Sortez les sabots ! Dr Martens et accessoires cloutés devraient largement dominer le 2M2C pour la 52e édition du Montreux Jazz Festival. Retour sur l’annonce du programme en musique et rencontre avec son investigateur Mathieu Jaton ainsi que Rémi Bruggman et David Torreblanca aux commandes du Jazz LAB et du Lisztomania (dont la programmation sera servie le 31 mai).
« Pas de longs discours, music talks better than words » : nul ne résumera mieux la présentation du 52e édition du Montreux jazz Festival que son maître de scène. Il ne faut pas s’y tromper : le clinquant Petit Palais accueillait un Mathieu Jaton tout en sobriété et en élégance ; effacé, il se contente d’une discrète intervention conventionnelle en fin de présentation. Le festival, loin de se regarder le nombril sur ses têtes d’affiches – Deep Purple, Nine Ninch Nails, QOTSA, Iggy Pop, Nick Cave notamment – déjoue la monotonie et les codes. Plus qu’un banal dévoilement des lines-up, la conférence de presse avait plutôt l’apparence d’une ode printanière, un interstice avant les réjouissances de l’été. Intelligent et malicieux, ce retour à l’essentiel fait transparaître l’esprit du MJF : les rencontres et la musique. Rencontre du public, rencontre des artistes : Tamino (6 juillet) et Flèche Love (13 juillet) étaient les véritables fers de lance de ce bout de festival avant l’heure. Le premier a troqué sa flûte enchantée contre une gratte. À seulement 21 ans et avec pour seul bagage un EP de 5 titres, le jeune belge fait preuve d’une aisance d’attraction déconcertante. Tantôt grave, tantôt perché, l’ancien chauffeur de salle de Warhaus emmène son auditoire dans des contrées orientales. Puis, tel un mantra, Flèche Love glisse son grain de folie. Sous ce projet qui nous va droit au cœur, on retrouve en solo Amina Cadelli, ancienne plume et interprète du groupe suisse Kadebostany. Inutile de la cloisonner dans un genre : à l’affût de ses inspirations, elle puise tant à l’électro qu’à la saoul et promet d’enflammer le Lab en juillet. Sur le papier antagonistes, les deux artistes qui se sont découverts à l’occasion du Montreux Jazz partagent, comme le souligne Mathieu Jaton, des points communs : « Flèche Love est tenante d’une musique plus électro, plus rythmée avec des sonorités arabisantes. Tamino, bien que dans un style à la renverse de ce que propose Flèche Love, se retrouve dans le touché musical oriental. Les deux ont des racines nord-africaines, elle algériennes et lui égyptiennes. Et on le ressent dans leurs musiques. C’est justement ce que nous essayons et essayerons de montrer encore cet été; même si l’on propose du rock, du jazz, de la pop, de l’électro, l’on finit toujours par trouver des liens entre chacun des artistes programmés. C’est la beauté de notre travail, aller gratter dans l’histoire de chacun – découvrir leurs collaborations, leurs origines. »
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Une alchimie laborantine
Bien que Tamino et Flèche Love aient partagé la scène pour quelques titres, ce savant mélange des genres et des univers prend naissance dans le désormais emblématique Jazz LAB, bassin d’investigation et d’élaboration musicales, dont la programmation est élaborée par les chimistes Rémi Bruggman – ancien programmateur du Romandie – et David Torreblanca : « C’est notre plaisir de programmateurs de faire un plateau. On fait un peu de l’art : mettre les choses ensemble à deux permet de partager des idées. Parfois on est d’accord, parfois non. On ferme les yeux, on voit des couleurs, quand c’est les bonnes, cela donne de la magie », consent David Torreblanca. Tâche délicate dont seul le public est jauge de réussite : « Quand le public se dit parfois qu’il n’aurait pas vu tel artiste avec tel autre et qu’au final il trouve que c’est un joli plateau, c’est un pari réussi pour nous. Ce n’est pas évident parce qu’on a cette pression. Il faut remplir la salle avec 2’000 personnes. Avec certains artistes indépendamment du plateau, on ne pourrait pas remplir la salle. Avec le plateau, on sait que l’on va attirer du monde. Les gens cherchent cette expérience » soutient Rémi Bruggman. Pour exemple, c’est le cas de la soirée du 13 juillet où Flèche Love partagera la scène avec Angèle – programmée également au Paléo – et Lomepal, qui sera dérobé, au jeu des sept familles, à la plaine de l’Asse : « Cela fait très longtemps qu’on est dessus. Lomepal sort du rap et du hip-pop, c’est aussi de la chanson avec des influences comme Jacques Brel. Il fait de tout. On était vraiment acharné pour qu’il vienne, on s’est battu. On l’a confirmé très tôt, nous avons parié dessus », précisera encore David Torreblanca, ancien compère au MJF de Mathieu Monnier, désormais passé auprès de son père à la programmation du Paléo.
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Le rock, cette star
Pour cette nouvelle cuvée, le Montreux Jazz se démarque diamétralement de son concurrent principal en misant sur le rock avec une palette impressionnante : metal, punk, grunge, garage, stoner… Pour Mathieu Jaton, ce fil rouge relève plus du hasard et des aléas du calendrier : « Le tout donne une teinte particulière que j’assume parfaitement. Quand nous construisons notre programme, nous ne le faisons pas avec la volonté ou l’arrière-pensée que cette année, ce sera l’année du rock. Parfois, nous le soulignons en conférence de presse, et cette fois je ne l’ai pas fait, car la teinte est très éloquente. J’en suis très heureux. Ce que j’aime, c’est que l’on se laisse porter par nos envies et nos ressentis. Cette année, sans l’avoir véritablement cherchée, nous avons une sorte d’histoire du rock qui part des Deep Purple jusqu’à Gojira [5 juillet au Montreux Jazz Lab] et Alice in Chains [7 juillet au Lab]. Nous aurions pu mettre le frein à main, mais nous avons préféré laisser la programmation se dessiner, sans contraintes. » Il reste tout de même fort à parier que les deux grands festivals vaudois polariseront un public différent, à moins que les 250 concerts programmés gratuitement à Montreux annoncés le 31 mai (du Strobe Klub au Music in the Park, en passant par le Lisztomania) promettent des surprises.