Bojan Dimic : « C’est une fierté en tant que Genevois »

Bojan Dimic dirigera le Servette FC dimanche après-midi face au FC Wohlen. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino

« Ses derniers mots, j’aimerais que ça reste entre lui et moi. » Bojan Dimic reste réservé sur son dernier échange avec Meho Kodro, l’entraîneur du Servette FC limogé jeudi matin. Les résultats actuels du club Grenat et les chances amoindries de promotion en Super League – les attentes affichées du club en début de saison – ont eu raison du coach bosnien. Bojan Dimic, son adjoint, assure l’intérim jusqu’à la fin de la saison. Une promotion et une formidable opportunité pour cet enfant de Genève pour qui rien n’advient par hasard dans la vie. Rencontre.

Au Stade de Genève, il apparaît avec un léger sourire ; Bojan Dimic se présente alors pour la première fois en numéro un de Servette. Derrière, Lionel Pizzinat qui avait pris l’habitude d’accompagner Meho Kodro à chacune de ses interventions à la presse, le suit l’air toutefois peu allègre. Non pas qu’il ait la nécessité de traduire de l’espagnol, mais la routine semble avoir pris le pas sur la fonction. Meho Kodro a quitté le navire Grenat dans la journée de jeudi, vaincu par la réalité du terrain peu satisfaisante. « Ce sont des choses qui ne se prévoient jamais. Mais avec la défaite à Vaduz [ndlr, lundi soir 2-1], nous tenons une part de responsabilité. C’est le terrain qui parle, même si Meho était quelqu’un de bien », confie le capitaine servettien Anthony Sauthier. Rien de bien joyeux ; le temps s’y prête peu. « C’est émotionnellement difficile. J’ai passé 14 mois très enrichissants avec Meho. Nous étions très proches. Nous nous voyons sur tout, c’est quelqu’un qui aimait marcher et j’ai fait pas mal de kilomètres ces derniers mois à ses côtés. C’est un moment difficile, je ne le cache pas. Mais il faut rebondir. Nous avons du travail et il faut immédiatement nous concentrer sur le prochain match », commente à son tour Bojan Dimic. Sur le banc de Servette, ce sera bien lui qui sera aux commandes, pour le pire ou le meilleur, et avec un objectif qui ne se détourne nullement des attentes initiales. Le nouvel entraîneur intérimaire ne guidera pas “son” Servette pour le beurre, la promotion en Super League n’étant pas encore pleinement hors de portée. « J’ai horreur de jouer dans la compétition pour rien du tout. Je déteste être dans le ventre mou du classement. Je ne peux pas demander à mes joueurs de faire du foot-tennis à tous les entraînements. Je veux – et c’est aussi mon devoir de – rappeler la fibre de ce club, son histoire au travers de l’étoile qui est cousue sur le maillot Grenat », rappelle-t-il avant de poursuivre : « Tout ce qui nous entoure, dans le vestiaires et la zone mixte de la Praille, c’est l’histoire. Nous devons donner le meilleur de nous-mêmes sur les 14 matches qu’il nous reste à jouer [ndlr, dont un à récupérer à Wohlen le samedi 24 mars prochain]. »

« Kodro avait son propre style de jeu. Était-ce le bout du chemin ? Je ne sais pas »

Anthony Sauthier, capitaine du Servette FC

Toujours est-il que l’annonce du limogeage du Bosnien reste une épreuve à surmonter à l’aube de la 24e journée de Challenge League. Si le Servette FC ne reçoit « que » le FC Wohlen ce dimanche après-midi, la tâche première pour les joueurs sera bien d’effacer l’ombre de Meho Kodro dans les mentalités. « C’est pas le premier ni le dernier entraîneur que l’on verra dans notre carrière. L’on ne peut bien sûr jamais se réjouir de cela, quand bien même nous avons une part de responsabilité sur le terrain. Les jeunes doivent aussi savoir que les licenciements arrivent dans leur carrière et dans le foot. En ce qui concerne Kodro, il avait son propre style de jeu. Était-ce le bout du chemin ? Je ne sais pas », entame Anthony Sauthier, suivi par Alexandre Alphonse : « Nous étions avec Meho et ses méthodes étaient rodées. Il comprend le football d’une certaine façon. Il a joué au très haut niveau mais, comme toujours, les résultats sont les plus importants. » Le choc est tel qu’il puisse ranimer le Servette en cette fin de saison, comme lorsqu’Anthony Braizat fut également reconduit en 2016 ? « Les prochains matches et les prochaines semaines nous diront si le choc psychologique aura eu son impact. Les joueurs qui avaient moins de temps de jeu auront peut-être plus de chance. Ce n’est jamais facile de voir un entraîneur partir mais le club a pris la décision qu’il pensait être la meilleure. La vie continue – c’est ce que Kodro nous a dit. Il a dit qu’il était de tout cœur avec nous. À comprendre que les intérêts du club ont passé en premier », continue l’attaquant français.

« Tout le monde a confiance en Bojan, nous avancerons comme ça »

« Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. » Bojan Dimic aurait prononcé ces mots à ses joueurs ce vendredi matin à Balexert. Preuve que rien n’est fini, que tout est encore à écrire, un pan nouveau de l’histoire du Servette FC en Super League. Il est tout aussi vrai que l’espoir fait vivre et à l’en croire, le staff Grenat n’a rien perdu de sa vitalité. « Tout le monde a confiance en Bojan, nous avancerons comme ça. L’intérim ne change rien. Si Bojan arrive à nous mener à la promotion, il est à parier qu’il puisse stabiliser son statut », confie le capitaine servettien. Pour ce dernier, ni la nationalité, ni la langue n’est une entrave à la réussite. Était-il sans doute vrai que Meho Kodro, tout autant que Kevin Cooper à son temps à la tête du SFC, connaissait moins bien la Challenge League que tout autre entraîneur suisse ? Oui, mais l’important est ailleurs avoue encore Anthony Sauthier : « Il faut qu’un entraîneur puisse transmettre des messages, peu importe qu’il parle français ou non. De toute évidence, nous n’allons pas choisir le coach nous-mêmes. » « Bojan a maintenant de nouvelles responsabilités et il va assumer sa tâche, nous allons l’aider – consent Alexandre Alphonse avant de continuer – Nous sommes très mal embarqués mais rien n’est encore joué. Nous devons rester soudés pour tenter une série victorieuse. Bojan a l’avantage certain de tous nous connaître. » Le plus important, néanmoins, reste d’assurer maintenant une digne et bonne succession. Et à ce titre, Bojan Dimic semble convenir pour le poste. « Je suis un adepte de la procession. J’aime avoir le ballon, comme Meho. J’aime aussi changer, de façon pragmatique, le profil de certains joueurs. Je dois faire avec ce que je sens que l’équipe veut faire. Mais je pense que l’on peut avoir quelques modifications. Quoi qu’il en soit, je veux que l’équipe soit plus régulière. Nous étions toujours punis dans les temps faibles. L’équipe doit apprendre à laisser passer la tempête. L’on ne peut pas être dominants les 90 minutes mais l’on peut être intelligents et savoir calculer sur la longueur d’un match », commente le principal intéressé. L’entraîneur bosnien aimait rappeler l’importance du plaisir dans le jeu ; une qualité inébranlable chez tout footballer qui ressort aussi dans les propos de Dimic. « Le plaisir est aussi le maître mot dans mon discours, non pas que nous n’en avions pas avant mais nous devons continuer à l’avoir. J’aime quand les entraînements sont plaisants. Avec Meho, j’étais dans toutes décisions et je les partageais volontiers. J’ai un petit vécu d’entraîneur – 250 matches entre la troisième et la quatrième division –, j’ai vu beaucoup de systèmes et chacun doit être entraîné. Ça va être difficile de changer quoi que ce soit mais j’ai une idée de ce que je vais proposer sur le terrain dimanche. »

« Le Président ne m’a pas demandé si je voulais. Il m’a juste demandé si j’avais peur »

Bojan Dimic, entraîneur intérimaire du Servette FC

« Le président m’a dit hier que je reprenais l’équipe jusqu’à la fin de la saison. Il ne m’a pas demandé si je voulais. Il m’a juste demandé si j’avais peur. » L’anecdote dénote toute la sainte confiance portée par la direction du club à celui qui a toujours été un proche du Servette FC et du football genevois. L’opération est certainement celle d’une impulsion nouvelle ; Servette doit se renouveler mais pas forcément dans la profondeur. L’envie et la cohésion restent intactes, mais la dynamique devait être quelque peu altérée, stimulée. Sans doute, dès dimanche, Servette pourra jouer plus libéré, avec moins de pression ? « Nous avons toujours une volonté de jouer vers l’avant. Nous souhaitons à chaque fois produire un match complet, en pressant toujours plus haut – aiguillonne l’attaquant français Alexandre Alphonse avant de continuer – Mais nous avons toujours un temps faible dans un match, ce qui n’est pas exclusif à nous. Même Neuchâtel Xamax connaît ses phases de ralentissement comme les déficits de trois buts qu’ils ont connu à Vaduz, 3-0 ou encore le 4-1 de Winterthur. Il y a une gestion du match que nous devons mieux maîtriser. Nous avons tous envie de jouer plus haut, plus offensifs. Il nous faut trouver une juste rigueur. Nous devons peut-être retrouver de la confiance, comme quand nous avions battu le FC Zürich ici à la Praille. Il ne faut surtout pas avoir de regret en fin de match, et ne pas s’arrêter aux premières difficultés. » Une analyse que partage tout-à-fait Bojan Dimic : « L’équipe doit vraiment apprendre à se regrouper quand il faut, avec deux lignes de quatre. Elle doit communiquer, se rassurer pour ensuite repartir de plus belle. » Une impression de gaspillage dans la gestion du temps qui eut notamment coûté lors de la dernière confrontation face aux hommes de Michel Decastel au Stade de la Maladière, il y a quelque trois semaines.

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« Je souhaite que l’on fasse le maximum pour monter. Il est clair que ma place serait meilleure si l’on montait mais je ne revendique rien, même si je sais que rien n’arrive par hasard dans la vie », rappelle Bojan Dimic ce vendredi matin au Stade de Genève. Signe que la promotion dans l’élite n’est pas encore oubliée ? « Ce serait dommage de penser comme cela. Nous sommes des compétiteurs et nous jouerons nos chances jusqu’au bout – assure Alexandre Alphonse – Xamax n’est pas à l’abri d’un voire deux faux pas. Nous avons le devoir de donner notre meilleur sur le terrain. Nous les féliciterons que quand il sera acté que Xamax sera promu. »

Enfant de Genève, Bojan Dimic réalise son rêve à la Praille

Depuis ses débuts à la tête d’une équipe, secrètement peut-être – l’époque du Grand-Lancy – Bojan Dimic avait toujours rêvé d’accéder aux premières loges du Servette FC. « J’avais quatre ans, sur les épaules de mon père, la première fois que j’ai vu Servette. J’étais là aussi il y a 15 ans – presque jour pour jour [ndlr, le 30 avril 2003] – pour l’ouverture de la Praille », rappelle-t-il. La promotion dont il a inéluctablement fait l’objet cette semaine s’avance alors telle une véritable opportunité pour le Genevois d’adoption : « En tant que Genevois, c’est une très grande fierté. Je suis la cinquième génération des Dimic à Genève et j’ai vécu les beaux moments de l’histoire du club. Je suis vraiment à son service. » L’intérimaire a dirigé sa première séance d’entraînement ce jeudi à Balexert. Un changement dans le ressenti pour celui qui a toujours évolué dans le sillage de Meho Kodro. « Je vis mes entraînements, j’étais lessivé hier et cela m’a fait du bien de retrouver ces émotions. Avant je parlais au nom de… maintenant je parle à mon nom. J’ai la (belle) petite boule au ventre qui a envie de tout faire maintenant. Je n’ai par contre aucune pression car les dirigeants m’ont dit que, quoi qu’il arrive, je serai toujours au Servette. J’étais ambitieux quand j’étais à Lancy, mais mon ambition a toujours été d’être ici à Servette. Autant dire que je suis impatient d’arriver à dimanche. »

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Son impatience est sans doute le fruit d’un long parcours au sein du football du canton. Bojan Dimic est né le 25 novembre 1974. C’est à dix ans que sa carrière sportive prend déjà forme ; il évolue au CS Chênois dès l’année 1984 et y évolue durablement avec quatre saisons passées notamment en deuxième division nationale (D2, jusqu’en 1991), dont une avec Lancy. La route avec son premier club – dont l’équipe féminine a par ailleurs fusionné avec celle du Servette FC – s’arrête en 2007, année lors de laquelle il parvient à la promotion en Première Ligue avec Grand-Lancy aux côtés d’un certain Aleksandar Bratic. Il y connaîtra par ailleurs, dès 2010, se premières heures dans le costume d’entraîneur jusqu’à la fusion du club avec le Lancy-Sports deux ans plus tard. C’est ainsi, qu’en 2012, Bojan Dimic devient alors le premier entraîneur du Lancy FC. Jusqu’en octobre 2015, alors qu’il y était pressenti à devenir l’adjoint de Jean-Michel Aeby en provenance du FC Bienne. Quelques mois plus tard, en février 2016, il devient fièrement le responsable des jeunes au sein de l’académie du Servette FC, en remplacement de Mario Cantaluppi. Il n’a plus quitté les Grenat depuis. Il obtient dans le courant de l’année 2017 sa licence UEFA Pro pour stabiliser son statut d’entraîneur, une licence toutefois encore insuffisante pour diriger l’équipe en Challenge League. Pour convenir aux exigences – en conformité aussi avec ses nouvelles fonctions d’entraîneur de la première –, Bojan Dimic devra passer prochainement une dernière étape dans sa formation auprès de Swiss Olympics. Une dérogation devrait toutefois lui être accordée par la Swiss Football League jusqu’à la fin de la saison. De toute évidence, le jeune entraîneur de 43 ans accède là à un statut tout nouveau, en conformité avec ses grandes ambitions : « Il est clair qu’un diplômé UEFA Pro ne passe pas toute sa vie dans l’ombre. Mais je suis conscient que nous sommes ici dans le monde professionnel », concède-t-il, le regard fougueux.

Une possibilité pour les jeunes, de Kastriot Imeri à Alexis Antunes ?

« Je n’ai aucun souci à faire jouer les jeunes s’ils répondent aux exigences de la Challenge League », aiguillonne avec fermeté Bojan Dimic. Sans nul doute, l’entraîneur intérimaire reste dans la continuité de ses prédécesseurs. Ce qui ne l’empêche de questionner plusieurs réalités. « Je suis tout à fait en phase avec ce que demande le Président. Je ne suis pas sûr que l’on puisse monter en Super League qu’avec des jeunes de 17 ans mais je reste convaincu que nous pouvons nous servir du très bon travail de l’académie. »

« Cela fait quatre matches que nous essayons de lancer Alexis Antunes »

Bojan Dimic, entraîneur intérimaire du Servette FC

« Je ne suis pas là pour faire plaisir non plus. Un jeune qui n’a pas performé la semaine, serait-ce vraiment lui faire un cadeau de le laisser se faire transpercer en match ? » La fermeté est la rigueur ; Bojan Dimic reste une personne forte dans son intransigeance. Fin connaisseur des équipes jeunes du club Grenat, il connaît les risques que peut contenir une mise à nu trop précoce pour les jeunes joueurs fraîchement issus de la formation. « Il faut les intégrer petit à petit à ce niveau-ci. Il ne faut pas se tromper ; le niveau de la Challenge League est encore plus haut qu’une équipe nationale junior. Nous devons faire attention à ne pas donner aussi de faux espoirs aux gamins. Il faut faire attention à ne pas les brûler trop vite », confie-t-il avant de conclure : « Alexis Antunes, ça fait quatre matches que l’on veut le faire jouer mais les conditions ne lui ont pas prêter le temps de jeu que l’on espérait. Il a les trois postes préférentiels au milieu de terrain ; en 6, 8 ou 10. Comme Kastriot Imeri, il ont tous deux des rôles différents à jouer. Nous ne devons pas nous figer, nous devons aller chercher les meilleures solutions pour chacune des individualités. » Alors, qu’en sera-t-il dimanche face au FC Wohlen ? Peut-être que le jeune Antunes (classe 2000) trouvera du temps de jeu supplémentaire après le dernier quart d’heure joué face au FC Aarau le 24 février dernier (victoire 4-0) ? à voir.