Nicolas Jutzet: « Nous ne détruirons pas la SSR, nous la réformerons »

Nicolas Jutzet garde un bon espoir de victoire le 4 mars. « No Billag » est soumis au peuple lors des prochaines votations. © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino

Le Président romand du comité d’initiative de « No Billag » défend une Suisse plus juste, où la redevance ne sera plus. Les sondages, l’article 93.2 de la Constitution, les conséquences de la LRTV ou encore les alternatives en main des cantons; Nicolas Jutzet a répondu à tout avec la ferme intention de faire pencher la balance vers le « oui » le 4 mars prochain. La réforme constitutionnelle requerra néanmoins la double majorité (du peuple et des cantons).

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Les sondages ont changé depuis décembre 2017, vous ne bénéficiez à cette heure plus que 40% d’opinions favorables pour l’objet « No Billag », cela est inquiétant pour votre campagne ?

Bien évidemment, nous aurions préféré avoir les faveurs des sondages tout au long de la campagne, mais ces résultats étaient assez attendus. Les premières enquêtes étaient basées sur une méthodologie qui était discutable, ils n’étaient par conséquent pas tellement fiables. De plus, un questionnaire réalisé pour un sondage reste un instant t, cela reste une impression d’un moment donné. Le dernier date du 12 janvier, et il faut dire qu’il commence déjà à dater. Il n’est pas impossible que les mentalités aient évolué depuis. De plus, nous pensons que la population a été effrayée par les grands messages, la peur qui ont été étalés par nos opposants, qu’il est donc possible que notre devoir se concentre avant tout désormais à rassurer la population. Nous n’excluons pas non plus que, sur une thématique aussi sensible que « No Billag », lors de sondages réalisés par téléphone, les sondés n’aient pas osé dire leur vraie pensée sur le sujet. Avec ce pourcentage-ci, nous restons néanmoins motivés, aussi car il faudra aussi convaincre ceux-ci de se déplacer aux urnes. Ils le feront, j’en suis persuadé, car ces 40% ont soit une motivation financière qui les pousse à abandonner la redevance ou alors un problème idéologique fort avec celle-ci. Ou encore un problème générationnel. Ainsi, le public qui nous soutient a un intérêt physiquement fort à aller voter et nous compterons sur eux le 4 mars. Certainement aussi que, dans le camp des opposants, pas tout le monde n’ira voter. Les personnes qui se déplacent sur les plateaux télévisions sont des personnes qui sont directement impactées par la redevance, ce qui n’est pas les cas de tout le monde.

Cette initiative oppose en définitive les émotifs contre les pragmatiques ?

Le caractère émotif de la campagne n’est pas facile à contrer. Nos adversaires auraient pu venir avec des arguments sur le fond, en défendant un plan de réforme concret mais ils ont choisi une autre voie, celle de mettre les pieds contre le mur et défendre à tue-tête qu’il n’y a aucune alternative plausible en la matière. Pour eux, c’est littéralement tout ou rien et cela confisque quelque peu le débat. C’est regrettable car la population a envie de discuter sur le contour du service public. Nous lui avions promis ce débat après la votation sur le LRTV [ndlr, votée à 50,08% le 14 juin 2015], Doris Leuthard l’avait promis. Il est dommage alors que nous avons dû attendre la campagne sur notre initiative pour pouvoir véritablement aborder la thématique, quoique encore nos opposants refusent encore d’en parler. Nous avons la sensation que notre initiative vitalise le débat démocratique et apporte un quelque chose de profondément sain. Le caractère émotif est pourtant compréhensible; des emplois, une vision de l’État, la consommation dans son ensemble sont en jeu. Tout le monde a une relation certaine avec la redevance ou la télévision. La plupart de ceux-ci aiment la télévision mais voudraient aussi la remettre en cause, l’améliorer. Par exemple, le sport ne fait pas forcément partie de l’étendue du service public; est-ce le rôle d’une redevance d’envoyer des gens à Pyeongchang, aux Jeux Olympiques d’hiver [ndrl, du 9 au 25 février 2018 sur les canaux de la RTS] ? cela est particulièrement questionable. C’est donc également ce débat-ci que nous souhaitons lancer au sein de la population.

La redevance est destinée à changer dès le 1er janvier 2019. Le DETEC l’a annoncé en octobre 2017: l’entreprise Serafe AG remplacera Billag et ne percevra plus que 365 francs, contre 451 aujourd’hui. De plus, la redevance n’est pas une somme fixée dans le long puisque dès 2020 déjà – et ensuite tous les deux ans –, celle-ci serait à nouveau réétudiée afin de réaliser de potentielles nouvelles réductions de la somme. Cette réduction progressive n’est-elle déjà pas un grand pas en avant ?

Le problème s’aggrave plus qu’il ne s’améliore pour nous, car beaucoup de ménages qui ne paient pas de redevance aujourd’hui seront contraintes à le faire en 2019. Ainsi, l’injustice s’étend plutôt qu’elle ne diminue; l’on confisque encore plus la liberté de choisir aux ménages suisses. C’est une conséquente directe de la LRTV votée en 2015 [ndlr, les ménages devront s’acquitter d’une redevance indépendamment de posséder un appareil de réception: ordinateur, télévision ou radio]. Les gens n’ont vu que la baisse de la facture mais n’ont pas porté attention sur ce détail-ci. L’on entend beaucoup parler de solidarité mais je ne pense pas que cela soit une vision très pertinente de la solidarité en Suisse. De plus, cette facture sera désormais aussi répercutée sur des entreprises et cela porte toujours un lot de conséquences indésirées, comme une baisse des salaires ou la hausse des prix de la consommation. En ce sens, le citoyen ne voit pas nécessairement ses charges baisser. Il faut de plus préciser que le problème de fond pour nous, n’est pas le prix de la redevance, mais plus la logique philosophique qui est derrière elle. La réduire autant que l’on veuille n’arrangera pas beaucoup plus nos problèmes, tant que c’est toujours l’État qui choisit pour le citoyen, de manière paternaliste, quels médias ils doivent regarder. En définitive, la fixation du coût d’un franc par jour et par ménage n’est autre qu’un argument politique établi pour la campagne; il n’y a pas la volonté assumée de soulager la population.

Les échelles de redevance pour les entreprises – notamment avec l’exonération de cette dernière pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires de moins de 500’000 francs – ne sont-elle pas pourtant le fruit d’un certain compromis qui contente aussi les libéraux ?

C’est un impôt progressif, plus le chiffre d’affaires est élevé, plus l’on paie cher la redevance [ndrl, jusqu’à 39’000 francs par an pour les entreprises ayant un chiffre d’affaire de l’ordre du milliard de francs]. D’un point de vue libéral, de nouveau, c’est une mesure qui est tout-à-fait questionable. De plus, le chiffre d’affaire, en tant qu’économiste, ne dit rien sur la vie réelle de nos entreprises. L’on peut avoir un grand chiffre d’affaire sans avoir pour autant de bénéfices sur une année. Ces entreprises se verraient payer une redevance beaucoup plus élevée qu’avant alors que leur vie n’est pas tout-à-fait saine. C’est plus dommageable qu’autre chose, d’autant plus que tout impôt fédéral doit être inscrit dans la Constitution, ce qui n’est pas le cas pour la présente, validée seulement par une loi. Si la LRTV lançait un nouvel impôt comme c’est le cas, elle aurait dû recueillir à l’époque également la majorité de cantons en plus de celle du peuple. Elle aurait, par conséquent, été rejetée. Cette loi est passée par une majorité « de circonstance » car il n’y avait que 3’000 personnes d’écart entre le “oui” et le “non”, le résultat le plus serré de l’Histoire de Suisse. Cet impôt est anticonstitutionnel en tant que tel et n’est absolument pas basé sur une quelconque réalité économique.

L’initiative souhaite pourtant supprimer l’art. 93.2 qui garantit la participation des médias publics à la formation et au développement culturel et à la diffusion constante d’une diversité des opinions, vulgairement résumée. Cela n’est-il pas contre-productif pour votre campagne ?

C’est un problème fondamental de droit qui est difficile à comprendre. Cet alinéa est le seul qui légitime l’existence d’une redevance. Nous étions par conséquent obligés de le biffer si l’on voulait arriver à nos fins. Cela est pourtant réutilisé de manière extrêmement populiste par des opposants, à l’image de Roger Nordmann [ndlr, conseiller national PS] qui parle d’une fin de la démocratie et de la culture, ce qui n’est pas juste. Quand l’on jette un regard sérieux sur la Constitution, l’on verra que plusieurs articles garantissent déjà le soutien à la culture, aux différentes langues nationales, au cinéma, etc… D’un point de vue strictement culturel, la Constitution ne s’arrête pas à l’article 93.2. Cela nous oblige, bien évidemment, à expliquer en longueur que l’argument des opposants sont basés sur la peur et que même après le 4 mars, en cas d’acceptation, la culture sera toujours soutenue en Suisse. L’on utilise cet article-ci pour lui faire dire des choses qui ne sont pas réellement si importantes que cela; l’on a, en effet, pas attendu la SSR pour former les citoyens. C’est plus le rôle de l’école publique de former un esprit critique, après quoi chacun est libre de choisir le média qui lui correspond le mieux, à lui et à ses idées. C’est une vision philosophique qui nous est propre et cet alinéa 2 a alors été biffé de manière pragmatique. La Constitution est complète et solide et n’es pas basée uniquement sur celui-ci.

Autre particularité: la compétence de la Confédération en matière d’audiovisuel n’est pas remise en question…

Pour le coup, nous gardons le droit actuel car, pour différentes thématiques, il nous semble important que la Confédération ait encore son mot à dire, par des subventions indirectes de la presse écrite par exemple. De plus, ce genre de problèmes se règle, en général, au niveau fédéral donc il est important que le Parlement ait cette prérogative, avant de demander une collaboration des cantons et des communes. Les parlementaires pourront donc encore déléguer certaines tâches comme ils le font actuellement. Typiquement, le canton de Soleure a, dans sa Constitution, un article qui laisse la possibilité aux autorités cantonales d’établir une loi sur les médias et notamment les encourager. Donc c’est une évolution qui sera rendue possible avec « No Billag ». Encore une fois, c’est une décision qui est purement pragmatique où le Parlement est complètement souverain pour déléguer certaines tâches aux cantons.

Cette réalité est-elle aussi viable dans des cantons plus excentrés comme le Tessin et les Grisons ?

Pour les minorités linguistiques romanches et tessinoises, l’article 70 de la Constitution garantit déjà le soutien et le maintien de ces langues. Un cadre légal existe déjà donc. Le Tessin et les Grisons ne seront pas livrés à eux même après le 4 mars, nous pouvons d’ores et déjà les rassurer sur cela. Ensuite, cela appelle à des concordats entre les cantons; ils existent sur la sécurité, sur la formation – les cantons collaborent entre eux des plans d’étude romands – et il n’y a donc pas de raison qu’ils ne puissent pas s’accorder sur les médias. Nous laissons aussi une liberté aux différents cantons d’opérer à leur convenance, comme en établissant une redevance cantonale qui pourrait s’avérer utile pour ses propres médias. En bon démocrate et dans une approche fédéraliste, je trouve logique qu’un canton qui refuse notre initiative puisse introduire l’équivalent sur son territoire. Tout en condamnant sur le fond, bien évidemment.

La mise en œuvre de l’initiative est prévue dans un délai très court, au premier jour de l’année 2019. Est-ce viable sans qu’il n’y ait de grandes répercussions sur le panorama médiatique ?

Cette date a été fixée pour donner un délai précis aux politiciens afin qu’ils se mettent rapidement au travail, sinon ils font toujours traîner les choses en longueur. De manière assez pragmatique, l’on dirait de nouveau que l’initiative a été validée en 2015 et donc que les politiciens, la SSR et les différents médias ont eu trois ans pour s’adapter. Ils ont bien évidemment des plans B dans les tiroirs, ils ne souhaitent seulement pas les officialiser. Il reste qu’une entreprise responsable a dû se préparer à ce genre de situations et Monsieur Marchand [ndlr, Gilles Marchand, directeur général de la SSR] admet, par ailleurs, que la SSR réfléchit à des moyens de financement alternatifs donc l’on voit que des réflexions germent et nous espérons qu’ils aient prévu des plans B en cas d’acceptation de l’initiative. Sur un autre registre, cela laisse néanmoins trois sessions parlementaires aux élus à Berne pour mettre en œuvre le texte. Cela est faisable, nous avons sauvé des banques en une nuit donc je crois que l’on puisse mettre en application une initiative en neuf mois. Par ailleurs, nous avons notamment déjà entendu Doris Leuthard parler d’un temps en application entre une et deux années, donc l’on ne peut pas reprocher aux initiants d’avoir mis un délai court si à l’avance les politiciens expliquent à l’avance qu’ils ne vont pas l’appliquer. Le problème démocratique est donc plus du côté de nos opposants qui prennent très à la légère les textes de Constitution.

« No Billag » a tout de la parfaite initiative radicale. C’est un grand défi de la défendre…

Cela veut aussi dire que, dans le secteur des médias, l’on a dû en venir à une initiative qui – sinon radicale – est très ambitieuse. Le monde politique n’a jamais voulu discuter des contours des médias donc c’est quelque chose qui est directement venu de la part des citoyens. Et quand ceux-ci se réunissent pour récolter 100’000 signatures, il faut une quinzaine ou une vingtaine de gens motivés pour la défendre. Il me semble que l’on ne récolte pas 100’000 signatures sur un texte mou. Je crois que c’est plus le système actuel qui est extrême et pas du tout compatissant avec les citoyens car la redevance n’est pas liée à leur revenu, ni à leur consommation et donc est injuste en plus d’être dépassé. Les moyens de consommation ont totalement évolué. Il y a un peu d’ovni politique dans l’initiative mais c’est parce que le monde politique n’a jamais tendu l’oreille pour écouter les besoins du peuple depuis, encore une fois, la grogne et le débat lancé autour de la LRTV. Quand la politique – et aussi la direction de la SSR – sont déconnectés de la population, il en ressort une initiative comme celle de « No Billag ». Il y a certes un côté idéologique dans le texte mais la population la partage complètement.

« Nous avons toujours l’impression que les citoyens apprécient l’offre de la SSR »

L’on ne nie point que pour les entités médiatiques, l’initiative rend les choses plus difficiles. Quand l’on passe d’un système de rente – comme c’est le cas avec la redevance, où le revenu est assuré chaque année – à un système où l’on doit convaincre le citoyen à s’abonner à nos services, c’est un autre monde. Nous avons néanmoins toujours l’impression que les citoyens apprécient l’offre de la SSR; ils sont 94% à en regarder chaque semaine le contenu donc il n’y a pas de raison que, dès le 5 mars, ils se désintéressent de cette offre et qu’ils refusent de payer pour. Ils ne seraient peut-être pas intéressés à payer 451 francs mais une étude établit que plusieurs personnes (60%) seraient prêtes à débourser quelque 200 francs par année. Il y a donc une sorte de décorrélation entre le rapport qualité-prix ou le rapport qualité-consommation actuels. La population voudra toujours consommer les offres de la SSR, surtout les informations et la culture suisse qui y est proposée donc la liberté de choix n’est en rien dangereuse pour ces médias actuels, même s’il faudra s’adapter. Voulons-nous aussi rappeler que la quasi-totalité de la redevance revient à la SSR, donc les petits médias régionaux qui se sont longtemps battus contre l’hégémonie de la SSR devraient plutôt se réjouir de « No Billag », d’évoluer dans un monde un peu plus libre avec plus d’espace pour s’exprimer. Le blackout n’est pas tellement réaliste – quand l’on s’attaque à une rente, l’on entend plus le rentier que celui qui paye la rente. Plusieurs médias, de plus, avouent publiquement avoir quelques plans B dans les tiroirs. Telebasel disait que leur média allait survivre – peut-être pas de les même dimensions, qu’ils allaient s’adapter –, mais ils seront encore là le 5 mars et ils seront encore là en 2019. Nous aimerions bien avoir plus de franchise de la part des médias concernés et que l’on entende plus quelques plans B – ou plans R pour “réforme” – réels qu’ils pourraient proposer à la population. La population a fait confiance aux politiciens en 2015. En 2018, elle ne peut plus se contenter de promesses, elle veut des actes. Notre initiative le permet !