Du City Center Mall, Doha (Qatar)
Vendredi soir, c’est le meeting de Doha avec une belle sélection talentueuse et jeune de 16 Qatariens. Parmi ceux-ci figurent naturellement le spécialiste du saut en hauteur Mutaz Essa Barshim (26 ans). Mais parmi les moins médiatisés, figurent aussi le médaillé de bronze des 400 mètres plat à Londres, Abdalelah Haroun (21 ans) et le coureur des 400 mètres haies Abderrahaman Samba (22 ans). Tous vont donner leur meilleur sur la piste du Qatar Sports Club. Aussi lors des points presse de jeudi, la presse a pu tirer quelques informations sur l’organisation de l’athlétisme au Qatar. Ou plutôt de ce que l’on peut y attendre. Peut-être des records du monde (en hauteur ou au javelot) ?
Dr. Thani Abdulrahman Al Kuwari, Président de la Fédération d’Athlétisme du Qatar a tenu des propos forts en ouverture de la conférence de presse officielle, à quelque 24 heures du premier meeting de la Diamond League à Doha. « L’édition de cette année sera meilleure que celle de l’année dernière. » L’homme parle en toute connaissance de cause; il connaît et reconnaît tout le travail qui a été opéré depuis plusieurs années au Qatar pour promouvoir le sport et – indéniablement – le meeting de Doha trouve d’année en année une saveur toute particulière. Aussi car il attire de plus en plus de (super)stars. « L’année dernière, l’on a atteint un niveau sans précédent, marqué par un résultat d’exception au javelot avec un lancer à 93,90 mètres. L’on a tous hâte de voir ce qui sera en magasin demain au stade », lance-t-il alors à l’assistance.
Les 93,90 mètres atteints sur un lancer de javelot est en réalité l’œuvre de l’Allemand Thomas Röhler qui est, en conséquence, devenu le deuxième meilleur performeur mondial de tous les temps de la discipline, derrière un certain Jan Železný qui était parvenu, coup sur coup, à améliorer son record du monde deux fois entre avril et juin 1993, puis une dernière fois en mai 1996 à Iéna… en Allemagne (98,48). C’est précisément la marque que l’Allemand voudra établir ces prochains mois (ou ces prochaines années). « En réalité, la question n’est pas de savoir si je suis capable d’établir un nouveau record du monde, mais où et quand ? », aiguillonne-t-il en conférence de presse, laissant planer une vague de sourires émerveillés.
Car c’est bien là, ce que l’assistance souhaitait entendre des athlètes ce jeudi midi. Et d’autant plus que le propos valait également pour l’égérie de l’athlétisme au Qatar, le spécialiste de la hauteur, Mutaz Essa Barshim, lequel est aussi proche d’égaler (et battre) la barre du Cubain Javier Sotomayor (2,45 mètres à Salamanque en Espagne). Le Qatarien s’en était par ailleurs approché plusieurs fois ces dernières années avec, notamment en 2014, un saut à 2,43 mètres. À Athletissima également, il s’en approcha de très près en 2016 où finalement sa marque finale en est restée anecdotique.
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« J’ai une motivation extrême. Comme le dit Thomas [Röhler], la question est de savoir où et quand le record du monde tombera. Je travaille personnellement tous les jours, et cela peut durer encore longtemps. Pour qu’il advienne, il faut être dans les meilleures conditions possibles. Il faut que ce soit un jour parfait, sans pluie, sans vent et sans froid. Il faut aussi retrouver une compétition relevée, où tous les athlètes se poussent et s’encouragent mutuellement », ajoutait-il alors au City Center de Doha.
Voilà que dans son pays natal, les conditions apparaissent parfaites pour le jeune homme de 26 ans. « Avoir sa famille, ses proches et un public qui soutient ses nationaux est un grand stimulant. Cela apporte énormément d’adrénaline, nécessaire aux très bons résultats. Aussi, pour réaliser le saut parfait, il faut d’abord réussir toute une série de petits détails. Quand on se produit à la maison, on a littéralement envie de tout déchirer. Tout cela devient avec le temps un héritage porté aux plus jeunes générations. »

« Nous ne devons pas toujours penser au sport comme une activité professionnelle »
Il faut dire que la saison 2017 de Mutaz Barshim s’est révélée exceptionnelle avec une médaille d’or aux mondiaux de Londres en août, un titre de champion de la Diamond League en septembre et une autre distinction – nullement matérielle, mais bien tangible – d’athlète de l’année 2017, nommée par l’IAAF.
L’année passée, le Qatarien a même été invaincu de toute la saison, une première depuis 2004 pour un athlète du saut en hauteur. « Cela a été incroyable de gagner autant la saison passée, lâche-t-il encore au City Center de Doha. C’est pour cela aussi que vendredi, je veux [continuer] à prendre du plaisir; être là et faire de mon mieux. Aussi car avant le record du monde, je veux établir – et j’y tiens – le record du meeting ici [ndlr, à 2,41 mètres, détenue par le Russe Ivan Ukhov le 9 mai 2014]. »
Mutaz Essa Barshim a un amour inconditionnel pour son sport et son pays. Et, en réalité, les deux lui sont intrinsèquement liés. Aussi passionné, le jeune homme s’engage énormément en dehors du sautoir et du stade. Il œuvre quotidiennement dans la promotion de l’athlétisme au Qatar, avec le soutien aussi de sa Fédération et du comité olympique. « Ce que nous cherchons tous, c’est de promouvoir notre sport, peu importe qui est en train de sauter ou de courir. C’est pour cela aussi qu’ensemble, avec mon coach et mon équipe, l’on arrive à des résultats qui nous sont porteurs. » Stanislaw Szczybra, son entraîneur, est justement le premier témoin du train de vie sain que mène l’athlète, car au-delà d’être aussi passionné que lui – et au-delà d’être un « génie du saut en hauteur » –, le Polonais a fondé une relation profonde et concrète avec Mutaz en neuf ans de collaboration. Et cela car le sport, pour l’athlète qatarien, n’est pas qu’une simple activité professionnelle.
« Nous rencontrons beaucoup de monde avec un objectif précis, celui de rendre à ce sport la valeur qui est la sienne »
Mutaz Essa Barshim, spécialiste qatarien du saut en hauteur
« Nous ne devons pas nécessairement penser toujours au sport comme une activité professionnelle, expliquait-il en interview, quelques minutes après la conférence de presse. Le sport doit être chez tout le monde, et en particulier chez les plus jeunes, une condition de vie. Chaque maison et chaque famille doit pouvoir en tirer profit. Seulement ainsi, nous vivons heureux. »
« Je participe à beaucoup de programmes de développement de l’athlétisme avec le comité olympique [au Qatar]. Nous rencontrons beaucoup de monde avec un objectif précis, celui de rendre à ce sport la valeur qui est la sienne. Nous travaillons avec beaucoup d’efficacité et pas seulement au Sports Club de Doha [ndlr, le nom du stade olympique de Doha]. » Et les progrès en ce sens sont notoires, se félicite-t-il, quelques secondes avant de serrer une sincère poignée de main au Président de la Fédération, le docteur Al Kuwari. « Il y a deux, trois, quatre ans, ce sport était pratiquement impopulaire. Depuis quelques temps, maintenant, le gens s’y intéressent, viennent nous voir, nous encouragent. On a vu changer l’intérêt des gens à notre égard. Ça a pris – et ça prendra encore – du temps mais les progrès sont palpables », conclut-il alors.

Thomas Röhler: « Penser au lancer à 100 mètres, c’est quelque chose de fou »
De son côté, l’Allemand et javelotiste Thomas Röhler perçoit également un changement certain auprès du public quand l’on en vient à évoquer la discipline. « Les médias commencent à s’intéresser et à comprendre le lancer du javelot. Et il faut dire que le niveau s’est grandement élevé, affirmait-il en conférence de presse au City Center Mall de Doha. Au début, personne n’imaginait que je puisse atteindre les 90 mètres et voilà qu’aujourd’hui, j’en viens à l’idée de battre le record du monde. »
Thomas est toutefois un garçon réservé. À 26 ans, il connait ses limites et son train de marche. Était-il réaliste d’évoquer un lancer aux 100 mètres ce vendredi soir au Qatar Sports Club ? « 100 demain, c’est quelque chose! Je ne peux même pas juger cela raisonnable. J’espère bien terminer ma carrière en approchant les 98 ou 99 mètres, mais les 100, ce serait quelque chose d’impensable. Néanmoins, j’ai hâte d’arriver au meeting, je me suis bien préparé, j’ai eu un entraînement intensif. D’autant plus que nous sommes une année où sont programmés les championnats d’Europe, à Berlin qui plus est. Les plans sont évidemment tournés vers cette échéance. »
Un événement qui va assurément primer les grands lanceurs allemands; ils sont par ailleurs trois à disputer l’épreuve du javelot à Doha. « C’est quelque chose de spécial pour nous. C’est comme un championnat national, au goût d’un championnat du monde. On entre dans un univers tout-à-fait nouveau où le public répond présent de manière parfois surprenante. De plus, en Allemagne, nous sommes trois à avoir atteint la distance des 90 mètres [ndlr, Johannes Vetter et Andreas Hofmann, tous deux présents à Doha], cela n’était plus arrivé depuis longtemps. C’est ce qui nous pousse par ailleurs à nous surpasser, entre nous. Et auprès des médias et des jeunes, cela a un impact considérable. Tous veulent désormais lancer un javelot. »
« Et voici la question: et si je n’y arrive pas ? »
Thomas Röhler, spécialiste allemand du lancer du javelot
Puis, l’on revient sur le record du monde. Est-il vraiment atteignable ? « Et voici la question qu’il faut se poser: et si je n’y arrive pas ? C’est une grande question », lâche-t-il, très sérieusement.
« C’est aussi celle qui définit quel exemple l’on donne aux jeunes. Je suis champion olympique de ma discipline, c’est donc à moi de savoir les buts qui sont réalistes ou pas. Et surtout à quel moment. Pour battre le record du monde, il faut sentir le moment, les bonnes conditions qui font que cela soit possible. Il faut donner un sens aux responsabilités qui incombent à tout un chacun. Si l’on n’y arrive pas, c’est que l’on s’est trompé sur soi-même, dans le jugement que l’on s’est fait sur nous-mêmes. L’on peut penser aux records, mais pas chaque jour. Il faut savoir quand y penser en analysant les différentes situations. Si je sens que le vent tourne en ma faveur, naturellement que je serai motivé à me surpasser, mais si ce n’est pas le cas, c’est inutile de forcer. Pour réussir un bon lancer, il faut trouver la juste voie, la juste vitesse, le juste mouvement. »

Les Qatariens prêts pour “leur” meeting
La presse en a rencontrés trois cet après-midi à l’hôtel des médias à Doha. Les Qatariens sont toutefois au nombre de 16 à Doha pour le premier meeting de la Diamond League. Et parmi eux, certains ont réalisé des performances fort prometteuses pour le sport du coin. En effet, au-delà de Mutaz Essa Barshim, il y a aussi le spécialiste du 400 mètres haies, Abderrahaman Samba. Le jeune homme de 22 ans est en réalité d’origine mauritanienne, naturalisé qatarien en mai 2016. Et depuis, sous ses nouvelles couleurs, il est parvenu à se distinguer sur le pistes. En mars 2017, il porte son record personnel à 48”31 secondes avant de remporter le meeting de Doha sur un temps rapide de 48”44. Une saison providentielle qui lui a aussi permis d’entamer sous les meilleurs auspices l’année 2018.
En effet, dans le plateau qui sera celui de vendredi soir – où figurera également le Suisse Kariem Hussein, arrivé à Doha ce jeudi après-midi – il reste le détenteur de la meilleure performance mondiale, à 47”90, courus à Potchefstroom en Afrique du Sud. Preuve que la jeune pousse du pays a encore progressé dans son exercice. « J’ai été surpris de ma saison, surtout de mon début d’année en 2017 », avoue-t-il, réservé à l’hôtel des médias jeudi après-midi. Il faut dire que l’athlète provient d’une famille qui joue et s’exhibe surtout dans le football. C’est seulement à l’école qu’Abderrahaman découvre l’athlétisme. Puis, ce n’est qu’en 2011, qu’il a choisi sa voie. « J’ai essayé alors plusieurs disciplines, le saut en longueur, en hauteur et, parmi tous, j’ai préféré m’orienter sur les 400 mètres haies », aiguillonne-t-il alors.
« Je suis très heureux de courir contre les meilleurs athlètes de ma discipline »
Abdalelah Haroun, spécialiste des 400 mètres plat
« Lors de cette saison sans championnat majeur, je vais surtout prendre plaisir à courir, tout en restant performant », conclut alors Samba. Derrière, quelques minutes plus tard, apparaît un autre visage marquant de l’athlétisme qatarien. Abdalelah Haroun n’a que 21 ans et pourtant, on lui crédite déjà le meilleur avenir. Troisième des 400 mètres en finale des championnats du monde de Londres en 2017, le Qatarien (d’origine soudanaise) a pris toute la mesure de sa médaille de bronze.
Compétiteur apparaissant surtout dans les championnats panarabes et asiatiques – qu’il domine par ailleurs depuis 2015 –, il sera aligné pour la première fois dans un meeting de la Diamond League: « Je suis très heureux de courir contre les meilleurs athlètes de ma discipline. Je vais assurément donner de mon mieux pour ma première apparition. » Le garçon (classe 1997) est par ailleurs revenu il y a une semaine de son camp d’entraînement au Brésil, à Rio de Janeiro. « Je me sens donc bien en forme », affirme-t-il jeudi au Marriott Marquis Hotel. Amateur de courses, il se montre aussi très intéressé par les disciplines du sprint: « Chaque année, je m’entraîne sur des distances de 60 mètres et j’ai de très bons chronos. Donc peut-être qu’un jour me verra-t-on aligné sur 100 mètres ? » Pour l’heure, c’est bien sur les 400 mètres que le jeune homme prépare les prochains mondiaux qui auront lieu à Doha en 2019, ainsi que les Jeux Olympiques de Tokyo en 2020.