VIFFF: « L’humour et le comique, à travers les films, sont vraiment un immense défi »

Loïs de Goumoëns (à gauche) et Maryke Oosterhoff, les fondateurs du Vevey International Funny Film Festival (VIFFF). © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino

Du 27 au 29 octobre prochain, Vevey accueillera pour sa troisième édition le Vevey International Funny Film Festival (VIFFF). Crée en 2015 par Loïs de Goumoëns et Maryke Oosterhoff, la manifestation promulgue sur les terres de Chaplin trois jours de projections, de rencontres et de débats autour de la notion d’humour au cinéma. Rencontre avec ses deux créateurs à une semaine des festivités.

Jamais deux sans trois ! À l’approche de remettre le couvert pour la troisième édition du VIFFF, comment vous sentez-vous ?

Loïs : Impatients [rires]. Un peu stressé, un peu heureux. Un peu tout cela à la fois ! Nous avons vraiment hâte de commencer cette troisième édition. La première année c’est la découverte, la seconde on essaie d’asseoir les bases et la troisième c’est un test pour savoir si l’effet découverte se confirme par l’attention des spectateurs.

Maryke : J’ai l’impression que l’on a créé le VIFFF hier. C’est déjà la troisième année ! C’est passé extrêmement vite et puis en même temps c’est vrai que c’est l’édition de maturité; qu’il y ait du public sur le long terme, que ce ne sont pas seulement nos amis ou nos proches qui vont venir ! Maintenant, nous avons atteint une autre dimension avec un public propre qui se dessine : c’est ce qui va falloir prouver à cette édition.

Dans les productions cinématographiques, le genre comique est souvent perçu comme un genre mineur avec une étiquette très “populaire”. En faire la thématique d’un festival, est-ce un moyen de redorer le blason du genre dans les mentalités ?

Maryke : C’est exactement la démarche du festival. Le genre comique est souvent considéré comme un sous-genre ou comme moins noble que des grands drames par exemple. Notamment parce que cette catégorie reçoit moins de prix ou parce qu’il est considéré comme moins intéressant par les cinéphiles. Nous pensons que l’humour et le comique, à travers les films, sont vraiment un immense défi, voire un des genres les plus difficiles à réaliser. Au niveau artistique, il y a vraiment des propositions très audacieuses notamment à travers ce que ce mode peut dire sur le monde ; tous les thèmes peuvent être traités. En particulier, des thèmes difficiles comme le deuil qui est ressorti plusieurs fois l’an dernier dans la programmation. Le comique n’est pas une limite mais peut être traité à travers des angles différents.

Loïs : C’est aussi une façon de questionner la réalité et le monde, comme il y a plusieurs manières de voir la réalité ou de raconter une histoire. Le drame en est une comme le documentaire. La comédie, une autre.

Maryke : Et c’est un genre qui est également présent dès le début du cinéma, par exemple avec les vues Lumières et avec L’arroseur arrosé. Le comique accompagne le cinéma à travers son histoire.

Est-ce que cela permet de montrer des films différents de ce que l’on peut voir dans les blockbusters. Est-ce un critère de démarcation pour le festival ?

Loïs : Nous ne nous fermons à rien, en théorie. Mais c’est vrai que le but d’un festival c’est aussi de faire émerger des choses que l’on a pas l’habitude de voir. Si nous passions Bienvenue chez les Ch’tis, ce serait un petit peu problématique [rires]. L’idée est vraiment de montrer autre chose de ce qui passe à la télévision ou au cinéma, par exemple en terme de grosse comédie américaine ou française. Par exemple, cette année nous avons deux documentaires qui sont comiques. La première année, c’était un documentaire mettant en scène Justin Trudeau dans un combat de boxe (God Save Justin Trudeau, Guylaine Maroist, 2014) qui a gagné le VIFFF d’or. Du coup, c’est cet éventail-ci que l’on essaie de mettre en avant.

Maryke : Nous avons aussi des films en compétition internationale qui sont des productions asiatiques traitant l’humour d’une manière différente de nos habitudes. L’humour comporte un assez large spectre et une grande richesse entre l’humour noir, le documentaire et puis les différences de traitements suivant les continents.

Le VIFFF vient compléter une palette très large de festivals de cinéma (LUFF, NIFF, GIFF, Cinéfestival, Vision du réel) avec des thématiques très différentes. Comment expliquez-vous l’intérêt renouvelé suscité par toutes ces manifestations ?

Loïs : Je pense que c’est une réflexion assez globale sur la consommation de films. C’est-à-dire avec la possibilité de voir un film sur son ordinateur ou sur sa tablette pratiquement en même temps que sa sortie en salle. Du coup, c’est important de susciter de l’intérêt chez le public en créant l’événement. C’est notamment avec ces festivals que cela se fait. Avec la présence de réalisateurs, de trois ou quatre jours – voire une semaine de projections – que l’on ne peut pas forcément voir chez soi parce qu’il s’agit de petits films. La tendance générale montre que la présence des spectateurs baisse dans les salles mais augmente dans le cadre des festivals dédiés au cinéma. Il y a donc un intérêt. Mais il faut aller chercher les spectateurs.

Maryke : Puis, en ayant une ligne artistique claire et annoncée, nous espérons aussi mélanger les publics. Du très local au plus large : les Veveysans et plus globalement la Riviera avec Lausanne à treize minutes de train. Nous avons vraiment des films qui sont accessibles au grand public et qui sont excellents. Nous avons également beaucoup de premières suisses. En compétition internationale, sur sept films, six sont au moins des premières romandes. Du coup, les cinéphiles habitués des festivals trouvent aussi leur compte. Ce sont des films qui ne sortent pas forcément en salle et de ce fait moins téléchargeables. Des occasions uniques de voir ces produits-là donc je pense qu’il y a une réunion de public possible à travers le rire.

Parlons du programme. Cette année, vous avez choisi de mettre en avant une émission documentaire mythique du milieu des années 1980 Strip Tease, avec la présence de Jean Libon et Yves Hinant, dont le documentaire Ni juge, ni soumise sera également projeté. Comment vous est venue l’idée ce choix ?

Loïs : C’est venu avec la sortie de ce film documentaire. Nous sommes parti du long métrage que nous avons sélectionné et nous avions envie de les faire venir pour en parler. Du coup, nous nous sommes dit que ce serait bête de ne pas profiter de leur présence pour évoquer plus largement leurs carrières. Nous avons trouvé cela passionnant surtout que cette série – que l’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas – a marqué les esprits. Il y a autant de détracteurs que d’admirateurs à cette série. La série est polémique parce qu’elle montre des gens qui n’ont pas l’habitude d’être filmés. Cette version du comique pose beaucoup de questions et c’est intéressant de voir comment les créateurs en parlent.

Maryke : On se demande souvent comment ils ont réussi à s’introduire dans telle ou telle situation. Dans leur dernier film, on est dans le bureau d’une juge d’instruction à Bruxelles. Elle y reçoit beaucoup de gens. Par exemple, savoir comment ils ont réussi à pouvoir filmer ces moments-là est une demande assez pratique sur la réalisation mais qui intéresse le public.

Loïs : Le film en lui-même et d’ailleurs assez incroyable. La juge a un caractère assez dingue avec une répartie folle. Je l’ai regardé chez moi pour la sélection et à la fin du film je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’acteurs.

Vous proposez également Rions dans l’Espace, un cycle qui fait fusionner la thématiques du NIFF avec celle du VIFFF en projetant Man in Outer Space et Zonad. Former des ponts au sein même de la programmation avec d’autres festivals, c’est important ?

Maryke : Dans ce cas, cela se prêtait assez bien. C’est important de toute façon de travailler ensemble et d’être solidaires entre nous. Nous verrons par la suite ce qui peut se refaire dans le cadre d’un échange mais là, c’est un événement unique.

Loïs : Le NIFF avait passé ce cycle dans leur programmation et ils nous ont proposé de nous y associer, de trouver de nouveaux titres pour poursuivre le cycle.

Maryke : Science-fiction et rire… qui peut ne pas aimer cette perspective [rires] ? Ce sont deux films incroyables !

Le festival ne se contente pas de projeter des films mais donne également la parole à des intervenants. Cette année, Laurent le Forestier, professeur ordinaire à l’Université de Lausanne, viendra donner une conférence intitulée “Renouveler le burlesque pour désenchanter les Trente glorieuses : Sur quelques films comiques français des années 60-70”, précédé par la projection du film Pays de Cocagne. Les conférences, est-ce un pan du festival que vous aimeriez développer davantage ?

Maryke : Oui. Depuis le début, nous avons une collaboration avec le Café littéraire à Vevey, qui eux mêmes ont l’habitude d’organiser ce type d’événements donc c’est une association qui faisait sens notamment avec l’un de ses responsables Selim Krichane, par ailleurs chargé de cours au sein de la section Histoire et esthétique du cinéma à l’UNIL. C’était un lien assez évident que de travailler avec eux sur ce sujet et nous avons également cet apéro-rencontre que l’on organise pour la deuxième année. En faisant grandir le festival, l’on projette également d’augmenter ce type d’événements parallèle. Nous verrons sur quelle durée ou quel timing. Ces conférences permettent de mettre en amont ce que peut dire le comique et son histoire. L’an passé, le thème était “Chaplin militant” et la première était consacrée aux vues burlesques, ce qui permet de retracer l’histoire du genre.

Loïs : Cela paraît bête à dire mais l’on peut produire un discours très intelligent et qui pose beaucoup de questions sur le comique, sur des choses qui, à première vue, peuvent paraître peu pertinentes. C’est aussi par cette démarche que l’on valorise le genre.

Maryke : Nous faisons également un hommage à Jerry Lewis cette année. C’est vrai que si nous avions la possibilité, nous pourrions même faire encore un événement de discussion autour de sa figure. Les discours peuvent vraiment encadrer et développer cette dimension rétrospective. La programmation se base plutôt sur des nouveautés mais l’on pourrait développer aussi ce pan du festival.

De manière générale, quelle expérience tirez-vous du fait d’être à la tête, depuis maintenant trois ans, d’un festival de cinéma qui parvient à se pérenniser ? Est-ce que cette aventure dans les coulisses du monde audiovisuel a changé votre regard sur le cinéma ?

Loïs : Vaste question [rires] ! On avait déjà l’expérience du festival.

Maryke : J’ai travaillé pour Vision du réel et pour le NIFF et je travaille toujours actuellement pour le FIFDH [ndlr, Festival International du Film sur les Droits Humains] à Genève.

Loïs : Pour ma part, ce qui a pas mal changé c’est que gérer un festival, c’est 5% de champ artistique et 95% de travail administratif. C’est quelque chose propre au monde de la culture dont on ne se rend pas forcément compte. Beaucoup de bureau, d’envois de mail, de contrats; mais c’est cette partie qui nous drille.

Maryke : [Silence] Le résultat ! Voir les gens dans les salles qui rient, qui aiment les films et qui restent boire un verre. Le côté événement, voir naître tout cela, c’est super. Sinon, l’on est toujours pauvres [rires] ! On est arrivé à stabiliser le nombre de sponsors mais on reste plus ou moins au même niveau. L’idée pour le festival, c’est vraiment de pouvoir grandir, de se développer. Avant tout, nous aimerions réussir à payer les collaborateurs qui pour l’instant fonctionnent beaucoup grâce au bon vouloir de bénévoles : graphiste, responsable billetterie, responsables bar. Dieu merci, il y a beaucoup de gens passionnés et de bonne volonté mais c’est évident que ce n’est pas un type de structure qui peut tenir des années et des années. Au bout d’un moment, des gens professionnels dans leurs domaines, il faut les payer pour que cela perdure. La professionnalisation de la structure sera la prochaine étape.

Par la suite, est-ce que vous visez un agrandissement du festival ou souhaitez-vous plutôt pérenniser sa taille actuelle ?

Maryke: Nous aimerions développer un peu l’événement tout en gardant ce style de structure. Nous avons un très bon taux de remplissage des salles donc je pense que nous pouvons encore ajouter quelques séances supplémentaires. Cette année nous avons déjà doublé les séances le soir.