“Marvin ou la belle éducation”, quand le fait littéraire rencontre la caméra

Avec l’adaptation libre du roman à polémiques En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil, 2004) signé Édouard Louis, Anne Fontaine (Coco avant Chanel 2009, Gemma Bovary 2014) s’attelle à un exercice périlleux. La cinéaste surprend et désavoue les préjugés liés à la pratique de la transposition du roman sur grand écran, souvent synonymes de désillusions pour le spectateur. Marvin ou la belle éducation, un long métrage d’émancipation est disponible depuis le 22 novembre dans les salles.

Marvin (Jules Porier) est un jeune collégien prit en tenaille : d’un côté, le harcèlement qu’il subit au collège et de l’autre, son milieu familial oppressant. Cette pression centripète a un dénominateur commun: la fragilité de Marvin, le désignant en décalage par rapport à ses semblables. Dans un milieu profondément rural, le garçon apparaît comme une excroissance. Son extravagance de mœurs devient la cible de moqueries mais est également synonyme d’exclusion sociale. Un point de rupture est amorcé alors que le petit Bijou manque son bus pour rejoindre la maison familiale. Sa proviseure lui propose d’intégrer le groupe d’improvisation du collège. C’est alors que Marvin, jusqu’alors entre le marteau et l’enclume, initie la déviation de sa destinée.

Sexualité omniprésente

La bande annonce laissait prévoir le pire. La famille Bellegueule (rebaptisée Bijou dans le film) y apparaissait stéréotypée. L’exemple du père étant flagrant : figure paternelle intransigeante mais socialement déchue, les quelques plans où il était porté à l’écran le construisait comme un amateur de cuites et de joutes verbales fleuries en insultes et limitées en vocabulaire, le tout flanqué d’un slip et d’un marcel. Bref, Dany Bijou (Grégory Gadebois) avait toutes les caractéristiques que l’on pouvait suspecter du personnage vide et creux, de la parfaite figuration spectrale regroupant un amas de clichés faisant appel à l’imaginaire le plus manichéen du spectateur (y compris le fait qu’il s’impose lors des repas par la possession exclusive de la zapette). Seulement, Anne Fontaine investit ces clichés en faisant émerger les non-dits, les secrets familiaux, comme il en va de même dans le roman de Louis ; les personnages dépeints comme des caricatures, à la limite du grotesque tellement ils paraissent invraisemblables, laissent en réalité percevoir des fêlures. Reprochant constamment à son fils son attitude efféminée et mettant en exergue sa déviance de la norme hétérosexuelle, le père reproduit une image de l’homme comme dépositaire de la virilité brute. Cette haine de l’homosexuel martelée contaminera même le jeune Marvin, qui s’en servira comme un mécanisme de défense. Odile (Catherine Salée), la mère Bijou, confirme l’envers: c’est parce que la maternité faisait d’elle une femme accomplie – pour ne pas faire jaser son voisinage sur une possible tendance lesbienne – qu’elle a procréé. En somme, ce sont les normes sociales, perpétuées dans d’immuables cercles vicieux, qui régissent l’existence des Bijou, de génération en génération. Cette surexposition du corps dans sa performance hétéro-normée permet paradoxalement l’éveil du jeune Marvin à la sexualité. La cinéaste s’applique donc à montrer ces corps d’hommes, en restituant, à l’aide d’une focalisation interne suggérée, les émois du jeune garçon.

Le roman dépassé par son adaptation

Mais le point d’orgue du film réside dans le dépassement du texte d’Édouard Louis. La cinéaste ne borne pas son adaptation à l’objet littéraire textuel mais évoque son impact en tant que fait. L’intégration dans la matrice narrative de la réception de l’œuvre est la grande plus-value du long métrage. En effet, la vie du jeune Marvin Bijou est évoquée par Martin Clément (Finnegan Oldfield), son double évoluant dans la Capitale. En effectuant son transfuge de classe, le jeune comédien change littéralement son identité pour renaître. Mais le nom n’efface pas les liens du sang. Lorsque sa pièce autobiographique – jouée en compagnie d’Isabelle Huppert dans son propre rôle – est publiée, c’est toute la famille Bijou qui est révélée au grand public. L’engrenage médiatique est alors lancé ; comme lors de la sortie du roman En finir avec Eddy Bellegueule, les journalistes se rendent dans le berceau du jeune prodige afin de “vérifier” le contenu de la pièce. Si la thématique des conséquences de la littérature dans le réel est souvent évoquée par des écrivains – pour ne citer que lui, Pierre Jourde avec La première pierre (Gallimard, 2013) – la transposition du fait littéraire au cinéma permet d’aborder dans une nouvelle perspective la question fondamentale: quelle est la part de réel dans la fabulation et comment la distinguer ?

Marvin ou la belle éducation, malgré quelques longueurs, surprend en bien. Anne Fontaine réalise une adaptation intelligente d’un roman contemporain, là où beaucoup ont échoué. Preuve que le cinéma peut suppléer à la compréhension de la littérature.