La Berbenautika émargée des Caribéens Systema Solar

Au Village du Monde du 42e Paléo Festival, la fête fut encore de la partie mercredi soir. Après l’apparition sur scène des Béliziens de The Garifuna Collective et du Mexicain Celso Piña, tenant d’une cumbia révolutionnaire, c’est le collectif Systema Solar qui a eut l’honneur de conclure les festivités du quartier le plus au nord du site du festival nyonnais, déjetant notamment les repères les plus ancrés de la tradition colombienne à la faveur de leur genre de musique singularisé et inventé à l’image de leur personnalité, la Berbenautika. Rencontre.

Il est des collectifs qui partent de la simplicité pour asseoir un potentiel magique et relativement sans bouffissures de styles. Systema Solar fait décidément partie de ceux-ci; deux maîtres de cérémonies déjantés, animés, attrait d’une joie de vivre et de partage certaine qu’épousent également les trois autres membres du collectif ayant foulé les planches du Dôme et la scène de l’Escale mercredi soir au 42e Paléo Festival de Nyon. Néanmoins, lors de leur set en troisième partie de soirée (22h30), la réalité attendue ne fut pas celle que l’on espérait. Sans visuel, et amputés de deux de leurs membres, le producteur Juan Carlos Pellegrino et la technicienne du visuel Vanessa Gocksch, dans le lointain voyage sur la plaine de L’Asse, le collectif n’a pas envahi la scène principale du Village du Monde de leurs animations généreuses, se limitant à leurs costumes colorés et leur musique des plus dansantes de la côte caribéenne de Colombie. Mais loin fut le tracas de la mise en scène, les cinq performeurs ayant donné de leur âme et de leur bonne humeur toute la sérénité de fête qui caractérise leur expérience musicale.

« La Berbenautika est une manière de nous élever, par son style et sa forme »

Jhon Primera, MC de Systema Solar

Avec deux DJs – le Carthagénois Arturo Corpas, tenant du hip-hop de Medellín ayant rejoint le collectif en 2008 et Daniel Broderick, pionnier de la techno en Colombie et fondateur de festivals et groupes underground reconnus de Bogotá, à l’image de Mutaxión et Bogotrax depuis 1990 – un percussionniste, Andrés Gutiérrez – natif de Santa Marta et sensibilisé dans ses contributions, depuis 2009 dans le groupe, aux rythmes afro-colombiens – et les deux chanteurs Jhon Primera et Walter Hernandez, Systema Solar a trouvé un équilibre solide dans un marais de styles porteurs d’une musique qui se veut fédératrice et captivante, donnant notamment naissance à leur propre genre de musique, la Berbenautika. « La Berbenautika est une manière de nous élever, par le style et la forme par laquelle nous l’avons développée », débute Jhon Primera en interview quelques heures avant de monter la scène du Dôme. « C’est une ombre nouvelle sur la musique et qui caractérise parfaitement comment nous tous sommes. Cela fait allusion aux fêtes populaires comme on en trouve plusieurs en Colombie mais aussi à son sound system, le piko. Et en général, c’est un style qui nous permet de mélanger plusieurs musiques et non seulement quelques musiques d’un même genre, d’une même forme », complète Walter Hernandez. En réalité, Systema Solar a développé là son propre écosystème doté d’une philosophie et d’expériences plus que particulières, permettant de traduire en innovation la tradition de nombreuses cultures répandues sur la longue côte des Caraïbes du continent américain. Inspirés par les pikos, ces musiques tenantes d’une culture caractéristique en Colombie, se rapprochant par là-même d’un système musical présent également en Jamaïque, mais aussi de ces fêtes populaires traditionnelles, les verbenas, le collectif originaire de Colombie ne s’adonne qu’à une seule finalité, faire danser les plus réceptifs à leur culture riche et raffinée. « Nous donnons voix à la tradition, le folklore colombien, la saveur de la musique du monde », lâche le MC Jhon Primera.

Un voyage à des années-lumière du système solaire

Pour le dire, cet écosystème repensé, développé à la manière de la tradition et du folklore caribéen n’est pas simplement interprété à l’image d’austères performeurs taillés pour la scène. Systema Solar doit tenir son appellation aussi du voyage qu’il met à portée des nombreux festivaliers présents aux abords de la scène du Dôme mercredi soir. Loin de la perfection modélisée des connections entre les différentes instrumentations mises en œuvre dans leur musique, le collectif réfléchit avant tout à la teneur de leurs mouvements, des couleurs qu’ils dessinent à la faveur de leurs costumes et de leurs créations aussi bien visuelles que musicales. C’est pourquoi, Systema Solar n’est pas simplement un groupe du raz-terre, banal et dansant. Faut-il croire que les cinq artistes du groupe planent dans des contrées inexplorées, imparcourues par leurs pairs en Amérique latine, hors du système solaire, dans un espace où tout devient possible et loisible.

« Nous faisons partie d’une génération, fille d’une tradition musicale riche »

Walter Hernandez, MC de Systema Solar

Mélange de dub, rap, techno et bien sûr, tachetés d’un vent certain d’électro, Systema Solar revisite les plus folkloriques des musiques de leurs contrées colombiennes et latino-américaines, allant de la cumbia – ce style né en Colombie, puis unanimement répandu dans l’entier du continent américain [Lire sur le sujet, l’immersion dans la musique du Montréalais Boogát] jusqu’à la porra et la champeta. Un besoin de remoderniser une certaine tradition musicale déjà si étoffée ? « Nous et les autres faisons partie d’une génération, fille d’une tradition musicale riche – débute l’un des deux chanteurs du collectif, Walter Hernandez, avant de poursuivre – Nous allons plus loin que la tradition grâce à des éléments modernes tant sur nos disques qu’en représentations sur scène. Nous avons appris des générations passées et, de notre époque, nous réinterprétons les pas déjà effectués par nos ancêtres, voir parfois même les transgresser d’une manière à produire des sons de notre temps. Le folklore n’en est néanmoins pas perdu, à défaut d’être sauvé. Nous y apportons simplement ce que nous tenons de nous, ce que nous avons et ce qui nous caractérise. Il n’y a pas de rupture avec le passé. » Aussi, est-il difficile de se séparer de ces sound systems qui composent l’essence musicale même de leur Colombie natale: « Le sound system, en tant que culture, est un patrimoine des grandes Caraïbes pour le monde entier. C’est la présence adaptée d’une équipe unie à une expérience déjà collective. Chaque pays ou région comporte son propre sound system comme les Sonideros au Mexique ou le Tok Mashan en Trinité-et-Tobago mais dans une expérience diverse. Chacun apporte une saveur particulière, tenant d’une identité sonore et une culture de danse particulière afin de tenir aussi une certaine tradition. Nous sommes unis dans un patrimoine des Caraïbes et de la Colombie », témoigne encore Walter Hernandez. Nul doute que Systema Solar réinvente là une saveur musicale propre et esthétique, dotée généralement d’une mise en scène réfléchie: « Les vêtements font référence à une culture indigène et ont aussi une ascendance afro de la côte caribéenne de Colombie. C’est en référence à un patronat indigène dont les éléments se retrouvent dans la scénographie; l’espace est caractérisé et préparé pour la fête avec des effets de lumière et de vidéos, une technique visuelle qui fait partie d’une seule et même expérience », rappelle Jhon Primera. Pourtant à Paléo, le collectif n’a pourtant pas déployé l’entier du visuel habituel, sans arrière-fond animé mais avec un habillage des plus traditionnels.

Une expérience scénique vivante et festive

Chaque représentation est une expérience pour Systema Solar qui voit à chaque concert – quelque soit l’endroit – l’occasion de divertir un public averti à une musique si singulière. C’est ainsi, que lors de leur premier set sur la scène plus intimiste de l’Escale à 18h30 mercredi après-midi, le collectif eut d’ores et déjà daigné faire danser les festivaliers par leur bonne humeur et leur énergique débordante. L’Escale et le Dôme, ces deux écrins aux particularismes évidents, ont chacun été hôte de la musique du collectif colombien mais de ces deux expériences, les deux MCs n’extraient aucune différence particulière, ni dans les circonstances du floor, encore moins dans l’attraction d’un public gourmet des bonnes recettes musicales outre-Atlantiques. « Qu’il y ait deux ou mille personnes sur le parterre ne change en réalité pas la teneur de notre musique. L’important est la transmission du public vers l’artiste et vice-versa », témoigne Jhon Primera. « Tout est inclus dans l’électricité, le courant qui passe entre le public et nous », plaisante à son tour Walter Hernandez avant de continuer: « Nous donnons toujours la même énergie quelque soit la scène sur laquelle nous nous produisons. » Une osmose aussi bien partagée avec le public qu’entre les membres du collectif même, où chacun est très regardant de son suivant:  « L’osmose se fait à partir de la reconnaissance que chaque intégrant apporte au groupe. Nous vivons une expérience particulière dans laquelle nous sommes complémentaires, et ce depuis une dizaine d’années », confirme Walter Hernandez avant de conclure sur les ressorts de leurs créations musicales: « Nous apportons une variété de couleurs, de vidéos, de musique et chaque chanson est, pour nous, une exploration. » Ce qui fait notamment que l’expérience Systema Solar n’est pas exclusivement réservée à la scène directe mais peut tout aussi aisément être goûtée au travers d’un disque: « Sur le disque, il y a la même saveur que l’on acquiert sur scène. Il n’y a pas de particularité sensiblement différente. Les deux formes se valent; Systema Solar peut s’apprécier comme une expérience en direct mais aussi à la maison », conclut pour sa part Jhon Primera. Une chose est sûre: la fête fut de la partie mercredi soir encore au Village du Monde.

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