La formation italienne Bomba Titinka s’est produite sur la scène du “Music in the Park” vendredi soir au Parc de Vernex à l’occasion de la 51e édition du Montreux Jazz Festival. Cinq garçons et une fille dans le vent qui ont rapproché, une heure durant, les deux genres parallèles du swing et de l’électro. De plus, le groupe, initialement composé de cinq membres, a invité spécialement pour l’occasion Gianmaria Ito Dazzi au saxophone ténor et soprano incurvé, dans l’entreprise de perfection d’une identité si personnelle. Rencontre avec le groupe quelques heures avant leur concert à Montreux.
À Montreux, le vintage n’est plus vraiment vintage. Le rock’n’roll et le rockabilly – à présupposer que les genres appartiennent exclusivement à ces vieilles traditions des années 1960 – se voient joyeusement réhabilitées par nombre de collectifs inspirés par les patriarches du style. En Italie, la mouvance fait parfois le titre d’une exception quelque peu originale. Non pas que les légendaires titres portés par les voix de Domenico Modugno, Renato Carosone ou autres Fred Buscaglione soient sporadiquement démodés. En réalité, ils sont, plus profondément ancrés dans une histoire nationale renouvelée, remémorée, réinventée au printemps du tournant électronique des années 1990. Bomba Titinka fait partie des cette jeunesse sensible aux créations passées, aux originales acoustiques de Tu vuò fà l’Americano, O Sarracino, et autres Volare, de son nom originel Nel blu dipinto di blu. Pourtant en activité depuis 2014 (seulement), le groupe apparaît rôdé dans un exercice loin d’être à la portée du premier bizut. D’un tempérament débonnaire à l’esthétique étudiée, les cinq membres de la bande cultivent le secret – de polichinelle sans doute – d’une recette musicale déjà entendue mais sans cesse réinventée. Et quand tout part d’un mashup – entre le traditionnellement swing et le très fantaisiste électro –, faut-il savoir naviguer sur des eaux tempétueuses; loin de surfer sur des vagues déjà explorées, le groupe italien part à la découverte d’une formule nouvelle et originale. Ce qu’il faut pour se distinguer internationalement. Et sans doute, l’apparition au Montreux Jazz Festival – en clôture de la coquette et reconnue scène du “Music in the Park” – vendredi soir 7 juin, dès 23h30, traduit le succès d’une expérience désormais entamée depuis trois ans: « Il y a beaucoup d’émotion au regard de l’histoire et de la renommée du festival. Il fait peur mais il attire énormément. C’est notre unique date ici en Suisse et c’est un très bel accomplissement pour notre jeune groupe. Notre participation à Montreux sera un souvenir que l’on accrochera sur le mur », débute Dario Mattoni, chanteur et guitariste du groupe, quelques heures avant de monter en scène au Parc de Vernex à Montreux.
« Nous avons lancé une opération de crowdfunding et elle a eu du succès »
Wanda Lazzarovic, chanteuse, contrebassiste et saxophoniste
Ainsi, tout part de 2014 et d’un EP de présentation, un fameux “Bicycle”, titre également de leur premier album sorti en 2015, où tout explose: les tendances swing d’un ancien temps revisitées à l’énergie débordante d’un DJ, où l’on cite notamment le remix de Nellski sur la piste “Grammofono”. Trois morceaux originaux, personnels auxquels s’ajoute une cover du reconnu “Mambo Italiano” de Dean Martin, le plus italien des jazzmen américain. Un exemple de ce dont sont véritablement adeptes ces jeunes gens plein d’entrain. Une panacée à la musique sauvage incolore, impersonnelle et sans saveur. Chez Bomba Titinka, l’on retrouve la saveur d’une musique enjouée, volontaire et significative dans le baromètre évolutif de la discipline. Un très bon moment à vivre, et en direct, c’est encore mieux. « En 2014, nous étions dans une formation différente. Nous avions fait un EP de présentation où l’on a proposé les premières idées que nous avions eues au moment de créer un groupe électro-swing. Le disque en soi contenait trois morceaux originaux et deux remix. Et peu après, nous avons publié un album majeur de dix pistes, une véritable première création », raconte le chanteur Dario. Et dès lors, la bande n’est pas restée muette, aussi grâce à des collaborations majeures, à l’instar de l’auteur-compositeur-interprète et rappeur surtout, Caparezza, reconnu dans la botte: « Notre collaboration avec Caparezza est aussi mérite de notre chanteur qui a été en contact avec lui, grâce aussi à ses origines barésiennes. Nos musiques se sont rencontrées et nous avons gardé contact avec lui », lâche Wanda Lazzarovic, chanteuse, contrebassiste et saxophoniste du groupe. « Nous avons également collaboré avec d’autres musiciens qui ont prêté leur voix et leur talent dans notre premier album », poursuit Dario. Une manière de remercier un passé (non révolu pour autant) riche et porteur depuis les débuts: « Nous avions fait un crowdfunding pour élever des fonds pour notre projet et beaucoup, surtout des Italiens, ont projeté un quelconque soutien à notre projet », reprend Wanda. De quoi prouver la popularité croissante de Bomba Titinka en Italie, et ailleurs.

La chance de s’être rencontrés dans un émoi commun
Passion y a. Indéniablement. Créativité également. Il n’y a qu’à voir l’esprit et l’ébaudissement commun projeté sans crainte ni réserve aucune sur les planches du “Music in the Park” vendredi soir. Y détonne particulièrement la connivence sonore entre deux univers parallèles, le swing et l’électro, qui alloue au groupe une entente musicale inédite et incontestablement dansante. En témoigne le DJ du groupe, Gianluca Bissoli (ou DJ Bisso) au micro de leMultimedia.info: « La chance de ce groupe est avant tout de s’être rencontrés et d’unir la partie électronique (sur laquelle je travaille davantage puisque je suis DJ) à un penchant plus swing qui était évidemment déjà avivé avant que je ne rejoigne la bande. Et c’est cette union qui a permis l’émergence de notre projet actuel et qui nous porte aujourd’hui jusque sur les routes de Montreux. C’est une expérience que l’on vit grâce aux musiciens comme Dario, qui ont cru en notre potentiel dès le début, aussi la collaboration avec un DJ qui d’accoutumée voit rarement le jour. Nous sommes orgueilleux de ce que nous produisons ensemble. » Une réalité pas si récente qu’elle n’y paraît, dans une configuration sensiblement sensationnelle: « Ce sont deux genres qui sont restés parallèles jusqu’à il y a peu, avant que n’apparaisse ce mélange, ce mashup, en France, en Allemagne », continue Dario Mattoni.
« Nous avons pris la voie qui s’ouvrait à nous, tout en essayant bien sûr de n’imiter quiconque de connu »
Dario Mattoni, chanteur et guitariste
Des influences nombreuses et des idoles pharamineuses entrent dans les oreillettes de ces cinq hurluberlus au talent inestimable mais jamais n’ont-il cherché à en copier une ligne, l’originalité primant sur le reste: « Nous avons pris la voie qui s’ouvrait à nous, tout en essayant bien sûr de n’imiter quiconque de connu, à l’image de Caravan Palace. Nous avons d’énormes influences actuelles mais nous cherchons de produire du contenu original », confie le chanteur Dario. Une posture particulière notamment rendue grâce aux précoces relations tissées avec nombre de musiciens aux tendances électro-swing, à l’image de l’Autrichien Parov Stelar: « Nous avons eu la chance de nous faire connaître, notamment grâce à une première partie de Parov Stelar au Gran Teatro Geox de Padoue. C’est immanquablement une opportunité qui nous a marqués. Et il faut dire que chacun d’entre nous a un passé personnel dans la musique qui est différent et nous cherchons sans arrêt de les faire émerger dans notre groupe. Nous n’étouffons aucune tendance qui puisse émerger de notre rassemblement », se réjouit Dario avant d’expliquer, transi, ses relations fraternelles (et celles de Wanda Lazzarovic) avec le monde du rockabilly, marque imprégnée dans la musique du collectif vénète: « Cela fait du bien que cela ressorte. Sans doute, cela nous distingue du parfum plus moderne des autres groupes. Ceci même en plus de nos penchants traditionnels funk, jazz, issu même de l’école tzigane pour le trompettiste Marco [Indino]. Toutes ces personnalités ressortent dans notre musique et c’est tant mieux. »
Une musique internationale plus que purement italienne
Dario Mattoni – Mr. Bricks, de nom de scène – qui se réclame aussi du synthesizer, au-delà du chant et de ses talents de guitariste, a les idées claires et des ambitions bien tranchées. Aussi, le mélange du swing et de l’électro, inspiré par nombre d’artistes traditionalistes italiens des années passées tels que Fred Buscaglione et Renato Carosone, mais aussi par d’autres noms légendaires du jazz américain, à l’image de Duke Ellington et Cab Calloway, penche immanquablement vers une projet musical tourné au plus large des confins de la botte italienne. Bien plus que de purs hits d’été italiens – loin de la trépignante épreuve de Sanremo – la musique de Bomba Titinka se donne immédiatement une impulsion remarquée et remarquable hors du cadre de confort transalpin, comme l’affirme Dario: « Ce sont des opportunités avec cette identité, de tenter plus que la simple mise en scène nationale et interne en Italie. Nous avons la chance sans doute de pouvoir internationaliser notre esprit et notre musique. De ce fait, notre groupe a très tôt foulé les planches internationales. En réalité, il faut dire que nous nous produisons plus à l’étranger qu’en Italie. Ceci grâce à notre label que nous avons très rapidement croisé – depuis que nous nous sommes réunis pratiquement en groupe – et par lequel nous avons la chance de voyager et produire nos disques. Un vrai partenariat. »
« Les Bomba Titinka sont mes pampres depuis 2014 et ensemble, nous parvenons à nous offrir ces très belles expériences »
Carmela Senfett, gérante du label Ludwig Sound
Ludwig Sound, label jeune également – allemand par ailleurs – depuis 2013, forme incontestablement le socle solide de la réputation du groupe, aussi car il est géré par une femme typiquement italienne, par sa prestance et sa bonne humeur. Carmela Senfett, toscane d’origine et vivant en Allemagne, s’occupe, dans les faits, d’électro-swing, prêtant de plus, majeure satisfaction au groupe de s’exprimer en terrain connu: « Les Bomba Titinka sont mes pampres depuis 2014. Je les ai pris et ensemble, nous parvenons à nous offrir ces très belles expériences », lâche-t-elle, rejoignant les siens en backstage quelques heures avant de monter sur les planches au Parc de Vernex.
Un dix-pistes Hot Air Balloon de maturité
Il est, en réalité, tout frais. Sorti le 19 mai dernier, le nouvel opus de Bomba Titinka, “Hot Air Balloon”, phrase déjà le style de la bande. Tout y est déjà, le ballon gonflable matérialisant une maturité désormais atteinte et assumée sur les planches du Montreux Jazz Festival. Un véritable dix-pistes sur lequel l’on retrouve un autre cover du titre du bluesman américain Willie Cobbs de 1960, “You Don’t Love Me”, lui-même réadapté et popularisé dans sa version reggae en 1994 par Dawn Penn. De quoi alimenter l’histoire d’une musique si riche et si émotionnelle. « Cet album que nous avons enregistré au [fameux] Studio 2 de Padoue grâce à notre ingénieur du son Christopher Bacco, met un point d’encre sur tout ce que nous avons réalisé jusqu’ici. Ce fut une expérience fantastique, témoin de notre réussite commune. Donc indubitablement il témoigne d’une certaine maturité que nous avons cueillie jusqu’à ce jour. Mais nous souhaitons encore aller plus loin », confie Dario Mattoni, au moment de cueillir, déjà, l’énergie de la scène avant de la fouler impétueusement. Et nul doute que l’expérience du groupe fut démonstrative de leur appétit fureteur dans les archives musicales du vieux swing, le reproposant innové et teinté d’une originalité renversante.
Quand Bomba Titinka s’inspire de Domenico Modugno pour “Volare”
Domenico Modugno, une des très nombreuses influences de la bande italienne ? « Domenico Modugno venait d’un village pas très éloigné du mien, de Polignano a Mare dans les Pouilles. Il y a d’autres groupes qui s’en témoignent en Italie dont nous, qui nous pensons issus et inspirés par Modugno mais nous nous sommes inspirés de pleins d’autres artistes de la variété italienne également qui nous ont toujours plu », confie le chanteur Dario Mattoni. Un témoignage d’autant plus intéressant que Domenico Modugno est l’un des chanteurs italiens dont la musique s’est voulue particulièrement internationale et reconnue dans le monde entier: « J’ai en tête l’anecdote d’Elvis Presley qui s’inclina face à Modugno. “Volare” est une chanson qui a été chantée partout dans le monde. Donc prendre en prêt la personnalité et la figure de Domenico Modugno afin d’en, quelque sorte, faire sentir notre empreinte typiquement italienne dans le style de l’électro-swing, est un honneur », conclut-il, souriant et satisfait.
Line-Up | Bomba Titinka (Italie)
Wanda Lazzarovic (contrebasse, chœur et saxophone)
Dario Mattoni, Mr. Bricks (chant et guitare et synthé)
Gianluca Bissoli (DJ Bisso)
Elia Sommacal (batterie et danseur)
Marco Indino (trompette)
Guest:
Gianmaria (Ito) Dazzi (saxophone ténor et saxophone soprano incurvé)