Parmi les nouvelles pousses de l’humour romand figurent également Cin et Bruno Hausler. Les deux ont déjà joué en France – au Paname Art Café –, les deux se sont découverts lors de l’édition 2017 du Banane Comedy Club, les deux bénéficient d’un héritage théâtral et les deux tendent – à leur manière – vers le stand-up. Les deux viennent également de créer leur série de représentations “Split” au Caustic Comedy Club, deux fois par mois jusqu’au 23 juin. À découvrir !
C’est une fille simple qui jongle entre le calme le jour et l’énergie le soir, sur scène. Du moins, c’est ce qu’elle fait transparaître. À 21 ans, Cinzia Cattaneo – pour tout le monde, ça restera Cin – n’a qu’un an de scène dans les pattes mais son évolution, depuis sa première apparition sur les planches, laisse préfigurer une expérience déjà plus sentie. Elle apparaît dans la pénombre de la petite salle du CPO à Ouchy, mains libres, micro-casque sur la joue et débute son set. Mercredi 4 avril, elle restera sur scène un bon quart d’heure, occupant l’espace et gesticulant vivement. Au programme, elle passe entre deux valeurs sûres de ce Jokers! Comedy Club, après Yoann Provenzano et avant un certain Mike Paterson, valeur connue et reconnue de la scène et des télévision canadiennes. Et entre-deux, Cin défend sa fraîcheur et son jeune talent. Son premier défi sera bien de dissimuler sa tension devant l’assistance comble, puis gérer le rythme de son sketch, le cadencer au mieux. Il faut dire que Cin part de loin, quand bien même une éducation théâtrale lui sert de renfort sur scène. Il n’y a, en effet, que quelques mois que la jeune comédienne livre sur les planches les écrits qu’elle a autrefois composés seule dans sa chambre. C’est par ailleurs un tremplin qui l’a poussée. « Mes amis m’ont identifiée sur une annonce pour le Banane Comedy Club [ndlr, concours d’humour de l’Université de Lausanne et de l’EPFL] et j’ai tenté l’aventure », raconte-t-elle, assise dans la cafétéria du bâtiment de l’Anthropole à l’Université. Ce matin, elle venait de quitter son cours en histoire de l’art. Opérant sa première année de Bachelor, mi-temps aux Université de Lausanne et Genève, elle tente de faire de l’humour une passion solidement implantée dans son futur professionnel. Les deux – ses études et la scène – sont inévitablement liés, entrelacés, comme deux extrémités cohésives. Pendulaire entre Lausanne et Genève, entre l’UNIGE et l’UNIL, entre le Caustic Comedy Club, où elle sied régulièrement en compagnie d’une autre jeune pousse de l’humour Bruno Hausler, et le CPO à Ouchy, Cin lie l’ensemble dans un parcours de vie linéaire, continu et relativement peu segmenté. Ses débuts – donc – n’ont pas commencé au Banane Comedy Club par hasard; l’entourage universitaire était bien le plus propice à sa carrure. Elle a d’abord atteint les demi-finales puis, grâce au vote du public, elle a rejoint la finale, disputée au CPO, à Ouchy toujours. Ce 13 avril 2017, elle partage alors la scène avec les figures fortes du futur Tataki, Randy Guine et Sacha Porchet, ainsi que des cofondateurs du Kémédy Club, Kévin Eyer et Mehidin Susic. Ce dernier avait par ailleurs même remporté l’édition.
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Elle ne se sera alors pas distinguée pour sa première grande scène, mais son entrée dans le cercle de la relève de l’humour romand, lui, était amorcé. Elle y rencontre Sébastien Corthésy, producteur et programmateur de la marque Jokers!, et les premiers contacts sont alors prometteurs. Elle figure dans plusieurs scènes ouvertes – en Suisse et même au Labo du rire au Paname Art Café à Paris –, joue régulièrement au Kémédy, a connu deux grands matches d’improvisation et donc un set de 15 minutes avec Jokers! et se prépare également à délivrer, au début du mois de mai, son premier spectacle d’une heure… au Caustic à Carouge.
Une résidence au Caustic Comedy Club
Cin a surtout une résidence au Caustic. C’est-à-dire qu’elle y est soutenue par des professionnels qui l’aident dans ses démarches sur scènes et dans sa technique. Par ailleurs, elle y effectue entre 6 et 12 heures de répétition par semaine et y a déjà effectué ses plus grandes scènes, notamment lors de premières parties d’Alexandre Kominek et Marina Rollman mais aussi de son camarade de jeu Bruno Hausler en février. « Je travaille avec des metteurs en scène qui étaient intéressés à m’accompagner au Caustic », affirme-t-elle. À vrai dire, son berceau de production est donc à Carouge, Sébastien Corthésy s’occupant, quant à lui, davantage de son agenda. Et à ce propos, elle y a livré, ce mercredi 11 avril, la première de “Split” – un spectacle 50/50 qu’elle assure avec Bruno Hausler, toujours. Un programme qui devrait durer, en principe, deux fois par mois jusqu’au 23 juin prochain. Le but ? se partager des minutes la scène (entre une heure et 80 minutes surtout) en vue des spectacles respectifs qu’ils préparent en arrière-boutique. « On va commencer avec 30 minutes chacun, pour ensuite évoluer. De 30 minutes, on passera ensuite à 40. L’objectif sera de monter en densité », explique-t-elle. Aussi, cela change de tenir la barre sur scène, 15, 30, 40 ou encore 60 minutes sans interruption. Aussi, faudra-t-il appréhender au mieux les planches, face à un public pas nécessairement parmi les plus avertis. « Il me faut retravailler le spectacle avant sa première en mai. J’ai donc envier de varier les parties sur mes prochaines scènes. » Cin souhaite bien poursuivre l’évolution qui est la sienne depuis son Banane en avril 2017. « J’avais peur au début, mais depuis toujours j’ai voulu faire de la scène – débute-t-elle avant de poursuivre – J’essayais d’écrire en marge de ma première année de médecine à l’Université, faculté que j’ai ensuite laissé tomber. Quand je suis arrivée au Banane Comedy Club, je n’avais encore jamais montré un seul des sketches que j’avais alors déjà écrits. » Puis, elle avoue: « Depuis un an, je sens que j’ai beaucoup évolué mais certaines choses restent encore à améliorer. »
« On se sent bien intégrés, Yoann et Alex nous prodiguent plein de conseils »
Cin
Pourtant, Cin le sait. Elle fait partie du jeu, du game. Elle appartient à la relève de l’humour romand, et ça, c’est déjà un pas de géant vers sa volonté de parcourir la scène. « On se sent bien intégrés, Yoann [Provenzano] et Alex [Kominek] nous prodiguent plein de conseils. Certainement que depuis février, on se sent être davantage dans le “game” », aiguillonne Cin. Une première réussite pour l’humoriste d’origine italienne (de Florence, née en Suisse). C’est, à quelques mots près, la même réponse que donne son acolyte de scène, Bruno Hausler: « D’avril 2017 lors du Banane Comedy Club [ndlr, Bruno s’était arrêté en demi-finales] au mois de janvier 2018, Cin et moi avons très peu tourné. Tout a véritablement pris dès le mois de février, pile au moment où Sébastien Corthésy venait me voir en spectacle. Tout s’est accéléré depuis. »
Un humour teinté d’auto-dérision et d’absurde
Avec huit années de théâtre derrière elle, Cin a certainement touché à l’ensemble des possibles sur une scène, de l’improvisation à la comédie. Les deux se retrouvent dans l’univers de l’humoriste, même si de manière différente. « On a bien sûr touché à l’improvisation au théâtre. Et il faut dire que, même si je n’ai pas l’habitude d’improviser sur scène, l’ensemble de mes sketches écrits partent toujours de situations improvisées. » Aussi, Cin teinte énormément son jeu d’une touche d’absurdité assumée, en plus de l’auto-dérision. Mêlée à l’énergie des personnages qu’elle incarne, autant dire que son univers laisse cours à beaucoup de diversité : « Je dirais que je suis à mi-chemin entre le stand-up classique et le sketch pur. Mais le sketch, la partie comédie, m’intéresse plus. » Il apparaît sans doute plus difficile de prendre le public à soi dans de telles conditions, la rapidité des mouvements et du texte et l’absurdité risquant d’impliquer trop intensément le public dans un trouble peu commode, mais l’artiste sait que tout se joue dans la nuance, la calibration et la gestion du rythme. « Je sais que quand le spectacle est trop rapide, l’on a davantage tendance à étouffer le public, raconte-t-elle. C’est pourquoi je dois jouer dans (et miser sur) la variation. » Intelligente, elle parade sur ses forces, pour éviter de se perdre, elle laisse aller sa créativité: « J’instaure (un peu) un quatrième mur entre moi et le public, mais dans ces conditions-ci, on peut sans doute tout faire. De plus, l’absurdité que je mets dans mes personnages laissent sensiblement plus de liberté que si je récitais un stand-up classique. » Autant dire, que sur scène, sa marge de manœuvre est grande. Lui reste qu’à travailler la finition, le rythme du tout et Cin sera prête pour le grand saut: son premier one (wo)man show dès le mois de mai. Avant cela, elle aura encore les occasions de se montrer; à l’espace culturel du Nouveau Monde à Fribourg le 21 avril, puis lors des pré-sélections de Morges Sous Rire, le 26 avril au CPO.
« Avec Cin, on se complète bien sur scène, aussi parce que je tends plus vers le modèle du stand-up classique »
Bruno Hausler
Bruno Hausler, quant à lui, est plus posé sur scène. Son style reste bien différent de celui de sa camarade de jeu. Si les parcours de carrière sont, à proprement dit, similaires, le style diverge sensiblement. « Je n’ai pas envie de tenir des personnages sur scène comme le fait Cin. Je tends plus vers le modèle du stand-up classique. » Bruno n’a également qu’une année d’expérience dans l’humour avec quelques apparitions en France, à Paris où il a pu se produire aussi au Paname Art Café à deux reprises grâce à Noman Hosni, mais aussi à l’Alhambra pour les finales des Best de l’humour, concours soutenu par les Printemps du Rire. Arrivé de plus parmi les six premiers, Bruno a également pu réaliser une petite tournée de quatre dates en Haute-Garonne (principalement à Toulouse) la semaine dernière. Autant dire que du nord au sud de la France, de Paris à Toulouse, Bruno Hausler a déjà parcouru de beaux kilomètres dans le domaine de l’humour. Mais ce n’est pas pour autant que les bases de son spectacles sont déjà bien rodées. Sa première tenue au mois de février – trois dates consécutives au Caustic Comedy Club –, Bruno Hausler continue de travailler son one man show. « Depuis mes trois représentations de “Grand Garçon” [ndlr, le titre de son spectacle] en février, je ne l’ai plus représenter, nulle part ailleurs », affirme-t-il. « Maintenant, je veux prendre mon temps. »
Avec “Split”, Bruno Hausler et Cin prennent le temps nécessaire de maturation
Le temps est le même pour Cin et Bruno Hausler, lesquels ont déjà le scénario de leur spectacle respectif, mais qui reste relativement peu testé, peu joué face au public. Résidents ensemble au Caustic Comedy Club, ils prennent régulièrement leurs repères. « Je veux – et Cin ausi – faire le maximum de scène d’ici à la fin de l’année. Il nous faut avoir du temps de jeu et il faut dire que “Split” aide véritablement », aiguillonne Bruno, avant de continuer: « Avec quelques premières vannes testées, je souhaite renouveler au maximum le texte de mon spectacle que j’ai joué en février. » Également entré dans la troupe du Jokers! Comedy Club, Bruno Hausler se sait également balisé. Sa route est passablement tracée, ne manque qu’à fournir l’effort pour la suivre jusqu’au bout. Ce mercredi 11 avril, à Carouge, Cin et Bruno ont immanquablement livré les premières expériences de leur programme, et c’est une réussite. « Aujourd’hui, nous avons effectivement divisé le temps à une demi-heure chacun. Et je suis heureux que ça se soit bien passé. Au Caustic, nous prenons le temps de travailler, le week-end surtout. Olivia Gardet et Émilie Chapelle [ndlr, les responsables du lieu] gardent un œil bienveillant sur ce que l’on fait. Il me manquait, personnellement, un regard extérieur et je l’ai trouvé. » Les bases scéniques entre Bruno et Cin sont aussi similaires, les deux ayant suivi des années de théâtre. « Je fais du théâtre à côté, mais sur scène, je souhaite faire autre chose », lâche Bruno Hausler. Comprenez par là que son spectacle ne se veut pas être une pure comédie, à défaut d’être un pur stand-up. Et s’il ne joue aucun rôle, il se démarque de l’estampille du genre en refusant de porter un micro-main. « J’aime bien avoir les mains libres. Je ne veux pas me restreindre à un pur stand-up non plus. J’avais essayé le micro-main au début et puis au fur et à mesure que je jouais, j’ai préféré garder de la liberté dans mes mouvements. » Mais du stand-up, il souhaite maintenir une posture inhérente au style: l’interaction avec le public. « Je veux le plus possible intégrer l’interaction dans mon spectacle et dans mes sketches. À mes débuts, je n’en faisais pas et à force de jouer, j’ai appris à gérer même ce genre de situations. Et j’aime vraiment », confirme-t-il. L’impro, c’est son truc alors ? « Le théâtre aide – confie-t-il avant de conclure – Je sais me débrouiller mais je dois encore apprendre à la maîtriser. » Preuve donc que tout est encore vert, mais sacrément prometteur !