Après la prestation de la talentueuse Casey, c’est au tour du rappeur Youssoupha d’investir la scène du Lab pour son deuxième passage montreusien. Mais le natif de Kinshasa n’est pas venu tout seul. Il était accompagné du groupe colombien Crew Peligrosos. Ils nous offrent un set à la croisée des influences d’Amérique latine, d’Afrique centrale et d’Occident.
C’est sur une scène plongée dans le noir que Youssoupha et les Peligrosos débarquent en trombe pour débuter la grosse première partie de soirée au Lab. Avec l’attirail habituel de tout bon rappeur – sweat à capuche et casquettes pour les Colombiens ou lunettes de soleil teintées et chaîne bling-bling pour le Franco-Congolais – le show commence sur les chapeaux de roues. JKE et P Flavor, les frontmen des Peligrosos, déambulent sur scène et offrent au public du Montreux Jazz une démonstration, sous l’égide d’un son latino, de leur débit mécanique : on frôle les dix-mille syllabes à la minute.
La naissance de cette collaboration live débute, comme nous l’explique Youssoupha entre deux titres, au hasard d’un concert donné par la formation colombienne en France. Le français sympathise avec les gars de Medellín et se rend en Colombie, où il est reçu par le groupe dans leur ville natale. En live, il n’est pas question de se contenter de reprendre les titres de chacun. On trouve des compositions inédites, nées de cette rencontre singulière, mi-français mi-espagnol. C’est dans le cadre d’un accord présidentiel entre François Hollande et Juan Manuel Santos en 2015, visant à encourager les collaborations culturelles entre les deux pays, que le projet s’est constitué. 2017 est donc placée sous le signe de « l’Année France-Colombie » qui permet à l’héritier de Césaire et le groupe d’entamer une tournée partant de la Colombie, des concerts improvisés dans les favelas jusqu’à la scène dans la capitale Bogotá. L’échange bilatéral entame une deuxième partie on tour et décolle en Europe, pour une tournée en France dans des festivals mais également en banlieue parisienne. L’arrêt à Montreux marque la première date Suisse de cette collaboration exclusive. Le set alterne donc entre nouvelles compositions, le répertoire hispanique des Peligrosos ainsi que les gros succès de Youssoupha.
Par moment, les Colombiens s’effacent, le temps d’un titre – le fameux Dreamin’ – pour laisser le français avec son public. Inversement, ce dernier s’éclipse et laisse le public découvrir et partager quelques pistes des latinos. Au détour de quelques phrases prononcées dans le public, on sent d’ailleurs une pointe de déception à voir disparaître, par moments, la tête d’affiche de la soirée.
Hip-hop Sin Visa
En commun, les deux univers hip-hop ont leur succès et leurs textes engagés. Le dernier album en date de Youssoupha, NGRTD acronyme pour négritude, est d’une actualité brulante. L’occasion pour lui d’évoquer des thèmes qui lui collent à la chaire comme l’identité noire mais aussi la culture africaine. Les plus réactionnaires y perçoivent un repli communautaire et une provocation. On peut se réjouir de ses réactions qui prouvent que Youssoupha touche des sujets sensibles et même tabous dans la société française. Le rappeur au cheveu sur la langue revendique et promeut l’histoire de son pays d’origine marqué au fer par le colonialisme et en revendique une fierté assumée, dans la même veine que Casey. Dans ses tracks, on retrouve des sonorités qui font évidemment échos à sa terre d’origine mais c’est dans ses textes que l’on ressent le mieux le passé historique de l’Afrique, que les manuels scolaires ont tendance à passé sous silence.
vec Blackout, l’un des titres les plus populaires de ce dernier album, Youssoupha se meut en étendard de la négritude et la revendique haut et fort. Bénéficiant d’ailleurs d’une mise en scène très prononcée, le morceau est repris par le public : « On m’a dit, La France tu l’aimes ou tu la quitte / J’répondrai à cette offense quand vous nous rendrez l’Afrique ». Le titre est aussi truffé de références à des conflits comme la guerre civile en Côte d’Ivoire ou la guerre communautaire en Centrafrique, tout en évoquant des grandes figures de l’indépendance noire, comme Kwame Nkrumah ou Patrice Lumumba. Le concert se termine sur un hommage à Prodiggy, moitié du duo d’anthologie Mopp Depp, décédé le mois dernier. Prestation engagée et engageante, la fusion congolaise-colombienne délivre un moment de folie au Lab, sans éluder une critique exacerbée de la société.