À l’orée du printemps, les programmateurs du Paléo présentaient la grille horaire du plus attendu des festivals romands. Résolument tourné vers le hip-pop, la 43e édition embrasse la scène urbaine, des intouchables Gorillaz, Nekfeu, Orelsan, et Suprême NTM aux révélations omniprésentes que sont Eddy de Pretto, Roméo Elvis ou encore Bigflo & Oli. Quant au rock, il se contente de la petite part du gâteau avec des valeurs (trop ?) sûres : Depeche Mode, The Killers, Lenny Kravitz ou encore Indochine.
Une fois n’est pas coutume, Daniel Rossellat et son équipe de programmateurs avaient convié la presse à Nyon, ce mardi 20 mars, afin de présenter leur tant attendue grille des programmes. Du mot de son directeur et fondateur, pas de changement majeur dans l’organisation du festival. Rossellat joue de la métaphore gargantuesque en nous promettant un « très grand buffet musical avec des produits de saison, quelques plats incontournables, mais aussi avec des ingrédients pour que tout le monde y trouve son bonheur ». S’il précise que 83% des artistes présents fouleront la plaine de l’Asse pour la première fois, force est de constater que les élus qui prendront possession de la Grande (ou des grandes) Scène cumulent au moins deux visites à Nyon, ce que relève d’ailleurs le patron : « Cela fait partie de la notoriété ». Au commandement de cette 43e édition, on retrouve également le complice de l’ancien syndic de Nyon en la présence de Jacques Monnier, coordinateur de la programmation. L’équipe se renouvelle également avec du neuf, pas si étranger au festival. En effet, le fils de Jacques Monnier, Mathieu, auparavant programmateur du Lisztomania et du Montreux Jazz Lab au MJF est de la partie. Pour Rossellat, « c’est un heureux transfert. Mathieu est un bébé Paléo. C’est un talent en incubation qui revient chez nous et cela nous fait très plaisir qu’il puisse nous présenter ses coups de cœur. C’est une tête chercheuse. » Une équipe qui se veut donc soudée et aux teintes très familiales, c’est également ce qui ressort pour cette nouvelle année. Semblant anticiper quelques critiques éventuelles sur la nouvelle édition, Monnier père constate : « Une programmation s’adresse toujours à des publics différents, aux âges différents. Nous avons donné une place importante à des artistes qui s’adressent à un jeune public avec une belle palette de hip-hop et de musique électronique ». Et en effet, on constate que le succès croissant des sonorités mélangeant rap et pop est massivement représenté dans le programme, à l’instar des Français Eddy de Pretto, Nekfeu, Orelsan, Bigflo & Oli (il ne manque que Lomepal pour faire un strike !) ou encore le belge Roméo Elvis. Un constat que ne manque pas de souligner Jacques Monnier : « On n’a jamais eu autant de hip-hop, qu’il s’agisse de têtes d’affiche ou de découvertes. Il y a en effet un mouvement important. Le rock s’essouffle un petit peu même s’il y a toujours de très bons groupes. Le hip-hop est en train d’exploser et on suit le mouvement. » Répartis sur la durée du festival, nul doute que la présence de ces nouveaux emblèmes du rap contribueront à hisser certaines journées parmi celles qui gagneront le traditionnel record de rapidité sold-out la semaine prochaine. Par ailleurs, la musique urbaine intergénérationnelle sera consacrée le samedi avec « une soirée autour du monde du rap » pour laquelle « la Grande Scène sera consacrée uniquement à la famille élargie du rap français avec un groupe pour les ados, les gentils Bigflo & Oli et pour leurs parents les méchants Suprême NTM ». Un habitué du festival, Jamel Debbouze, viendra faire la transition.
L’ailleurs aux portes de l’Europe
Au milieu de ces mastodontes, les artistes suisses ne sont pas en reste puisqu’ils constituent environ 20% de la programmation. On retrouve d’ailleurs la patte de Mathieu Monnier avec l’artiste romande Danitsa, présente l’année dernière au Lisztomania. Pour le nouveau venu, c’est l’occasion de jauger la maturité de la jeune femme : « À Montreux, on lui avait proposé une scène très tôt. À l’époque elle avait sorti un titre qui était vraiment super, “Remember me”. Depuis, elle a sorti un album très réussi : elle passe en playlist sur les radios, les médias en parlent, elle fait beaucoup de concerts. Elle va arriver au Paléo avec un show beaucoup plus travaillé et beaucoup plus professionnel qu’il y a un an. » Le festival est en effet, aux yeux de Mathieu Monnier, un nouveau défi à la mesure de l’évolution de l’artiste : « C’est pour cela que quelquefois il vaut mieux ne pas trop se précipiter, programmer des artistes trop tôt dans leur carrière. Quand on propose des grosses scènes comme à Paléo où la plus petite scène c’est tout de même 2’500 personnes, c’est un gros challenge pour certains artistes qui parfois n’ont jamais joué devant plus de 200 ou 300 personnes. »
« Quand on propose des grosses scènes comme à Paléo où la plus petite scène c’est tout de même 2’500 personnes, c’est un gros challenge pour certains artistes »
Mathieu Monnier, co-programmateur du Paléo Festival
Le village du monde est pour sa part à conjuguer au pluriel puisque c’est l’Europe du sud qui sera mise à l’honneur : Portugal, Espagne, Grèce, France méridionale ou encore Italie promettent un programme varié. On notera la présence rare du transalpin Vinicio Capossela qui devrait transporter les festivaliers dans ses univers poétiques. À surveiller également, deux formations programmées cette saison aux Docks : les californiens Black Rebel Motorcycle Club le mercredi – dont les programmateurs sont très fiers d’avoir pu, après plusieurs tentatives, obtenir la venue – ainsi que les Français de Feu! Chatterton et leur rock littéraire le samedi. Moins connu, le chanteur du groupe Balthazar aux allures de dandy se produira sous le nom de Warhaus mercredi également. Lundi, c’est Algiers, coup de cœur des programmateurs qui fera sonner son post-punk teinté de gospel. Enfin, Mario Batkovic promet de repousser les limites et les préjugés de l’accordéon par un samedi d’été.
Mathieu Monnier, du Montreux Jazz à Paléo
Jacques Monnier, programmateur historique du Paléo Festival s’est exprimé sur le retour de son fils au sein de l’équipe du festival nyonnais. En effet, après plusieurs années passées à quelque 70 kilomètres sur la rive orientale du Léman, Mathieu est revenu au bercail, au sein d’une organisation qu’il connaît depuis sa plus tendre enfance. « Mathieu s’est longtemps occupé de la programmation des artistes suisses avec nous. Il est ensuite parti à Montreux et il me semblait logique qu’il sorte du cadre de Paléo. C’est après cinq ans “d’incubation” dans un autre festival qu’il nous revient à Nyon comme tête chercheuse pour la scène électro, hip-hop, rock. Il nous semble important de renouveler l’équipe aussi. » La programmation n’est pourtant pas définie à ses seuls choix, l’opération étant sans cesse le fruit de discussions et délibérations internes entre plusieurs responsables. Alors qu’il co-programmait déjà – de concert avec David Torreblanca – plusieurs salles du MJF, comprenant la scène du Lab, le “nouveau” Lisztomania, le Strobe Klub et quelques concerts organisés au Palace, Mathieu a encore à faire valoir ses préférences auprès de deux autres collègues à Nyon. « C’est un travail entre trois personnes. Quand je suis arrivé, les têtes d’affiche étaient quasiment toutes bouclées. Puis, nous avons vraiment travaillé en groupe sur le reste des choix, quelque soit le style (rock, hip-hop, musique du monde). Chacun voulait apporter ses coups de cœur. » Un exercice qui compose quoi qu’il en soit – et ce, depuis longtemps – son travail à temps plein, aussi car « à part voir des concerts, il y a tout un travail de logistique et une gestion administrative à assurer. »
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Pourtant son expérience au 2M2c de Montreux fait partie de son meilleur apprentissage, hors du cadre familier de Paléo. « Un poste de programmation s’était ouvert il y a quelques années au Montreux Jazz et pour lequel j’ai postulé – explique Mathieu Monnier avant de poursuivre – C’était pour moi une immense chance d’avoir pu participer au plus près de l’organisation d’un festival aussi prestigieux et reconnu que le Montreux Jazz. Aussi, derrière, le Paléo est mon festival de cœur avec mon père qui y travaille depuis les tout débuts [ndlr, première édition en 1976]. Je n’ai manqué aucune des éditions depuis que je suis né; j’ai tous mes badges depuis mes 1 an jusqu’à aujourd’hui. Le festival représente vraiment beaucoup pour moi. Cela s’est fait très naturellement. » Désormais au plus près de son père, la situation reste des plus particulières. « C’est, en effet, assez unique. J’ai grandi dans ce monde auprès de mon père, cela a toujours été une évidence pour moi. Tout s’est fait très naturellement, y compris mon parcours professionnel en dehors du Paléo; je suis passé par des salles de concert à Paris, par des festivals en banlieue parisienne. » Et que pense-t-il, en conséquence, de la concurrence Montreux Jazz/Paléo ? « Le milieu de la musique reste un petit milieu, en Suisse plus particulièrement – raconte-t-il avant de conclure – Mais il est vrai que tous les festivals sont, de manière générale, concurrents. Tout le monde va vouloir attirer les plus grosses têtes d’affiche, les mêmes noms parfois et, à côté, chacun demande aux artistes des clauses d’exclusivité, ce qui fait que certains se voient obligés de faire des choix à un moment donné. C’est ce qui fait que, sur une période donnée, les mêmes artistes peuvent se retrouver à Montreux une année et à Paléo la suivante. Cependant, il y a suffisamment d’artistes pour que chacun puisse proposer une programmation alléchante chaque année. » Celle de ce 43e Paléo semble – à y regarder de près – avoir trouvé une répartition aussi éclectique que ciblée. En juillet 2018, les hip-hop, rap seront en effet à l’honneur sur la Plaine de l’Asse.
Article coécrit avec Yves Di Cristino
Propos recueillis par Fanny Agostino et Yves Di Cristino