En manque de bonnes ondes ? L’étoile montante du reggae français Naâman sera de passage en Suisse les 10 et 11 mars prochain – respectivement à La Case à Chocs de Neuchâtel et au Grand Casino de Bâle – avec son solaire « Beyond ». L’interprète de « House Of Love » et de « Outtaroad » nous offre un troisième album jouant sur les sonorités du reggae tout en décloisonnant le genre à de multiples influences. Avant la reprise de sa tournée, nous avons échangé avec l’artiste sur son dernier opus, la politique mais également sur l’évolution du reggae.
Avec la sortie de ton album « Beyond », tu t’es lancé dans une grande tournée qui repart de plus belle pour cette nouvelle année. Quel est ton ressenti à mi-parcours de ce tour européen ?
Mon ressenti sur la tournée est super. L’album amène quelque chose de différent musicalement. Pour le live, cela enrichit vraiment le show. Cela permet d’avoir des grooves qui sont d’une intensité différente. On a un très bon retour du public, les salles sont pleines. Pour l’instant c’est un grand plaisir… De toute façon c’est toujours un grand plaisir [rires]. C’est beau à voir.
En décembre dernier, tu es déjà venu joué en Suisse aux Docks à Lausanne. Tu reviens en terres helvétiques au mois de mars pour deux dates consécutives à Neuchâtel puis à Bâle. Est-ce qu’il s’agit de ta première expérience en Suisse ?
Non pas vraiment. Nous avons déjà joué en Suisse à plusieurs endroits. La première fois, c’était dans un petit festival puis ensuite on est passé au Paléo à Nyon. Nous nous sommes donc déjà produits pas mal de fois en Suisse. C’est un public qu’on aime beaucoup. Il est super sympa, très doux…
Ton troisième album marque également une nouvelle indépendance pour toi puisqu’il sort sur ton propre label tout juste créé, Big Scoop Records. Est-ce une manière de gagner en autonomie pour tes choix artistiques ?
Non, parce ce que nous avons toujours été très libres pour les choix artistiques. Nous avions envie de rendre effectif le fait qu’on est trois potes qui faisons de la musique : mon manager, Fatbabs qui est mon beatmaker et moi. Nous avions envie de tenir les reines, de prendre les décisions pour ce qui nous concerne et de construire cela ensemble. Cela permet aussi de limiter les intermédiaires. Nous sommes assez nombreux du coup, si j’ai besoin de quelque chose, c’est plus facile et plus rapide au niveau des contacts. Nous sommes tous des potes qui travaillons avec de la passion, il y a plus d’énergies.
En parlant de liberté, ton troisième album « Beyond » prend une direction inédite par rapport à tes deux opus précédents. Tu te détaches d’un reggae pur et dur pour y intégrer d’avantage de touches latines et soul. Pouvoir sortir des conventions du genre en y ajoutant d’autres horizons, c’est aussi une manière de bousculer ton public ?
C’est une manière de créer quelque chose de neuf en continuant ce que nous faisions déjà : nous n’avons jamais vraiment fait du reggae classique mais plutôt un mélange de styles. Nous avons été axés sur le reggae hip-hop pendant longtemps. Le temps change les choses et nous avions l’envie d’aller plus profondément dans mon mélange. Nous avons essayé de faire quelque chose de très spontané avec cet album qui mélange encore plus les styles. Un album, c’est une photographie d’un moment ; tout change. Ce n’était donc pas une volonté de bousculer mais plutôt une volonté de faire ce que nous aimons, comme d’habitude.
Sur cet album, on retrouve ton beatmaker attitré Fatbabs. Peux-tu nous en dire d’avantage sur votre longue collaboration ?
Cela fait entre sept et huit ans que nous travaillons ensemble. Nous nous sommes rencontrés via la musique, c’est une affaire qui roule. Fatbabs vient d’avantage du hip-hop alors que moi j’ai plus cette culture reggae, roots. La rencontre des deux univers fait quelque chose qui est très reggae hip-hop avec beaucoup d’influences différentes. Fatbabs a énormément d’influences et d’inspirations de différents coins. Il est également sur scène avec moi. Il tient une grosse part du show puisqu’il est très actif sur scène tout le monde le voit [Rires]. C’est un grand plaisir de travailler avec lui. C’est surtout un frérot pour moi, nous sommes très proches. J’ai la chance d’avoir rencontré quelqu’un qui peut me suivre dans cette aventure.
« Love is Allowed », le troisième single de Beyond, délivre un message fort. Tu y dénonces notamment l’incapacité des politiciens à agir sur la société et attire l’attention sur la nécessité d’agir tout un chacun dans une démarche collective. N’as-tu pas peur que ce message très universel soit associé aux idées reçues qui collent au reggae et passe pour une idée « simpliste » ?
Écouter: le clip vidéo de « Love is Allowed »
Je pense plutôt le contraire; c’est l’esprit qui rend les choses complexes alors qu’elles sont censées être très simples. La vie, elle est comme ça dans sa complexité ; d’un naturel et d’une simplicité incroyable. Je pense que le message est clair, c’est-à-dire sensibiliser les gens à prendre des décisions qui les concernent. Nous vivons une époque où la politique actuelle vise un but complètement différent. Nous devons tous redevenir des politiciens afin de prendre sa vie en charge. Lorsqu’il y a des gens qui font des choses aberrantes, qui vont mener au carnage, il faut se mettre en travers. Cela ne veut pas dire faire la révolution, cela veut dire être cohérent avec soi-même. Cela peut passer pour un message simple mais il n’empêche que c’est un message qui me semble crucial. En tout cas, c’est quelque chose qui est partagé par beaucoup et je pense que tout le monde peut le sentir. On est très nombreux à être hors la loi pour le simple fait de vivre la vie comme on l’entend.
Cette démarche collective, c’est aussi l’esprit du clip vidéo où l’on voit notamment les membres de Tryo, Danakil et le duo Bigflo et Oli, mais également ta famille ?
Oui, ma famille s’est déplacée pour le clip. C’était un grand plaisir car elle est très impliquée dans ma vie. Mon père est très fan et ma mère très fière. D’ailleurs, mon père est monté sur scène récemment à Paris pour faire un morceau avec moi. C’est quelque chose que j’apprécie énormément et puis cela va avec le message du clip. C’est un message, encore une fois, qui concerne tout le monde.
En 2006, tu as investi avec ton micro, la Place de la République durant les manifestations de Nuit debout. Penses-tu que ton engagement politique doit aller de pair avec ta musique ?
Il n’y a pas de politique dans ma musique. La politique me passe au dessus parce que je ne crois pas du tout en cette vision actuelle de la politique. Je pense que la musique c’est quelque chose de fort qui permet l’expression de soi-même. Lorsque les Français se rassemblent pour enfin réfléchir convenablement et communiquer ensemble, forcément, on a envie d’être là, de donner une force. C’est plus cela, cette communication et ce rassemblement pour un monde meilleur, pour essayer de trouver des solutions qui sont intéressantes. L’organe de la politique est complètement atrophié et ce n’est pas en se mettant dans la politique que l’on va la changer mais plus en créant des chemins différents et des solutions alternatives… C’est cela, les vraies brèches qui font l’avenir. Il ne sert à rien de s’acharner sur un truc qui de toute façon est pourri et qui va tomber de lui même.

Tu proposes un seul featuring sur cet album mais pas avec n’importe qui. Pour le titre « Got to Try » que tu as enregistré en Jamaïque, tu t’offres la présence de Toots Hibbert que l’on cite souvent comme l’inventeur du reggae. Comment cette collaboration est-elle née ?
Tooth est quelqu’un que j’ai toujours admiré. Il fait partie des pionniers du reggae. Le sien est particulier puisqu’il y mélange de la soul et du blues. Il m’a beaucoup touché. J’ai parlé à un pote du fait que ce serait bien qu’on ait Tooth sur l’album et la semaine d’après, quelqun’un est venu me dire que ce serait pas mal qu’on fasse un featuring. Il a appelé des contacts et nous sommes partis en Jamaïque. C’est plus le côté old school et légendaire de l’artiste qui me donnait envie de partager un moment avec lui. C’était incroyable. Nous avons enregistré deux morceaux ensemble. Un qui figure dans mon album et un deuxième pour le sien. C’est la première fois que je chante avec un artiste qui a l’âge de mon grand-père ! [Rires]. Une superbe expérience.
Avec « Own Yourself », tu livres un des titres les plus introspectifs de cet album. Au-delà de son ton très épuré, c’est aussi l’occasion pour toi de relever un nouveau défi en chantant un couplet en français. C’est une expérience que tu souhaites réitérer dans l’avenir ?
Je pense que ces choses là arrivent par elles-mêmes. C’est ce qui s’est passé pour « Own Yourself ». Cela est venu spontanément. Ce n’était pas réfléchit et cela est resté sur l’album. Je pense que ce sera pareil pour la suite. Il y a des morceaux sur lesquels je pourrai chanter en français et d’autres pas du tout. Je pense que cela dépendra des morceaux. C’était un grand plaisir de le faire, j’ai découvert quelque chose. Cela se reproduira.
Ces dernières années tu as été très sollicité dans les festivals – au point d’être le second artiste le plus programmé en 2016 – alors que le reggae est quasiment absent des grandes ondes. Comment expliques-tu ce paradoxe ?
Comment expliquer ce paradoxe… ? [Rires] Je dirais que les gens qui se déplacent dans les festivals et ceux qui écoutent du reggae ne sont pas forcément les gens qui suivent le courant. Je pense que notre musique parle à ces gens-là parce qu’elle fait son chemin, avec son message conscient, son message d’amour et c’est quelque chose qui ne se vend pas. La vente aujourd’hui, elle est trash. Les gens aiment les choses qui choquent et c’est cela qui vend beaucoup. Le message du reggae n’est pas intéressant pour les maisons de disques et les médias, mais les gens s’y retrouvent. Les gens se retrouvent dans la sincérité, dans ce qui les concerne et c’est pour cela que je pense que le reggae va très bien en France, même s’il est vrai que personne ne joue du reggae sur les radios. C’est une bonne chose…. Enfin, je n’y pense pas trop ! Je ne me pose pas trop la question de savoir si cela est bien ou pas. C’est comme cela et cela ne changera pas. En tout cas, cela ne change pas l’intensité des festivals et du public.
Comment vois-tu ta musique évoluer dans les années à venir et plus généralement, le reggae ?
Ce n’est pas facile à prédire. Je pense que le reggae va continuer à se développer, à se diluer dans différents styles et à renforcer sa branche principale qui est le roots. Ma musique va continuer à explorer divers univers. Je ne suis pas très figé en terme de musique, j’aime bien en parler au sens large plutôt que de me mettre dans une cage. Je n’ai pas forcément une visualisation précise. En ce qui me concerne, j’essaie d’être spontané. Pour le reste de la musique les choses se mélangent de toute façon. C’est une époque de mélanges et cela va continuer. Le côté spirituel du reggae va se renforcer parce nous arrivons dans une époque où les esprits s’éveillent et cela fait écho dans la musique.