Cette légère brise d’Outre-Atlantique qui anticipe les réjouissances estivales, on l’attend chaque année. Le Blues Rules Crissier Festival nous revient alors que la manifestation organisée par les deux compères Thomas Lecuyer et Vincent Delsupexhe soufflera ses 10 bougies l’année prochaine. À côté des pointures américaines telles que Big Papa Binns, Kimbrough mère et fils ou RL Boyce, pour ne citer qu’eux, les jardins du château de Crisser – rebaptisés Crississipi pour l’occasion – ont également fait la part belle aux artistes du coin. L’énergie folle de Broken Bridge, le good mood de The Two, et la force tranquille de Blues Street One Man Band prouvent que la scène suisse a l’âme du blues. Rencontre avec ces Helvètes qui ont vendu leur âme au Diable. 1/2.
Leur prestance sur scène nous donne l’illusion d’un tandem rodé à la lumière des projecteurs. Pourtant, ces gars originaires de Nyon n’ont pas encore la vingtaine. MC (Marco Crescenzio) et Red Knee (Alex Ketterer) se sont rencontrés durant leurs études gymnasiales et ont monté ce duo batterie-guitare. Ce vendredi, la jeune formation prometteuse a inauguré la neuvième édition du festival : « Je connais bien les deux organisateurs du festival, Thomas et Vincent. Je leur ai fait part du projet que nous avions monté, de ce duo garage punk blues. Ils ont écouté ce qu’on faisait et puis ils nous ont cordialement invités à venir jouer sur scène et c’est comme ça que l’aventure est partie ! » Sur scène, une belle énergie se dégage. Marco a des allures de dandy-rock : chemise à fleurs, regard camouflé derrière des verres fumés type Docteur Strange Love alors que son acolyte, derrière sa batterie, n’hésite pas à plaisanter avec le public entre deux titres. L’expérience en terres blues est une réussite : « C’était un super show et un super son », tout comme pour Alex : « Je pense sincèrement que c’est l’un des meilleurs publics que l’on a eus jusqu’à présent. L’ambiance est vraiment cool. C’est probablement un de nos concerts qu’on a préférés. » Sensation partagée par le public mais aussi par les artistes, comme Big Papa Binns qui les a rejoints sur scène : « Ce n’est pas une pression parce qu’on a eu l’honneur déjà la semaine dernière de faire la promotion du festival avec lui [ndlr, à La Galicienne à Prilly-Malley]. On n’avait pas joué ensemble même si j’ai pu faire un showcase à la Fnac [Lausanne] en solo avec lui. On avait vraiment partagé ce blues ensemble et c’était vraiment quelque chose de formidable. On a quand même eu un coup de cœur pour lui, pour sa voix et son blues pur qui est en même temps bien dirty, bien sale. C’est justement ce qu’on aime. Son côté slide. On lui a proposé de nous sur scène et il a accepté avec un grand plaisir ! » De plus, Marco Crescenzio l’avoue, il souhaiterait vraiment pouvoir enregistrer un titre avec le ténor de l’Arkansas, ceci même avant que celui-ci ne reparte pour l’Amérique dans quelques jours. Les liens avec Greg Binns se sont rapidement tissés en deux semaines, à tel point que Pierangelo Crescenzio, père de Marco – qui est aussi monté accompagner le duo sur scène – a également fortement sympathisé avec l’Américain. Il faut dire aussi, que dans la famille, la musique est histoire de toujours. Pierangelo, professeur à l’EJMA, a étudié la musique à Berne et Los Angeles, avant de collaborer avec de nombreux artistes reconnus de la scène internationale ; Fred Wesley, Mike Stern, Shanya Steele, Marc Broussard, Bastian Baker, DJ Bobo ou encore The Broadway Company of New-York ont tous bénéficié de la connaissance musicale de Pierangelo. Ce n’est donc pas un hasard de retrouver chez Marco – tel père, tel fils –, ce même amour, ce même ressenti pour la musique, pour le blues.
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« La musique doit rester quelque chose de très libre. Le blues a une énorme histoire qu’il ne faut pas nier mais je pense vraiment que cela doit rester une musique libre, sans entrer dans un traditionalisme excessif »
Alex Ketterer, alias Red Knee, batteur de Broken Bridge
Empreint de sonorités blues, les Broken Bridge laissent également filtrer un rock nerveux, alliant les influences garage et fleuretant avec le punk. L’héritage conséquent de Robert Johnson, loin d’être considéré comme sacralisé et immobile, reste le fil rouge des deux jeunes hommes : « C’est vrai que le blues est la base de notre musique. Après, on aime le mélanger avec du punk du garage ou des groupes des années 60. » En vrais professionnels, MC et Red Knee semblent avoir acquis la maturité du genre phare des bayous, mais aussi son état d’esprit : « Ce n’est pas une pression pour nous de jouer ici parce qu’on s’amuse et je pense que c’est cela, jouer de blues. C’est s’amuser, avoir de bonnes émotions quand on joue et avoir un public qui partage cette énergie avec nous. » Décloisonner pour mieux s’approprier le genre, c’est aussi l’avis de Red Knee : « La musique doit rester quelque chose de très libre. Le blues a une énorme histoire qu’il ne faut pas nier mais je pense vraiment que cela doit rester une musique libre, sans entrer dans un traditionalisme excessif. Le fait d’apporter d’autres influences n’apporte que des bonnes choses… Même si j’aime écouter des bons vieux bluesmen de l’époque ! Je pense que d’autres genres ont définitivement leur place mélangée avec le blues. »
Le duo a également de la suite dans les idées : « On a enregistré un EP en octobre dernier au Relief Studio à Belfaux dans le canton de Fribourg. On a trois titres dessus dont deux que nous avons joué ce soir. C’était vraiment dans l’optique de faire de la promotion, pour que les gens puissent voir ce que l’on fait même si ce premier EP reste plus blues-rock que punk-blues comme on le ressent sur scène. Récemment, on a enregistré des morceaux en live qu’on va sortir durant l’été. Il y aura une douzaine de titre qui représentent bien cette énergie garage. » Le public romand pourra même les retrouver bientôt. Ils seront à la fête de la musique de Morges et de Nyon, en attente de prochaines aventures. « Si on arrive à avoir encore d’autres dates ce serait génial. Il y a plein de plateaux que l’on adorerait intégrer. On croise les doigts pour pouvoir jouer un jour dans l’un de ces festivals qu’on vénère ! »