Thomas Ford est Britannique. Il nous vient du sud-ouest de l’île, des Cornouailles mais sa musique puise plus dans le blues de tradition américain; le Delta blues du Mississippi. Une contrée du sud des États-Unis qu’il n’a pourtant jamais visitée et dont il n’a jamais rencontré le moindre bluesman du coin. Jamais avant vendredi. Sa présence au neuvième Blues Rules Crissier Festival lui fut une grande première, dans tous les sens du terme. Le rencontrer, c’est comprendre sa philosophie…
Le tout sied dans une impressionnante simplicité, tel un régal à l’heure d’un timide au revoir, ponctuant les festivités d’un soir, touchant, distingué, raffiné. Son blues est en effet inspiré du Delta blues, celui que l’on retrouve sur les rives du Mississippi, près de Clarksdale. Et pourtant, il n’est ni du coin, ni de la région, ni proche du Hill Country blues que du Mississippi Delta blues; il n’a même jamais atterri dans ce coin de région savant de la musique afro-américaine. « Je n’ai pourtant jamais vécu en Amérique. J’ai beaucoup joué en France, Suisse, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Roumanie mais je ne suis jamais allé aux États-Unis; c’est trop loin », explique-t-il samedi au très tôt matin, vers 2h. Il n’est, en outre, pas le simpliste futuriste; il est remarquablement assis dans ce qu’il sait faire comme si à confondre le sud-ouest de la Grande-Bretagne et le méridional étasunien, il n’y avait là qu’une erreur de géographie et qu’il était des leurs, de cette génération de bluesmen des States, enivrés par leur musique, et rien d’autre que par leur musique. D’ailleurs, il n’est pas de cette génération européenne à croire que tous les styles se mélangent, en fin de compte; que le rock’n’roll, le funk et le blues ne soient – seulement – que des nuances d’une même harmonie musicale. Le cloisonnement lui apparaît plus épais; c’est un ressenti qui lui est propre. Il a su rester dans la simplicité d’un genre historiquement ancêtre des autres; le blues, le Delta blues et rien d’autre. « J’ai grandi en écoutant la musique du Delta blues, mon père en écoutait chaque jour. Et quand j’ai commencé à jouer de la guitare, je ne pouvais rien jouer d’autre, ni rock’n’roll, ni jazz, ni funk, que ce blues qui m’a toujours animé », aiguillonne-t-il encore. Voilà l’artiste qui n’a pas franchi les barrières du style, par excès de simplicité et par grandeur d’âme.
« Je déteste prendre l’avion, c’est pour cela que je n’ai jamais pris le pas de traverser l’Atlantique. Partout, je me déplace par la route. Je suis venu au Blues Rules, j’y suis venu en fourgon »
Thomas Ford, bluesman du sud-ouest du Royaume-Uni
Thomas Ford est donc britannique, presque de chez nous. Et de sa musique, il en vit presque assez bien; il rentre chez lui, en Angleterre, pour y travailler et sinon… il tourne. Tout le temps. Et toutes ses scènes lui sont à portée de main, ou de roues. « Je déteste prendre l’avion, c’est pour cela que je n’ai jamais pris le pas de traverser l’Atlantique. Partout, je me déplace par la route. Je suis venu au Blues Rules, j’y suis venu en fourgon. » Après quatre premiers mois passés à retrouver son chemin d’est en ouest sur son île de Bretagne, entre Plymouth, Saltash, Falmouth, Chagford – son chez lui dans les Cornouailles, dans l’extrême sud-ouest de l’Angleterre – et Bristol, Oxford et même Quéven en région française de Bretagne, Thomas Ford a repris de la route ce printemps. Il a entamé il y a quelques jours, le 31 mai, une courte tournée entre la France et la Suisse. Il est arrivé près de chez nous, à la Chaux-de-Fonds avant de faire l’escale attendue au Blues Rules Crissier Festival vendredi soir 1er juin. Le voilà se déprendre de son attachement à son comté de Devon et animer une fin de soirée – ou un début de nuit – déjantée lors du dernier set programmé à 1h du matin. En réalité, dépeint par sa grande modestie et sa carrure de gentleman classique depuis le début, c’est sous une veine beaucoup plus moderne et moderniste que le public le découvre sur scène. Décoiffant.
Très jeune, tout débute par l’harmonica…
Cigarette à la main, lunettes délicatement posées sur son nez et une expression distinguée, Thomas n’est pas tout-à-fait à l’image de l’artiste qu’il est sur scène; c’est un grand homme, la trentaine affichée, candide dans sa voix et délicat dans son expression. Sur les planches, en revanche, c’est une autre histoire. Il est à l’image du parfait Européen dans son mode de vie que sa mue est presque aussi spectaculaire sur scène où il en vient à dilapider sa candeur au profit d’un jeu tonifiant. Sa guitare enjouée, nourrie à l’harmonica et aux battements de main d’un public emporté, suffisent à assouvir les besoins du bohème qu’il est sur les planches. Il y dégage une certaine excitation, un emportement rythmé aux sons multiples de ses instruments. Le pied tapageur, un souffle nourri, un va-et-vient gratté sur les cordes, tout est dans une accélération continue, où la percussion n’a jamais été aussi présente. Sa présence sur scène ne souffre d’aucun temps mort, son pied chèvre à tout-va, comme si les intertitres n’avaient pas lieu d’être. Avec Thomas Ford, pour la durée de l’heure de son set, il y eut surtout un flux continu d’un blues vécu à tous les étages, à l’image des plus grands, de ces ancêtres fondateurs du blues américain qui ont accompagné les festivaliers comme chaque an à Crissier. Thomas Ford a donné l’impression d’être des leurs, de vivre à leurs côtés, de les connaître personnellement, dans leur intimité musicale. Et pourtant, aussi inspiré par le Delta Blues, il n’a jamais rencontré les Burnside, Kimbrough, Ayers, Belfour, Boyce… « C’est la première fois que je rencontre ces artistes et c’est bien le meilleur endroit pour les rencontrer – explique-t-il vendredi soir avant de poursuivre – C’est impressionnant de rencontrer ceux qui m’ont inspiré, au final. Si je les écoutais beaucoup, néanmoins, je ne les ai jamais vraiment reproduits. La première fois que j’ai commencé à jouer du blues à la guitare, j’ai été capable de produire et composer ma propre musique, à prendre un chemin qui était simplement le mien. J’ai pris le temps de créer mon répertoire avant de songer à me produire sur scène et à tourner. Cela fait seulement cinq, six ans que je voyage avec ma musique dans les caisses. »
« J’avais six-sept ans quand j’ai commencé à jouer de l’harmonica; mon père en jouait. C’est un instrument qui a toujours été bien visible chez nous et ce n’était en réalité pas très compliqué. Un jour, il y a 25 ans, j’ai pris un harmonica dans les mains, et depuis, je ne l’ai plus jamais lâché »
Thomas Ford, bluesman du sud-ouest de la Grande-Bretagne
Thomas est en réalité un artiste précoce car, à vrai dire, sa jeune carrière s’est montée très rapidement, et ce depuis qu’il a appris à jouer de la guitare… à 20 ans. Parce que dans les faits, le premier instrument qui l’a plongé dans le monde du blues, c’est l’harmonica. « J’avais six-sept ans quand j’ai commencé à jouer de l’harmonica; mon père en jouait. C’est un instrument qui a toujours été bien visible chez nous et ce n’était en réalité pas très compliqué. Un jour, il y a 25 ans, j’ai pris un harmonica dans les mains, et depuis, je ne l’ai plus jamais lâché. Ce n’était pas la même chose que la guitare. J’ai commencé à jouer de la guitare à l’âge de 20 ans. J’en ai également eu une depuis très jeune, une steel guitar depuis mes 13 ans, mais cela m’a pris du temps à en jouer sérieusement », raconte-t-il alors. Depuis, le jeune homme tourne et a réalisé quatre albums à un rythme effarant; un pratiquement tous les deux ans depuis 2008 (puis 2011, 2013 et 2015). Enfin, last but not least, l’artiste a vécu ce vendredi son premier Blues Rules, un festival situé dans les jardins de Crissier, qu’il affectionne déjà: « C’est ma première fois au Blues Rules et c’est un fantastique festival, petit, adorable et surtout riche dans sa programmation. Sur une belle journée ensoleillée comme aujourd’hui, c’est définitivement un écrin magique qui se démarque de nombreuses scènes que j’ai pu découvrir ailleurs en Suisse et en France. » Il ne serait donc pas étonnant, pour cet habitué de la France et de la Suisse romande, que le Blues Rules lui revienne dans son agenda lors des prochaines éditions du festival. Tenant un agent à la fois en Suisse, Manu Baretta (2BU), qu’en France, Alain Michel (Pbox Blues), Thomas Ford ne vit jamais très loin de nos régions.