Pour cette nouvelle année, le cinéma d’auteur joue une place prépondérante dans les programmes de la RTS. “Ondes de choc”, collection de quatre films inspirés de faits-divers et dirigés par le quatuor renommé de la production “Bande à part” présage une ligne de qualité et originale face aux séries américaines. À l’approche des votations du 4 mars, la RTS semble rappeler que ses productions ont une carte à jouer dans l’espace audiovisuel francophone.
Alors que l’ombre de « No Billag » plane au dessus du service public, la RTS présentait hier son bilan 2017 et sa grille horaire des prochains mois. Si le sport a la part belle avec les Jeux Olympiques de Pyeongchang et et la Coupe du monde de football en Russie, les programmes de fictions ne sont pas en reste. L’atout majeur de ce début d’année se constitue dans la collection de films “Ondes de choc”. Réalisé par la crème des cinéastes helvétiques (Ursula Meier, Lionel Baier, Stéphane Bron et Frédéric Mermoud) cette coproduction – “Bande à part” et RTS – se place en challenger face à la déferlante des séries étrangères. Il faut dire que le home-made a réussi son coup d’essai puisque en automne dernier, la chaîne révélait son savoir-faire sériel avec “Quartier des banques”. Les six épisodes réalisés par Fulvio Bernasconi abordant la crise du secret bancaire en 2012 sous forme de thriller a fait l’événement en effleurant les 200’000 spectateurs (28,5% de part du marché). Une seconde vie se profile pour la série puisqu’elle s’exporte. Son imminente diffusion en Belgique au mois de mars et surtout une diffusion danoise prochaine réjouit Pascal Crittin, directeur de la RTS : « Nous sommes très fier qu’une série télévisée suisse soit diffusée au Danemark quand on sait ce que représente ce pays sur les séries ».
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Le fait divers comme matrice
« Et si notre rôle était de raconter ces histoires, de retrouver le cœur de notre vie passée, présente et de nous retrouver. De vivre nos spécificités, notre identité. De vivre ensemble à travers la fiction et la série TV ? » C’est dans une tribune à demi mot que Philippa de Rotten, cheffe du département Société et Culture, revendique le potentiel rassembleur des fictions. La collection “Ondes de chocs” se veut être différente de “Quartier des banques” par son format mais également par son thème: « plus noire et plus dramatique », tout en restant dans une certaine continuité, dans une histoire collective « tout aussi ancrée dans notre réalité romande et notre identité propre ». Composée de quatre films d’environ une heure, chacun traitera d’un fait divers survenu entre 1980 et 2010 en Suisse romande. On le sait, le fait divers interroge et fascine. Créé dans les années 2000, le programme “Faites entré l’accusé” présenté par Christophe Hondellate et son éternel blouson de cuir a gagné une belle postérité en se réinventant dans de multiples programmes souvent de piètre qualité. Témoignages en plan fixe, voix over suggestive et reconstitutions floutées forment le cocktail gagnant de ces programmes dignes des plus belles séries Z. Qu’importe, l’intérêt réside avant tout dans cette fascination, entre voyeurisme et information, qui nous aimante vers l’inexplicable. Le quatuor de “Bande à part” s’attèle donc à une entreprise prometteuse en « posant leurs regards sur la réalité de ce pays et en nous offrant la possibilité de réfléchir à notre monde autrement. » Au programme: “La Vallée”, premier volet de cette collection, sera diffusé le 21 février prochain à 20h10 sur RTS Un. Inspiré du drame de l’A1 survenu le 17 avril 2010 où une course poursuite effrénée entre la police fribourgeoise et deux jeunes français de la banlieue lyonnaise venus faire un casse se soldera par un drame. Ensuite, c’est le suicide de près de 50 personnes orchestré par le gourou de l’Ordre du Temple solaire en 1994 qui bénéficiera d’une adaptation cinématographique avec “Sirius”, diffusé le 14 mars toujours dans la même tranche horaire. Quant à “Prénom Mathieu”, il évoquera le sadique de Romont, le plus grand serial killer que la Suisse ait connu, à travers l’une de ses victimes rescapées. Le film abordera les séquelles et la reconstruction dans l’après. Diffusion prévue le 25 avril, suivi d’un débat “Infrarouge”.


Une « tête qui déraille »
Reste un film, celui d’une femme. Ursula Meier était de la partie en conférence afin de présenter la collection : « L’idée de faire une série était difficile pour nous [ndlr, les cinéastes de Bande à part] car nous sommes très différents, c’est ce qui fait le ciment de cette maison de production ». La réalisatrice de “L’Enfant d’en haut” est également revenue sur le choix du format, envisagé comme un défi permettant d’« interroger la dramaturgie sur une heure et de faire des films intenses avec une liberté absolument totale. C’est le devoir du service public ». Avec son scénariste Antoine Jaccoud, Meier propose “Journal de ma tête”, une incursion dans la psyché d’un jeune homme coupable de parricide. Circonstance atténuante, avant de commettre ce double assassinat, il fait parvenir à son professeur de français (interprété par Fanny Ardent) son journal intime dans lequel il confesse et explique son geste. Pour la cinéaste, il s’agit d’un sujet qui se prête bien à la télévision. Donner à voir l’inexplicable en lui donnant un second souffle par la fiction, c’est tenter de dépasser l’insondable. C’est ce dont il avait déjà été question avec l’affaire Jean Claude Romand – adapté avec “l’Adversaire” par Emmanuel Carrère puis au cinéma – car outre les faits, c’est le « dysfonctionnement de l’âme humaine » qui a intéressé la cinéaste. En deçà du crime reste l’interrogation : « Dans toute fiction, on cherche le coupable, la victime et là, on se retrouve face à un vide intersidéral qui est la nature humaine de l’être humain ». Pour Ursula Meier, c’est également l’occasion de faire tourner une nouvelle fois son acteur fétiche, Kacey Mottet Klein, qu’elle a découvert et fait tourner à sept ans. Comme un parent qui voit grandir son enfant, elle reste lucide sur son évolution : « Le choix du fait divers permet de filmer Kacey à cet âge où l’on devient adulte. On se sépare de ses parents d’une certaine manière. Aujourd’hui, il est adulte, il vit de ses propres ailes en faisant d’autres films avec d’autres réalisateurs et je ne voulais pas manquer ce moment là. » En laissant libre court à des cinéastes chevronnés, la RTS fait le pari d’un programme exigeant et de qualité. Une qualité déjà récompensée, notamment par une avant-première au Capitole « rempli a ras bord » pour l’occasion, une projection ces dernières semaines aux 53e Journées de Soleure et surtout une nomination au Festival International du film de Berlin dans la catégorie « Panorama » sans compter l’intérêt de Arte et de TV5 monde qui promet une belle exportation. Une destinée encourageante, qui semble prouver que le service public a de quoi tirer son épingle du jeu.
Les petites leçons de cinéma
À noter également, un programme destiné au jeune public valorisant la découverte du cinéma. Sur un format de 15 minutes, “Les petites leçons de cinéma” initié par la Lanterne magique, mettent en avant le travail du cinéaste afin de donner le goût du 7e art. Définir le documentaire, évoquer les règles de bon usage ou encore la direction des acteurs. Ursula Meier a mis en forme ses rushs avec Kacey Mottet Klein afin de montrer l’envers du décor, ce qui semble attiser quelques vocations, sinon lever le voile sur les secrets du cinéma : « J’ai eu l’occasion de le présenter devant des jeunes. Ils sont assez fascinés par le travail. Avec les téléréalités et ses stars qui émergent très vite comme elles disparaissent, ils se rendent compte du travail que Kaesy a fournit pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. » À découvrir sur RTS Deux vers 19h courant mars ainsi que sur RTS découvertes.