sans doute que cela aurait été trop facile de gagner un premier Bol d’Or à 16 ans, en pensant à mon fils Arnaud [rires]. Cette deuxième place est vraiment bonne à prendre; à la fin, dans les conditions qui ont été celles de l’arrivée dans le groupe des cinq, nous aurions tous pu finir premiers ou cinquièmes », selon Nicolas Grange, quelques minutes après la remise des prix sur le “Neptune”.
À sa première compétition en Grand-Prix, disputée au Yacht Club de Genève, Arnaud avait déjà occupé la deuxième marche du podium, barré seul devant par Alinghi, presque intouchable alors. Cette année sur le BOM, le voilà à nouveau deuxième, devant Alinghi mais derrière une formation parmi les plus expérimentées du circuit. Et ce D35, au nom d’Okalys était officiellement barré par le jeune loupiot, tel le professionnel qu’il s’aventure à être dans quelques années. Son père, Nicolas se rangeait volontiers à l’idée de laisser les pleines commandes à son fils; il l’aura fait ce week-end et l’expérience fut grandement prometteuse; sur sa Formule 1 des eaux, Arnaud a su jouer, une fois de plus, les premiers rôles.
La course, racontée par son père, lui fait revenir tous les mérites: « Nous avons fait une descente qui nous a assuré de pouvoir accrocher les premiers, Ladycat est partie très vite, très fort et ensuite, elle a pris une option pas très heureuse et s’est arrêtée. Nous avons continué notre chemin, en la dépassant et nous parvenons à passer la barge à la septième position, un peu décalés par rapport aux premiers et c’est vraiment au retour que nous avons marqué une attaque, nous sommes partis au près de la rive française et ça nous a porté chance. Dans les faits, on est revenus en tête de course seulement une demi-heure après avoir passé la bouée du Bouveret. » Et c’est justement proche des rives de Nernier, à l’entrée du Petit Lac, que le jeune homme a pleinement saisi la main qui pouvait l’élever en plus jeune vainqueur de l’histoire du Bol d’Or. Ce record appartient, dans les faits, encore à Sébastien Schneiter, vainqueur de l’épreuve en 2015 (à 19 ans) avec Team Tilt et lui aussi, alors, accompagné de son père Alex.
« Arnaud et la voile, c’est une grande passion et le D35, c’est l’un des projets qu’il adore partager, d’autant plus que nous le faisons ensemble. Donc c’est une belle histoire [de famille] »
Nicolas Grange, skipper d’Okalys Youth Project
Optimist, Laser, Nacra 15, Waszp; « Arnaud a pris de la maturité, il a grandi. Cela fait quelques temps, qu’il navigue un Décision 35, il fait aussi beaucoup de Nacra 15 et accessoirement, ils viennent de se qualifier pour les Championnats du Monde qui auront lieu en juillet prochain au Texas. Donc Arnaud et la voile, c’est une grande passion et le D35, c’est l’un des projets qu’il adore partager, d’autant plus que nous le faisons ensemble. Donc c’est une belle histoire [de famille]. »
Et dans la région de Genève, elles sont légion, les histoires de famille. Les Psarofaghis (Jean, oncle et Arnaud, neveu), tous deux alignés ce week-end mais avec des fortunes diverses; les Bertarelli (Dona, sœur et Ernesto, frère); les Mettraux (Bryan et Laurane entre autres trois frères et sœurs de la famille), le premier vainqueur de ce 80e BOM, la seconde défrayant la chronique de cette édition en intégrant le premier équipage entièrement féminin de l’histoire de la régate; les frères Ravussin et Bourgnon ou encore les Girod père – Pierre – et fils – Patrick et Guillaume. Et tous, on marqué par leurs performances l’histoire de la voile suisse. Arnaud Grange en a pris la voie également, c’est pourquoi ce Bol d’Or est avant tout perçu comme un « bol de transmission et de partage » pour le papa Nicolas.
L’expérience fut des plus haletantes pour cette jeunesse née les pieds dans le lac. Arnaud y va même de son analyse: « C’était très intense jusqu’à la ligne d’arrivée mais pour mon Bol d’Or, c’est une super expérience. C’est un peu frustrant de ne pas avoir gagné mais il faut dire qu’une deuxième place et un podium pour moi sont déjà des résultats satisfaisants car même si nous avons été devant pour un bon bout de temps, nous aurions pu être plus mal classés à l’arrivée. Je me sens plus à l’aise avec la compétition [sur D35]. Sur ma première Genève-Rolle [ndlr, en 2017], je ne savais pas à quoi m’attendre véritablement même si j’avais déjà fait quelques régates depuis quelques années sur bateau-moteur. Je me suis fait ma place dans le groupe des D35 et j’adore ça. »