Un recueil de nouvelles paru en avril, un album et un clip “Ta Muse” délivrés en juillet, puis un nouvel EP de quatre titres en anglais “Half Human” sorti le 30 novembre 2017, Solam a accumulé les projets artistiques ces derniers temps. Chacun de ces objets, comme elle les appelle, renvoie pourtant à une histoire ficelée, entrelacée dans les fils du temps. La même mais déclinée sous des habillages, des perspectives et une technique différents. Mais avant de plonger plus précisément dans les œuvres de Solam et ses ressors, familiarisez-vous d’abord avec son univers unique. Immersion.
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“Les Voix” est un complexe musical et littéraire particulièrement complexe dans sa forme. Les œuvres multiples que sont celles de Solam Riondel peuvent pourtant être apprivoisées de manières plurielles. Le point de départ de son art commence par l’écriture de onze nouvelles qu’elle recueille dans un ouvrage publié en avril 2017. Une suite d’histoires qui attisent l’imaginaire du lecteur dans la représentation des personnages en action, de l’espace que ces derniers occupent dans la narration ou encore le ton mélo-dramatique que l’auteure exprime au travers de ses créations. L’on s’y familiarise parfaitement avec l’univers artistique qui est celui de Solam; des œuvres qui appellent à la lecture diversifiée des histoires mais qui interpellent également le tiers lecteur, appelé à l’appropriation propre de ces récits. À cela, l’artiste y a composé – en complément de son livre – onze chansons qu’elle a regroupées dans un disque sorti au mois de juillet 2017. Onze plages musicales qui demandent à accentuer le ressenti des nouvelles sous une effluve différente, sous un codage différent. Ainsi, à quelque 100 pages de lecture, s’ajoutent 55 minutes d’écoute par lesquelles l’on pénètre dans l’intimité d’un univers artistique nouveau, ou inédit. 55 minutes à écouter – sous meilleure mesure – d’une traite. « On peut le faire autrement, mais pour entrer dans l’univers, c’est l’idéal », confiait alors Solam. Mais loin de vouloir dessiner une marche à suivre précise, l’auteure rappelle également que le livre et le disque sont deux plateformes séparées mais qui renvoient à une trame historique commune. « Tout part du livre, de cette série de nouvelles qui éveillent des choses, un fil. Ce sont plusieurs histoires qui prennent racine dans les nouvelles du livre mais qui peuvent tout aussi s’interpréter différemment sans avoir lu le livre. Quand on a finalisé l’album, il y a des sons qui ont été pris et qui n’avaient pas été pensés à l’avance, des ordres qui ont été changés. Il y a une histoire mais elle est multiple », explique-t-elle. Les personnages qu’elle met en vie dans ses œuvres trouvent néanmoins leur berceau dans les nouvelles, avant que ne soit opérée une mise en vie musicale de ces mêmes personnages, sous un habillage différent: « Il y a très peu d’émotionnel dans ces histoires – non pas qu’il n’y ait pas d’émotions – mais mes personnages ne se posent pas de questions existentielles. Les personnages racontent de manière très neutre. Le questionnement est là mais pas dans les lignes. Il y a alors un étoffement musical des nouvelles sur le cd qui apporte une touche plus ressentie de ces histoires. C’est un besoin que j’ai ressenti, de les passer au travers de la musique, aussi car c’est mon monde artistique de base. C’était le besoin de donner une voix. »
« Il n’y a pas de route tracée dans l’univers que je propose. Cela reste quelque chose qui est propre à chacun. Tout le monde n’adhère pas au tout; certains y arrivent et se rendent compte que l’imaginaire lu n’est pas le même que l’imaginaire écouté. Il faut se donner à ce (double) jeu »
L’interprétation, les clés de lecture du monde imaginé – et parfois réel – de Solam se déclinent alors sous leurs formes les plus variées. Certains se sentiront concernés davantage par les plages musicales alors que d’autres ressentiront à meilleure mesure la virtualité du texte écrit. « Cela dépend de chaque personne, c’est ce qui est plaisant dans un projet comme celui-ci, rien n’est prédit à l’avance. Il n’y a pas de route tracée dans l’univers que je propose. Cela reste quelque chose qui est propre à chacun. Tout le monde n’adhère pas au tout; certains y arrivent et se rendent compte que l’imaginaire lu n’est pas le même que l’imaginaire écouté. Il faut se donner à ce (double) jeu. » Cependant, pour compléter la lignée des projets de Solam, il faut ajouter au livre et au disque, toute une série de performances jouées ainsi qu’un clip vidéo “Ta muse”, réalisé par Laurent Schaer et qui totalise pas moins de 100’000 vues à ce jour sur YouTube depuis sa sortie le 27 juillet 2017. Et autant dire que le matériau créé va continuer à se décliner sur de nouvelle plateformes, à commencer par des concerts que l’artiste prépare avec soin. « J’aime bien la vie à la seconde, quitte à accepter les faiblesses que cela peut comporter. Mon envie est de continuer avec un nouvel objet, après le livre, une série de performances, un clip et puis le cd. Je m’attèle maintenant à monter un concert qui puisse être une suite, un pont qui lie – dans la continuité – les nouveaux et les précédents objets. Mais les concerts se déclineront de manière différente par rapport aux nouvelles, aux plages musicales et au clip. C’est une forme de relecture permanente du projet “Les Voix” mais sous des expositions et des plateformes différentes. La matière première restera la même, avec ce qu’elle défend comme point de vue sur la vie et la réalité, mais je laisserai la place à quelques nouveautés qui habilleront encore plus le projet entier », confie-t-elle. Nul doute que les objets de création de Solam se précisent dans une vision de très long terme de l’œuvre. En effet, alors que l’écriture des nouvelles a commencé courant 2014, elle n’omet pas de préciser que certaines de ses expériences qu’elle retrace dans le livre ont même débuté en 2010. Puis, sous leurs dimensions diverses, les objets de création (livre, cd et clip) permettent de faire perdurer les histoires de manière différente et tout autant éternelle. « J’ai envie de troubler encore plus la perception des choses, que celles-ci se connectent avec d’autres univers. »
Un rapport à l’art particulier
Pour Solam, rien n’est défini à l’avance; on écrit et l’on voit bien où cela mène: « On crée quelque chose, puis l’on est au service de cette chose. C’est-à-dire que l’œuvre prend tout d’un coup une dimension que l’on n’avait pas prévue, un quelque chose d’incontrôlable qui se dessine au fur et à mesure. La magie commence là. Le projet crée sa propre cohérence. » L’artiste n’omet pas traverser des périodes de remise en question quant à ses œuvres, mais c’est justement là où la création appelle à des ressentiments certains. « J’ai eu des doutes dès le début du projet. J’ai eu peur de frôler l’écriture automatique. Il est des nouvelles qui nourrissent un certain scepticisme, un doute comme “La forge”, laquelle nouvelle, je n’aurais jamais pensé l’écrire un jour. Ce fut une dictée quelque peu divine, comme transportée par l’histoire qui se composait de bout en bout. » Définitivement, les histoires de Solam ne se lisent pas, elles se ressentent. Elles ne s’écoutent pas, elles se vivent. Et cette réalité artistique, Solam la tire d’une référence particulière, du temps où elle est apparue au théâtre (en tant que chanteuse): « J’ai fait du théâtre mais pas en tant que comédienne. J’y étais chanteuse à l’occurrence. C’est pourtant là, que j’ai appris à être “au service de l’objet”, une chose que j’ai notamment tirée d’une ancienne metteuse en scène, Fabienne Schnorf à Vevey, que je côtoyais lorsqu’elle montait l’adaptation de “Soie” d’Alessandro Baricco. Ce fut l’une des expériences les plus importantes de ma vie, me portant une confiance que je n’avais pas avant. » Autrement dit, il n’est pas tout de composer, d’écrire ou encore de dessiner l’œuvre. Encore faut-il que cette dernière soit ressentie par le public, l’Autre, l’inconnu. C’est en ce sens que l’on entend la volonté d’être au service de l’œuvre, de l’objet. Ce dernier doit inévitablement puiser dans quelque chose de profond, d’indécelable à vue d’œil. Le tout a alors un quelque chose d’apaisant autant qu’intime, quelque chose de sulfureux autant que symptomatique, quelque chose de puissant, la révélation à soi.
Une carrière artistique (pas) toute tracée
Pourtant, Solam le confie volontiers; son talent et son art proviennent d’une certaine capacité à la découverte d’un univers qui ne lui était pas nécessairement destiné. D’où vient-elle ? d’un quelque part qui ne se définit pas. L’artiste est une pure autodidacte, dont la famille ne fut nullement issue d’une veine artistique. « À l’âge de 4 ans, je voulais être chanteuse mais il n’y avait pas de raison particulière. Je n’avais pas un lien avec la musique à cet âge-ci. La musique était inexistante à la maison alors. Mais j’ai toujours utilisé un mode d’expression qui me convenait mieux que le reste, et c’était le chant. Toujours est-il que je n’étais pas définie par un style musical particulier. Pour moi, composer était un jeu; un jeu d’enfant. J’ai bidouillé mon univers d’une manière un peu aléatoire, d’autant plus que lorsque l’on est petit, l’on ne se pose pas du tout la question de savoir si l’on est légitime ou pas. » Pourtant, cette légitimité à s’exprimer, à partager et à créer – les fondamentaux de tout un chacun –, Solam ne l’a pas bâtie de manière surannée. Elle a petit à petit acquis la maturité artistique et s’est peu à peu inscrite – avec ses talents de chanteuse – dans un cosmos musical qui fut le sien, un réalité propre à son parcours. Longtemps, plus jeune, elle ne se mêlait d’aucun style musical particulier; « seulement plus tard, j’ai commencé à porter des étiquettes; et les premières que j’ai portées étaient du rock, des formes hybrides, sans regard sur la qualité que cela représentait à l’époque. Puis, j’ai tourné mes études vers le jazz, aussi car à choisir avec le classique, j’ai préféré la première car l’esthétique de la lyrique ne me parlait pas. Et cela m’a longtemps influencée. »
« Le nom de Solam est apparu dans le domaine de la chanson lorsque je faisais partie d’un trio que j’avais monté et qui a duré onze ans »
De plus, il faut avouer que les projets, Solam en a réservé de nombreux depuis sa carrière. De chacun, elle en a ensuite tiré les meilleures expériences, les meilleurs souvenirs, les plus belles images et les sons les plus mélodieux. Y compris son nom qui n’eut trait, ni plus ni moins, d’un souvenir bien particulier: « Le nom de Solam est apparu dans le domaine de la chanson lorsque je faisais partie d’un trio que j’avais monté et qui a duré onze ans, entre la Suisse et des projets à l’étranger. Là aussi, je ne me posais pas de questions. » L’artiste a alors toujours foncé, dirons-nous. Et voilà que le jour où elle s’écarte de la ville pour se retirer en montagne, dans le val D’Anniviers, près de Sierre au Valais, son œuvre s’imprègne du passé et se conjugue de manière posée, silencieuse, murmurée à un futur encore tout à écrire, mais toujours à l’écoute de la nature avec laquelle est se retrouve en pleine (re)connexion. “Les Voix” est le témoin vivant de cette escapade au plus près des fondamentaux, d’un retour sur soi. Sans doute la meilleure façon de communiquer avec son prochain, dans la connivence et le partage.
La transversalité entre le passé et le futur
Aussi, dirions-nous que la linéarité parfaite n’est pas l’objet des œuvres de Solam. “Les Voix” jouent aussi de la temporalité, avec des flashbacks personnels et des projections sur le futur. Il n’y a pas de chronologie dans les nouvelles, et encore moins sur le disque, aussi car l’ordre n’est plus du tout le même. C’est l’exemple du titre “Bleu” (troisième plage) qui renvoie vers un quelque chose de terrestre: l’eau, l’océan, la vie entre les quatre éléments. Et si nous devions le lier à une nouvelle en particulier de l’ouvrage ? « C’est un titre compliqué, assez poétique et qui est liée à trois nouvelles. Trois nouvelles qui rappellent la nature, le bleu de la Terre, et dans un sens plus profond, la remise au niveau zéro. Mais il semble clair que les références ne sont pas les plus claires. Mais j’ai aussi fait le choix de ne pas lier chaque morceau à une nouvelle; la transversalité est une bonne chose selon moi, c’est beaucoup plus ouvert », exprime alors Solam. L’une de ces trois nouvelles se nomme par un titre (quasiment) éponyme “Par l’eau”. Il y en a une deuxième qui est particulièrement décelable: “Le papillon”, une ode à la créature qui évolue, qui pousse, qui meurt et qui revit et renaît de cendres nouvelles. Nul doute, nous y sommes; dans les fondamentaux d’une vie qui grade en elle de grandes promesses, féériques et dantesques, tendres et corrosives tout autant attendues qu’inespérées.
« Au cœur des graines qui germent le sol, s'ouvrent dans le plus grand secret, goûtent la terre à l'abri des regards et de la lumière, à l'heure où la fragile et minuscule première pousse verte transperce la surface dure, la détermination est inébranlable. Pousser, pousser sans cesse, craqueler, contourner, céder un instant, s'enrouler s'il le faut, mais pousser. [...] Revenir à la vie, la recréer patiemment, avec la détermination de la graine. » Solam Riondel Extrait tiré de sa nouvelle « Le papillon », in. Les Voix, Éditions d'en bas, 2017, p.37
L’expérience, ici, est celle du coma. Une première mort ou une nouvelle naissance, ce sera selon. C’est là tout le précepte précis des objets proposés par Solam, aucune temporalité définie. Juste des expériences. « Chacune des nouvelles joue dans les temporalités. Chaque nouvelle ne se situe que très difficilement dans un temps défini. Je joue sur cette idée de temporalité pour chaque extrait. Il y a une linéarité mais qui n’est pas chronologique. Je me vois évoluer de manière plus libre que cela. Les deux objets [ndlr, le livre et le cd] ont cette liberté. » Avant de conclure dans une inspiration certaine: « Nous sommes beaucoup plus qu’un destin que l’on tracerait en une ligne continue. Notre vie, nous la passons à rebondir entre le passé et le futur, en passant par le présent. » S’il y a au moins une trame dans les œuvres de l’artiste, c’est bien celle-ci. Une trame qui continue, de plus, dans son nouvel EP “Half Human” sorti le 30 novembre dernier.