De l’Islande à la Calédonie, Fred Guichen ouvre les portes du paradis

Fred Guichen et son accordéon diatonique ont, ensemble, (re)découvert les plus belles traditions de leur Bretagne natale, avec une envie de voyage en plus. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino

Quelques mois après son frère, Fred Guichen a sorti, ce 13 avril, un nouvel album personnel, Dor an Enez, où il explore l’héritage de la musique celtique. Véritable union entre les îles du nord Atlantique, le 14 titres voyage entre la Bretagne, l’Irlande, l’Islande et l’Écosse. Un tour d’horizon qui lui permet, avant tout, d’opérer à un véritable retour aux sources. Mais sans pointe de mélancolie, ou très peu.

Une porte vers le paradis. (Pas tout-à-fait) traduit comme tel, Dor an Enez, le nouveau disque de Fred Guichen sorti le 13 avril dernier, offre immanquablement l’occasion de voyager. D’abord car il revient de manière joyeuse sur les racines (mais aussi les traditions) de la Bretagne, puis car il invite à s’en détourner quelques instants. Anciennement parlant, c’est au souvenir de quelques “papars” que Fred puise ses (toutes) premières envies de composer. Les “papars”, pensés à l’image de quelques moines irlandais installés dans les îles nordiques de l’océan Atlantique, de l’Islande à la Grande-Bretagne, survolant les contrées des Shetland et des îles Féroé, sont les prestataires d’une tradition celte étendue, inscrite dans l’histoire et le souvenir. Aussi, le véritable symbole de l’exploration conviée par Fred Guichen dans son nouvel opus reste assurément le macareux… moine, symbole d’une longue pérégrination entre le Canada et Perros-Guirec, longuement implanté en Islande, tout en se raréfiant sur les côtes continentales européennes, parmi lesquelles, celles de Bretagne. « Le macareux [ndlr, figurant sur la pochette de couverture du disque] est un oiseau emblématique de la côte. C’est aussi un oiseau rare », nous précise Fred Guichen. « Il n’y en a malheureusement plus beaucoup près de chez nous. On le retrouve toutefois beaucoup dans les îles nordique, en Irlande, en Islande et au Canada. » C’est bien le lien (entre toutes ces régions) que l’artiste souhaitait inscrire dans l’assemblage de son 14 titres. Une symbolique authentique de la Bretagne, tout autant que de l’unité entre les diverses contrées celtiques de l’Europe occidentale. Voilà – alors que Jean-Charles Guichen retrouvait dans sa Bretagne de l’Ankou, le rapprochement entre les terres centrales et les côtes de sa région du nord de la France – que Fred, quant à lui, propose une excursion plus lointaine, plus étendue; de l’illustre Armorique, à l’ancienne Calédonie.

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Aussi, au travers du disque, le sensible passionné comprendra rapidement le parcours dessiné par Fred Guichen. Sur un solo d’1’39 minute, l’accordéon de l’auteur appelle – littéralement – l’Irlande. En vrai, « tout seul, j’attends un coup de téléphone qui ne devrait tarder à arriver. » Le titre – Call to Ireland donc – est un premier intermède, un prélude à un accostage à tout égard exotique. Car le lieu d’atterrissage est précis, un peu loin des côtes océaniques, dans le comté de Tipperary. Sur des airs de banjo et mandoline (joués par Pierre Muller) et d’un uillean pipe – une cornemuse irlandaise somme toute assez récente mais aux références remontant au XVIe siècle (avec l’ancestral Piob Mhor) –, joué par Sylvain Barou, le titre Son of Tipperary est un véritable hommage. « Un hommage à Sean McGowan qui a toujours été une source d’inspiration. J’ai composé le titre en imaginant que ce soit lui qui danse dans sa ville natale de Tipperary », raconte Fred Guichen. Mais le plus grand périple est bien celui de Reykjavik, Ísafjörður ou encore Vík í Mýrdal, fondamentalement l’Islande. Sur 8’21 minutes, le titre cardinal du troisième opus de Fred Guichen est une composition édénique vers un paradis blanc. Dor an Enez – traduit littéralement porte vers les îles – joue sur les émotions, le ressenti personnel et une passion enjouée pour les petits territoires escarpés, perdus dans l’immensité de l’océan. Le violon de Sylvaine Guichen (sa femme) et les guitares du Finistérien Jacques Pellen appellent volontiers à cet examen de conscience. « En tant que Breton, nous sommes tous dirigés vers les autres, vers les îles. Nous sommes tous au bord de la mer où que l’on soit en Bretagne. Nous nourrissons tous cette passion pour les pays celtes: l’Irlande, l’Écosse, les Pays de Galles et la Bretagne bien sûr. Une passion aussi pour les voyages vers les îles du nord, tels que l’Islande. Ce disque part de la Bretagne, contourne le cerceau celte, par l’Irlande et l’Islande et finit en Écosse », aiguillonne l’artiste. Les derniers titres appellent, en effet, le pays des Gaëls, un peuple irlandais établi sur les terres de la Scotia. Aussi car de l’uilleann pipe irlandaise, c’est la cornemuse écossaise qui s’exalte dans un solo de Yann Pelliet sur la dernière partie du titre Bezvenn, le dernier du CD. « Bezvenn est une musique sur trois parties. La première [ndlr, titre 11] se décline ensuite sur Angelus qui est la même mélodie. Puis, elle laisse une porte ouverte vers la cornemuse [ndlr, au titre 14]. C’est l’accordéon qui appelle la cornemuse. Le thème est le même, pas la tonalité mais je fais un appel, une véritable porte ouverte sur l’Écosse. » Pour Fred Guichen, confiera-t-il, l’Écosse restera une source d’inspiration éternelle, lui qui, ado, rêvait d’y aller « pour sa musique traditionnelle et classique. »

Un retour aux sources, moins mélancolique

Un rock celtique, sinon oublié, longuement adouci. Les Frères Guichen qui firent danser énergiquement la foule sur la scène du Village du Monde au Paléo Festival en 2016 ont tous deux souhaité, à quelques mois d’intervalle, revenir aux sources, à une confection plus adoucie d’une musique qui ne délaisse pas pour autant sa volonté festive. Dor an Enez est un opus par lequel l’eau côtière est parmi les plus berçantes. Que l’on soit au large de l’Islande, de l’Écosse, de l’Irlande ou encore de la Bretagne, la mer reste partie prenante des compositions de Fred Guichen, rythmée tout autant que flottante au milieu de l’instrumentation. Par delà les flûte traversière et uilleann pipe de Sylvain Barou, les violons de Sylvaine Guichen, le biniou de Lionel Le Page, les bouzouki et bodhrán de l’Irlandais Dónal Lunny, les banjo et mandoline de Pierre Muller, la cornemuse écossaise de Yann Pelliet, les bombardes de Youenn Roue, les guitares d’Erwan Moal et Jacques Pellen, et l’accordéon diatonique, l’écume des vagues joue de métronome. Mais au contraire de Breizh an Ankou de son frère Jean-Charles (2017), la retour aux fondamentaux s’est voulu être moins mélancolique. « Je suis en effet moins mélancolique que dans mon précédent album d’il y a cinq ans, Le Voyage Astral (2013). Ici, j’ai retrouvé une joie de jeu avec des compositions inspirées de Bretagne. J’ai toujours envie de faire danser, de retourner vers les fest-noz. Et les voyages que permet cet album tend davantage dans cette veine-ci », raconte Fred Guichen avant de poursuivre: « Il m’a fallu quatre ans pour réaliser l’album pour lequel j’ai réuni des compositions qui me paraissaient les plus positives, sans être moins intimistes, moins sombres. J’avais envie de retrouver une dynamique plus dansante à une époque un peu anxiogène. Il me semble nécessaire d’aller à contre-sens. »

« Il y a tout de même une histoire triste, celle de la vie »

Fred Guichen

Il y a alors, tout de même, une histoire triste dans ce nouvel album. Oscillant entre mémoire et danses traditionnelles, il est un passage, une interlude plus intimiste, plus nostalgique de temps (plus) anciens. Sorry Tales et Koad Gwernaon, tirades intégralement jouées par l’accordéon diatonique, racontent également les infortunes de la vie. « Cette suite [entre les deux morceaux] est un hommage à mon grand-père que je n’ai jamais connu. Il travaillait dans les bois et j’avais cette sensation, cette envie de composer une sorte de message. J’ai pensé et réalisé ce morceau avec l’idée que les personnes qui ne sont plus là, sont toujours autour de nous. C’est une histoire triste parce que malheureusement la vie veut que chacun finisse toujours par s’en aller, mais elle retient aussi un quelque chose d’imaginaire. C’est une musique interprétée avec du cœur », précise l’artiste.

Une sensibilité partagée à plusieurs

Fred Guichen n’est assurément pas seul. Son troisième album signé de son seul nom – après Le Voyage Astral (2013) et La Lune Noire (1998) – ne prédit pas une simple cascade musicale accordéonistique. Tout est plus profond, aussi car la culture celtique n’est pas celle d’un seul homme isolé, mais bien d’une communauté élargie de personnes qui, outre-Manche, se considèrent d’une même famille. C’est en tout cas le message solennel fardé par Dor an Enez. De plus, dans le sillage musical des deux frères Guichen, Alan Stivell, Dan Ar Braz, David Hopkin’s ou encore Red Cardell – parmi plusieurs – figurent toujours d’immuables inspirations. D’autres, en revanche, ont directement collaboré pour ce nouvel opus, sorti le 13 avril dernier. Parmi ceux-ci, les guitaristes Jacques Pellen et Dónal Lunny sont, pour plus, d’authentiques références artistiques. « On raconte tous notre passion pour notre pays, parce la Bretagne est notre “pays”. On a cette passion pour cette même musique et on la retranscrit forcément quelque part de la même manière. Elle nous fait vibrer et dégage une énergie particulière. C’est bien évidemment un sous-entendu, un lien issu de l’inconscient. Pour moi, tous sont des références profondément inspirantes. Dan Ar Braz, les sœurs Goadec et tous les musiciens du terroir Plinn [ndlr, danse traditionnelle régulièrement présente dans les fest-noz] », confirme l’artiste avant de poursuivre : « Nous avons tous en tête cette musique [folklorique et traditionnelle] que nous avons longuement écoutée dans notre enfance. Mon inspiration est de fait une suite logique à la leur. Ce sera toujours un mouvement perpétuel, comme dirait Paganini. Dans toutes les musiques populaires bretonnes, l’on retrouvera cette même transmission des sons et des émotions. »

« Il est une esthétique qui m’est propre, un romantisme dans mes histoires, j’aime jouer des valses et voir danser les couples »

Fred Guichen

C’est à 14 ans que Fred Guichen aguiche son accordéon diatonique et traduit ses inspirations en musique, toujours dans la plus pure tradition de sa Bretagne natale. Il y a d’abord eu Ar Re Yaouank, le groupe qu’il a créé avec son frère Jean-Charles et avec lequel ils délivrent quatre albums entre 1989 et 1996; il y a un duo, les Frères Guichen, qu’ils font vivre ensemble depuis les années 2000 en studio, dans les fest-noz et les festivals d’été (à l’image du 41e Paléo Festival) et puis il y a le parcours solitaire. Et quand bien même Fred caresse les notes de son accordéon, il n’est jamais bien seul. Les plus grands musiciens de sa jeunesse et ceux qui lui sont proches ne sont jamais bien loin, comme dans une famille très étendue. « Dans la vie c’est pareil, on s’entend avec des gens qui font partie de la même famille d’âme et d’esprit. Je pense, avec mes amis musiciens, que l’on a la même touche de perfectionnisme pour la musique et son esthétique. L’on développe assurément la même expression avec des instruments, quand bien même les carrières, les univers et les inspirations sont différentes. Il y a simplement un point de communication, un point de contact dans notre façon de traduire les sentiments et nos émotions qui fait que nous puissions jouer face à face ou côte à côte. Avec Jacques [Pellen], c’est à chaque fois comme ça; cela fait trois fois que je l’invite dans un album. » Et les relations apparaissent, comme toujours, évidentes: « Quand j’écris des thèmes et je compose des morceaux, il m’apparaît limpidement, dans ma tête, la ou les personnes qui vont jouer et collaborer pour ce morceau-ci. Pour Dor an Enez, je savais tout de suite que Pellen et mon épouse allaient m’accompagner. Je les entends quand je compose et je leur laisse libre court dans leur interprétation. » Par ailleurs, il est un titre – le premier, Noces Bretonnes – que Fred a dédié à sa femme Sylvaine, avec laquelle il fête ses 27 ans de mariage. Et l’histoire, ici aussi, est riche de sens: « C’est un morceau que j’ai écrit en 1992, lors de notre rencontre et je n’ai jamais eu l’occasion de le publier. J’ai par ailleurs mis 25 ans à le finir. Aujourd’hui, je peux enfin le lui dédier », explique-t-il. Enfin, comptent aussi les choix opérés dans le tissu instrumental, à l’image des cornemuses, du bodhrán ou encore de l’uilleann pipe, chacun représentant (et symbolisant) un pan de l’histoire de la musique celtique. Encore une fois, ici, Fred Guichen y va de sa spécialité: « Il est une esthétique qui m’est propre, un romantisme dans mes histoires, j’aime jouer des valses et voir danser les couples. Les tessitures de chaque instrument sont toutes en cohérence les unes avec les autres. Il y a une finesse également dans le jeu de chaque musicien, comme si nous étions tous membres d’un même groupe. Nous pourrions en être un, mais ce n’est pas le cas. Chacun fait simplement partie d’un ensemble harmonieux. » Fred Guichen est alors à l’image de sa musique, un chantre tout autant qu’un moderniste.