Mathieu Jaton: « Nous voulions marquer l’histoire, le patrimoine mais aussi amorcer un tournant futuriste »

Mathieu Jaton lors de la conférence de presse de clôture au 2M2C de Montreux, vendredi 14 juillet 2017. © Oreste Di Cristino / leMultimedia.info

Le président du Montreux Jazz Festival, Mathieu Jaton, a fait part, un peu en avance lors de sa conférence de presse de clôture des festivités, de son bilan émotionnel sur la 51e édition du festival qui aura duré du 30 juin au 15 juillet 2017. Sans revenir en profondeur sur les plus grands moments – bons ou moins bons – de la quinzaine, le CEO de l’organisation a défendu une année « dense et complexe » et où Montreux, en lieu de villégiature, a encore une fois invité son public dans « le salon du jazz » international. Fort de ses expériences et de ses sensations de plénitude, Mathieu Jaton est revenu pour leMultimedia.info sur ce qui fait de Montreux, sa grandeur d’âme créatrice et si innovante. Entretien.

Fin de cette 51e édition à Montreux, une édition post-anniversaire. Comment garde-t-on ce degré élevé de plénitude, même après 50 années de renouvellement ?

C’est justement cette volonté de sans cesse nous renouveler et c’est vrai qu’au moment de la 50e, nous étions dans quelque chose d’assez important, d’assez lourd. Nous voulions marquer l’histoire, le patrimoine mais aussi amorcer ce tournant futuriste, ce que le festival doit et devra être demain dans le monde de la musique dans lequel il se trouve aujourd’hui. Je suis très heureux de cette 51e édition parce que nous avons vraiment montré quelque chose de différent, quelques prémisses du futur, sait-on jamais. Nous sommes en réalité les récipiendaires de ce qui se fait déjà dans le monde de la musique donc ce n’est pas à nous de dicter ce qui va se faire plus tard mais plutôt de l’orchestrer de manière intéressante. Cette année, nous avons pris des risques, des risques dans le passé, mais aussi pour le futur et jusqu’à ce jour – je touche du bois – tout s’est très bien passé. Les moments de magie, ces moments uniques, d’improvisation, de partage sont arrivés comme nous le voulions. Et c’est bien le plus important pour moi. Montreux n’est pas une simple liste de courses, ce n’est pas un festival où l’on vient voir un concert de manière linéaire avant de rentrer chez soi. À Montreux, l’on vit une expérience qui doit être pleine et totale et j’espère que le public l’a ressentie comme telle.

Un degré de création permanent depuis toutes ces années, d’abord sous Claude Nobs et encore aujourd’hui. Ne seraient-ce que le changement entre la Rock Cave et le Lisztomania, les rendez-vous “Out of the Box” – qui sont entre autres les nouveautés de cette 51e édition – marquent ce quelque chose sempiternellement nouveau qui permet au festival de garder sa marque ?

J’aime innover, sans cesse. Je ne suis pas un homme du “copy-paste”, je n’aime pas cela. Des fois, cela peut même être fatiguant pour mes collègues, parce que nous avons toujours ce besoin de créer. Mais finalement, pour moi, Montreux est aussi cela. Montreux passe aussi par les attentes du public, des journalistes qui avant même la conférence de presse d’ouverture, demandez les nouveautés de la saison. Et de tout cela, nous en avons besoin. Je crois que cela fait du bien. Certains festivals sont sur des formats moins évolutifs, il en faut pour tout le monde. Montreux a une structure de base qui est la même – nous ne sommes pas des novateurs de fond – mais nous avons également besoin de certaines piqûres de créativité, comme en témoignent les créations de Cuts, d’Insider, la nouvelle grande terrasse, le Lisztomania. J’aime les histoires, j’aime en raconter comme ce nom “Lisztomania” qui peut paraître absurde au premier regard. “Out of the Box”, c’est la même chose, cette manière de souligner que l’on sort des murs, nous allons dehors où l’on anticipe peut-être un déménagement du bâtiment que l’on devra faire en 2020 quand il y aura des travaux de rénovation [ndlr, un investissement de 50 millions de francs de la part de la commune de Montreux]. J’aime quand les choses – au-delà d’être gratuites – sont réfléchies, sont pensées car quand elles sont comme cela, elles sont vécues pleinement et authentiquement. Cela peut plaire ou non; au moins je sais que nous avons tous les tripes dedans et que nous le vivons ensemble à 200%. Je n’arrive pas à venir devant la presse et défendre un projet que je ne sens pas, sous le simple prétexte que c’est comme ça, ça marche comme ça ou parce que c’est « marketé » comme ça. On s’en fout, ceci n’est pas Montreux. Montreux, c’est les tripes, la volonté, la passion du début à la fin, à un rythme qui peut plaire ou déplaire, qui peut fâcher ou rendre heureux. Cela a toujours été comme cela et nous continuerons ainsi.

Une expérience nouvelle également du côté des artistes avec la présence le 4 juillet d’Imelda Gabs au Stravinski dans une soirée pourtant initialement réservée à Emeli Sandé et Lianne La Havas. Cela fait partie du lot de surprises et d’improvisation – plus que d’innovation ici – que vous réservez aux festivaliers chaque année ?

Clairement. Improvisation à laquelle s’ajoute le coup de cœur. Imelda nous était connue déjà depuis la Montreux Jazz Academy et puis deux jours avant son concert, elle jouait devant les mécènes de la Montreux Jazz Artists Foundation (MJAF). Et avec notre président François Carrard, à l’écoute de son concert privé, nous ne pouvions ne pas remarquer son talent incroyable. Il nous fallait la montrer au grand public et à l’occasion de notre problème imminent sur la soirée du 4 juillet au Stravinski [ndlr, à l’annonce du renoncement de la tournée européenne d’Emeli Sandé], nous décidèrent de la rajouter au Line-up, afin qu’elle puisse faire l’ouverture de la soirée. Elle le mérite, même si j’imagine que cela a pu être quelque peu stressant pour elle. Mais la manière par laquelle le public l’a reçue, l’a accompagnée – mérite encore à elle de l’avoir porté pendant 45 minutes – était très émotionnant. Aussi, le public nous connait, sait que l’on sait faire ça. Ils ont déjà suivi les gagnants des compétitions [ndlr, voix, guitare électrique et piano]. Le public sait que l’on a un petit peu l’oreille, aussi car beaucoup ont eu, déjà par le biais des coups de cœur de Claude Nobs, leur première au Stravinski lors des précédentes éditions du festival. Donc si nous parvenons à être également ce tremplin, nous n’en sommes que plus heureux.

Revenons sur la programmation des scènes gratuites, notamment le “Lisztomania” qui est aux mains de Mathieu Monnier pour la programmation, en plus du Lab. Y a-t-il également ce besoin de lier les expériences, les découvertes par la voie de la programmation entre les salles gratuites et les payantes, de manière à y maintenir une certaine harmonie ?

Certainement. Contrairement à ce que certains peuvent parfois dire – ce que je déments immédiatement –, le Montreux Jazz Festival n’est pas un festival à deux vitesses. Au contraire, c’est un festival où les salles gratuites sont complémentaires aux payantes. Les programmations sont transversales et se croisent. Oui, nous aimons la notion de curiosité, de découvertes, en amenant le public vers une partition qu’il ne connait peut-être pas très bien. Mais plus il la découvre et plus il la jouera et plus il se rendra compte que l’ensemble sonne bien. C’est cette notion musicale parfaite qui, selon moi, est importante. Nous donnons beaucoup d’importance au travail concernant ces niches, soit ne pas aller dans la facilité – ce qui nous caractérise toujours. Et le “Lisztomania”, cette salle qui aligne seize concerts qui sont tout de même assez pointus, s’adresse tout de même à certains connaisseurs, à des gens qui sont particulièrement intéressés à la musique. Et c’est la même chose pour le “Music in the Park”, pour le “Strobe Klub”, où nous y construisons aussi le futur. Nous donnons une certaine confiance à des artistes à un certain moment qui nous le rendent bien. Nous savons combien d’artistes ont commencé à Montreux; Norah Jones – personne ne le sait – avait commencé au Montreux Jazz Café. J’ai même retrouvé des bandes de Norah Jones à ses 17 ans aux Cafés. Paolo Nutini était invité en guest sur la scène à 17 ans également. J’avais aussi invité Jamie Cullum à une conférence de presse à un moment où il était totalement inconnu, Rag’n’Bone Man pareil. L’histoire est longue de ces artistes qui ont un lien avec notre passé au festival. Les Black Eyed Peas vinrent également à Montreux à un moment où ils étaient peu connus, tout comme Muse à leurs tout débuts de leur carrière. Et dix, quinze ans plus tard, ils se rappellent de leur première ici et du fait que Montreux a eu une importance dans leur carrière. Tout cela fait partie de notre manière aussi de construire l’avenir, contrant le “Music Business” dans lequel on se trouve, tout en jouant sur des spécificités qui sont purement humaines.

Des scènes gratuites qui ont contribué à la plénitude de festival, le rendant interminable tout au long du jour, comme de la nuit…

Oui, c’était fou cette année. Je n’ai jamais vu un festival passer aussi vite que cela. Et je pense que c’est pour cela que j’ai parlé, lors de la conférence de presse, de plénitude et de densité, car je ne sais, encore aujourd’hui, où donner de la tête, tellement il y a de choses. Néanmoins, c’est bien si cela passe vite car cela veut dire que c’est bon. J’eus vécu des festivals où l’on a parfois vécu quelques coups de moue ou quelques expériences en demi-teinte. Ici – encore une fois que l’on apprécie le format ou non –, cette machine est montée en puissance dès la première semaine; l’on a senti cette grande énergie nous envahir et j’espère pouvoir encore fêter en feux d’artifice jusqu’à samedi soir [ndlr, 15 julllet, soirée de clôture des festivités à Montreux].