Jean-Charles Guichen sort le 20 octobre prochain un album aux valeurs d’une Bretagne retrouvée sous sa plus tendre forme et sa plus riche culture. Un seize titres composé d’une variété choisie de musiques proches d’une vision mélancolique d’une région repensée dans la tradition de ses ancêtres et accompagnée par le talent de plusieurs personnalités de la musique celtique. Au-delà du Bagad Sonerien Bro Dreger, Jean-Charles Guichen donne également voix au micro à Dan Ar Braz et Denez. Une collaboration pensée sans doute dans la durée, notamment avec le Finistérien – tenant du kan ha diskan – qu’il a retrouvé à l’occasion du 41e Paléo Festival en juillet 2016. « Je travaille également sur un de ses disques qui sortira l’année prochaine », annonce-t-il.
Il revient avec un nouvel album solo, mais qui reste passablement altruiste. Jean-Charles Guichen est reparti de Plestin-les-Grève, auprès d’un ami – Denez –, retrouvé après quelques temps après s’être succédé sur les planches de Paléo en juillet 2016 dans un Village du Monde entièrement dédié à une musique celtique qui souhaite se régénérer à la fois par sa tradition mais aussi au rythme de ses musiques contemporaines. Le guitariste des frères Guichen est alors reparti des fondamentaux, de sa Bretagne, des Côtes d’Armor – tout autant que des terres centrales de la région – pour produire (de sa petite production) un nouvel album aux révélations inspirées et ancrées dans un étalage territorial riche d’une histoire musicale puissante. Avec Breizh an Ankou, soit la Bretagne de l’Ankou, Jean-Charles Guichen rappelle son passé dans un élan plus mélancolique et plus intimiste qu’un rock celtique nettement abîmé tout au long de ses 40 années de carrière. Avec l’Ankou, figure plurielle – de la mort mais aussi d’une certaine légende antique bretonne –, il ré-évoque ce qui lui est de plus propre et de plus cher. « C’est vrai que l’Ankou est pensée comme la figure de la mort mais l’on est loin de cette image-ci; je souhaite avant tout me replonger dans les légendes de Bretagne », affirmait avec légèreté l’artiste. « Sans aller jusqu’au folklore breton, je suis issu d’une famille où mes grands-parents étaient tous chanteurs – pas professionnels, ils étaient paysans – et se produisaient dans les fest-noz [ndlr, les fêtes de nuits en Bretagne] ou autres fêtes de moisson. Je me compare souvent à ces gens qui travaillaient la terre dans ma Bretagne. Et je tiens à leur rendre hommage, à mes ancêtres mais aussi à toute cette culture bretonne qui est la mienne. »
« Il y a une dizaine d’années, je me suis rapproché de la côte et me suis retrouvé à me balader en pêche à la mer »
Jean-Charles Guichen
Dans un nouvel opus, son cinquième personnel, Jean-Charles Guichen a usé de ses multiples talents, intégrant une orbe essentiellement pittoresque à ses créations. Du pittoresque, à la fois musical bien entendu, mais aussi issu d’un pinceau habile et créatif. Incluses dans une première de couverture et une pochette entièrement dessinées à l’acrylique sur toile, l’artiste a accompagné ses musiques de peintures directement sorties de son propre atelier. « J’aime mélanger la musique avec l’art de la peinture; j’ai passé un mois et demi en atelier pour peindre les coins et recoins de cette Bretagne sur les toiles. » Autrement, l’on retiendra un mirage particulièrement inspiré dès le premier titre Ar mor o kanañ, où l’on se replonge dans l’écume des vagues fraîchement reproduites dans les vingt premières secondes du morceau. Comme si l’on repartait de l’image de cette eau bleu marine pour repenser une Bretagne telle qu’imaginée par les ancêtres ? Pas tout à fait ! « Je suis personnellement du centre de la Bretagne. Et en Bretagne, il y a la terre et la mer et je suis plus du côté de la terre, auprès de mes ancêtres paysans. Et il n’y a pas si longtemps que ça, il y a une dizaine d’années, je me suis rapproché de la côte et me suis retrouvé à me balader en pêche à la mer, ce qui attise énormément ma sensibilité. Et j’y ai composé la plupart de mes derniers morceaux, dont Dañs Ar Mor, mais aussi Ar mor o kanañ, ce qui signifie “la mer qui chante” et effectivement, elle débute avec quelques enregistrements de la mer que j’ai faits sur la plage où je me rends habituellement. » Une expérience personnelle que Jean-Charles Guichen eut d’abord écrite, mise à plat, composée puis enregistrée dans un but tout autre que celui du commerce radiophonique. C’est parfaitement là, la teinte d’une production vivante et nourrie par les sentiments qui se démarque d’un panorama et d’un sentier parfaitement déterminés. « C’est un titre [ndlr, Ar mor o kanañ] qui a été composé avec les Sonneurs du Bagad [Sonerien Bro Dreger] qui m’a par ailleurs accompagné sur plusieurs titres et comme toutes mes chansons, je ne prévoyais pas à l’avance de l’inclure dans un album. Je souhaitais avant tout transmettre mon expérience – du début à la fin – à l’extérieur et prendre le temps qu’il fallait pour les matérialiser. »
Du partage du “Solo de l’Ankou”
Même si initialement personnel, ce nouvel opus partage de nombreux titres avec autant de personnalités de renom de la musique bretonne. Et même si l’on ne retrouve pas son frère Fred – avec qui il partage de nombreux plateaux en live: « Je me réjouissais de voir un projet sans accordéon [rires] » –, l’on retrouve notamment les noms de Dan Ar Braz et Denez, ce dernier ayant également figuré à l’affiche du 41e Paléo Festival en 2016. « J’avais un répertoire déjà réalisé seul sur ma table acoustique issu d’un projet nommé “Solo de l’Ankou”, monté pour un solo, mais le projet a rapidement bénéficié des invitations, dont Denez. » Un casting de prestige aussi voulu dans la continuité des précédents disques ? « J’ai en effet réalisé quatre albums en solo, dont un particulier en 1998 – j’avais 27 ans à l’époque – où j’avais invité plusieurs artistes qui me touchaient de la culture bretonne avec cette logique de se retrouver à six ou sept pour partager un disque. Et en parlant de Denez, c’est au Paléo Festival que j’ai eu l’occasion de le retrouver après plusieurs années et je lui ai demandé de m’accompagner sur un titre [ndlr, An Dourdu, en référence au ruisseau coulant dans les Côtes d’Armor]. Nous nous sommes alors retrouvés en Bretagne et avons alors collaboré. Cela est une très belle histoire partie d’une rencontre au Paléo. J’aime sa façon de penser, son timbre et j’ai visé juste parce qu’il a rapidement pris le morceau à cœur et a pris le temps pour le travailler. Il est très perfectionniste. »
« Ce titre, proche d’un gwerz, est une danse à l’arrivée mais Denez y a mis de sa patte »
Jean-Charles Guichen
An Dourdu représente sans doute le morceau cardinal d’une rencontre heureuse, au détour d’une composition personnelle repensée de par le talent confirmé d’un proche ami. « C’est un morceau que j’ai joué auparavant avec un ancien groupe “Ar Re Youank” et je suis très fier qu’il adapte cette composition qui a pris une nouvelle tournure. Le chant traditionnel qui accompagne la musique – qui signifie “eau noire” – lui a permis de correspondre totalement à l’état d’esprit de voir les choses un peu mélancoliquement, proche d’un gwerz. Ce titre est une danse à l’arrivée mais Denez y a mis de sa patte. » Mais le disque ne passe pas dans les travers d’une tradition maintes fois rabotées sur la culture bretonne; le disque est pensé, ressenti et teinté d’une légèreté qui le démarque d’un simple pensum nostalgique. Il marque plutôt le retour d’un pair dans son pays, du paysan sur ses terres, du berger auprès de ses bêtes. « Quand l’on pense à la Bretagne, quand l’on est sorti de sa région, l’on prend volontiers un air de romantisme à l’idée de la retrouver, mais pas nécessairement un penchant nostalgique que l’on confond facilement avec une certaine mélancolie que l’on emprunte dans sa musique. Je suis personnellement toujours tourné vers l’avenir et cet album peut marquer un tournant dans mes 40 ans de carrière. J’ai toujours pris le pli de faire des albums empruntés de jazz ou de rock et là, je reviens sur mes racines; les premiers morceaux inspirés et composés en toute simplicité. Cela donne cette couleur d’un musicien typiquement breton. »
Loin du pur rock celtique
La nouvelle création de Jean-Charles Guichen revient à l’essence même de la musique celtique, dans un cadre particulièrement intimiste, sorti du sentier purement rock celtique, autrefois partagé avec Alan Stivell. Mais il est un beau rappel à cette tendance longuement pratiquée à l’ère de l’éclectisme musical, au tournant d’une musique bretonne revisitée au rythme d’une batterie et d’une guitare électrique. Cette âme rock celtique, elle se retrouve dans un autre titre central du complexe en seize titres de l’artiste; un titre – The Breton Roots – en collaboration avec Dan Ar Braz, un auteur qui eut notamment bordé le début de carrière de l’artiste. Une histoire pas moins chargée donc: « Ce titre correspondait particulièrement à une chanson jouée avec Stivell dans les années 1960. Elle me fait penser à ces années-là. J’ai en quelque sorte aussi voulu ressortir le rockeur Dan dans cet album [rires]. » Une marque nourrie qui se prête également à l’exercice d’un exhaustif peu commun, aussi car sur le disque du guitariste des frères Guichen, l’on retrouve une belle diversité des genres, partant de la gavotte à la dañs plinn, passant notamment par le gwerz, la valse, le laridé ou encore le Rond de Saint-Vincent. « Il y avait une volonté de faire danser les gens et effectivement le répertoire raconte une histoire – couplée des peinture et de la musique – qui ne soit pas quelque chose de folklorique. Mais tout en montrant cette Bretagne au prisme de sa musique contemporaine. » Une histoire complète. Un récit poétique à découvrir dans sa plus tendre crudité, et dans sa complète nudité; sans filtre et sans artifice aucun. Ce n’est que la Bretagne que Jean-Charles Guichen présente cette année.