La musique du nouveau trio de Pascal Danaë s’inscrit dans un voyage initiatique dans des contrées passablement exotiques, la Guadeloupe, dans le profond certain des Caraïbes, au large de la côte américaine. Delgrès, ce nouveau groupe composé de Pascal, Baptiste Brondy – batteur de l’ancienne “Rivière Noire”, vainqueur aux Victoires de la Musique en 2015, cofondé par Pascal Danaë lui-même – et Raf Gee à l’imposant soubassophone, part de ces terres excentrées et à l’Histoire riche pour en extraire dans ses musiques, les soubassements d’une culture signalée. Tenants d’un blues créole défini par le style baroque de Pascal Danaë et les provenances du classique de Raf Gee, le trio ne manque pas de faire des liens aussi bien historiques que culturels dans ses nouvelles créations. Rencontre au Paléo Festival.
Votre blues créole n’est pas sans rappeler ce blues américain de Louisiane, très profond et teinté de racines africaines et indigènes.
Pascal Danaë: C’est un lien qui existe mais qui n’est pas mis en valeur chez nous parce que, quand on est de la région des Caraïbes, on appartient plus à l’Amérique qu’un autre continent. L’Amérique Centrale et très très proche des États-Unis et il existe des liens culturels très forts entre les Antilles françaises et la Louisiane. Donc la présence du créole, tant dans la langue que la culture, même gastronomique, est très forte aux États-Unis. Donc, ce que nous proposons, en mélangeant ce blues profond du Mississippi avec la culture créole n’est jamais que faire resurgir quelque chose qui a été sous-jacent ou qui est là depuis longtemps. Aussi, des musiques différentes ont pris le pas – des musiques plus festives, dansantes ou autres, mais il existe toujours des tendances essentiellement africaines, dans le gwoka par exemple, qui expriment une espèce de blues à base de tambour et de voix. Le gwoka est un style développé par les travailleurs des champs, des ouvriers agricoles. Nous mettons donc en lumière ce lien très fort entre la Caraïbe française et la Louisiane.
Amsterdam est le lieu où vous, Pascal, avez commencé, seul avec une guitare dont les premières assonances créoles tendaient – et évitaient – de ne pas reproduire le simple blues américain de la tradition au Mississippi ou en Louisiane.
Pascal Danaë: C’est le moment où j’ai trouvé ma guitare blues avec résonateur. C’est le moment où j’ai commencé à utiliser des accordages plus blues et petit à petit, des mots et des mélodies sont venues et qui ont vraiment été empruntées à des sentiments profonds que l’on peut rapprocher au blues. Donc, en fait, le tout début a été à Amsterdam. Et le moment où “Delgrès” est devenu “Delgrès”, dans sa forme et sa force, c’est le moment où l’on s’est retrouvés tous les trois.
Il est une identité personnelle chez Pascal Danaë, retrouvée également chez “Rivière Noire” et “Delgrès”, qui rapproche une forme d’acoustique assez présente avec une guitare, une basse, une batterie ou un soubassophone. Il y a du réfléchi aussi dans l’instrumentation ?
Pascal Danaë: Le tout appartient à des désirs, aller au bout d’un désir. C’est au moment-même où l’on débute une chanson, et lors duquel l’on se met à imaginer le corps instrumental qui le suivra; un orchestre à cordes, un solo de trompette ou, comme dans mon cas, qu’il y ait un son de basse. Mais pas une basse normale; j’ai toujours apprécié la musique de rue, les sons de fanfare mais qui en même temps, maintienne une certaine forme de noblesse. Le sousa [ndlr, autre nom du soubassophone] est un instrument qui peut être aussi bien basique – dansant ou pas – qu’un instrument aux mélodies magnifiques qui explorent des choses très fines. À un moment, j’ai donc souhaité aller au bout des choses et j’ai eu envie de travailler avec Raf Gee.
Y avait-il une volonté de tendre également vers une brass band ?
Raf Gee: Ce n’est, pour sûr, pas une volonté principale. Je crois que l’on voulait inclure un élément qui fasse penser plus à la rue et se retrouve dans une certaine histoire. Le tuba face à une basse rappelle certes une brass band mais aussi la Nouvelle Orléans et toutes les passerelles de la musique que l’on produit. Cela fait quelques mois que j’étais, personnellement, à la recherche d’un projet artistique. Cela faisait quelques temps que je faisais du jazz, de la funk mais je connais aussi les musiques caribéennes et la trouvaille Delgrès se voyait aussi bien adaptée à ce que je recherchais aussi. C’est pas pour se rapprocher plus spécifiquement d’un projet très précis comme une brass band. C’est vraiment pour apporter plein d’éléments de langage dans notre musique. Donc, nos diverses influences font que Delgrès tend vers un projet un peu unique mais teinté de beaucoup d’influences, dont le sousaphone fait partie. Même si l’on ne connait pas bien la musique, c’est un instrument qui va parler aux gens et va évoquer certaines choses, des éléments plus poussiéreux que le ferait une basse classique.
Il y a en tous cas une tendance vers le côté festif et ce, malgré les références historiques profondes – telles que l’officier Louis Delgrès, luttant contre le rétablissement de l’esclavagisme par Napoléon en 1802 en Guadeloupe – que vous ramenez sur scène. Vous rejetez toute nostalgie et tendez sans cesse vers un esprit de fête…
Pascal Danaë: Nous sommes en réalité entre les deux. Quand bien même nous faisons référence à des éléments de mémoire, il n’y a jamais de nostalgie. Il n’y a pas la pensée que les choses étaient mieux avant. Nous souhaitons avant tout savoir d’où l’on vient, connaître notre passé et faire la lumière sur un héros un peu oublié des Caraïbes. Nous sommes dans une certaine mise en lumière mémorielle sans que cela ne tourne à une quelconque revendication. Sans tomber dans une énergie strictement festive, nous souhaitons maintenir une énergie surtout positive. Des Louis Delgrès, il y en a dans toutes les régions. Des Catalans, des Bretons, dont personne ne parle dans les livres d’histoire nationaux mais qui restent des personnes importantes. Il y a même dans toutes les familles – je le dis souvent sur scène – dans l’entourage de tout un chacun, un héros, soit quelqu’un qui va se démener pour les siens, parfois même une maman ou un père de famille. Cela fait du bien, de temps en temps, d’avoir une pensée pour ces gens-ci, dont personne ne parlera jamais dans les journaux. La vie est vécue en collectif, en société, avec ses grands moments d’Histoire auxquels s’ajoutent nos grands moments d’histoire personnelle. C’est une sorte de changement de plan continuel entre le collectif et l’individuel. Ce sont ces liens-ci que nous ravivons avec notre musique. Nous positivons la mémoire même douloureuse; nous en faisons quelque chose de positif. Nous donnons un éclairage particulier pour continuer à avancer.
Cela fait depuis 2015 que vous êtes réunis au sein de Delgrès…
Baptiste Brondy: Nous nous sommes retrouvés au début, en studio de répétition dans lesquels, nous avons commencé à jouer. Le son est arrivé immédiatement, nous permettant de créer cet univers assez rapidement. Nous sommes sur la route depuis mars 2016, jusqu’à aujourd’hui, au Paléo Festival.
Seuls rrois titres disponibles sur les plateformes de téléchargement légal, que l’on retrouve en vidéo sur internet, même si un album est en préparation pour printemps 2018. Delgrès est donc avant tout, pour l’instant, une expérience vécue principalement sur scène ?
Baptiste Brondy: C’est comme cela que nous l’avons souhaité. Nous nous sommes réunis vraiment autour de l’envie et le plaisir de jouer. Nous souhaitions d’abord aller à la rencontre de notre public, de sentir les choses, vibrer face à eux et de laisser, en quelque sorte, cette musique suspendue en l’air avant de la fixer.
Pascal Danaë: Nous voulions pouvoir arriver en studio en connaissant et en ressentant, surtout, parfaitement chacun de nos titres comme jamais nous l’aurions pu si nous ne les avions pas testés sur scène avant. C’est d’autant plus bénéfique après une tournée; nous n’avons même plus besoin de nous regarder. L’on va où on veut et ça donne automatiquement un très beau résultat.