Imelda Gabs et Lianne La Havas musent tout leur soul au Stravinski

Lianne La Havas sur la scène de l'Auditorium Stravinski. © 2017 FFJM - Lionel Flusin

Le début de soirée à l’Auditorium Stravinski, en partie inspiré par l’annulation de la tournée européenne d’Emeli Sandé, a vu se produire deux artistes à la soul légère et sentimentale, triturée dans des directions aussi inédites qu’insolites. La jeune Lausannoise de 19 ans, Imelda Gabs, trouvait – en l’absence malheureuse de la chanteuse britannique – sa première occasion de se produire sur la scène première du Montreux Jazz Festival, en première partie de Lianne La Havas. Une surprise qui a d’autant plus conquis le public au style arraché d’une soul gracieuse et élégante interprétée, chacune à sa manière, dans des dispositions diverses mais toutes deux sous le modèle de l’acoustique.

Dose de surprises il y a eu à la suite du renoncement de la tournée européenne d’Emeli Sandé. D’abord parce que le festival perdait là l’une de ses plus brillantes têtes d’affiche, unique et fédératrice. Puis parce que ce dernier est parvenu à rendre ce désistement plus détonnant encore, donnant en première partie de soirée la chance à une découverte issue des rangs de la fondation du Montreux Jazz, de tester ses propres créations, ses propres compositions à un public sérieux, connaisseur et sévère d’attentes. L’épreuve est troublante mais si affriolante que c’est avec une forte et une certaine émotion et que Mathieu Jaton annonce sur la scène du Stravinski Imelda Gabs (Imelda Monga de son vrai nom, fille du renommé Docteur Gabs), 19 ans. Une fille – une jeune artiste – menue, d’apparence fragile mais sûre de son talent et confiante de l’opportunité offerte. Virtuose, passée par la Montreux Jazz Academy l’année dernière, et produite jusqu’ici au Palace Le Fairmont dans le cadre du festival, Imelda vécut ce mardi soir une expérience nouvelle, une étape supérieure de sa carrière d’auteur-compositeur et interprète. Et Montreux le lui a bien rendu, réceptif à cette voix suave, à ce zèle séraphique et à ce piano si légèrement chanté d’accords plus harmonieux et mélodieux les uns que les autres. Oui, c’était le moment de risquer la gracile Imelda dans la cour des grands et des plus reconnus; bien en a pris aux programmateurs voyant là leur intrépidité récompensée par l’accueil porté au nouveau phénomène national de la soul à la fois si british et si local en même temps. Cette Lausannoise (belge et congolaise d’origine) compose tous ses morceaux toute seule, et ce depuis l’âge de trois ans. Depuis, par la voie du conservatoire, elle a acquis une étoffe musicale déjà si fortement assumée que sa personnalité sur scène s’y est déjà si facilement dessinée. C’est bien ce qui lui a permis, en deux jours – et un désistement de dernière minute –, d’opérer à sa première grande apparition sur une scène de haut standing, que représente l’Auditorium Stravinski.

Imelda Gabs sur la scène de l’Auditorium Stravinski, au Montreux Jazz Festival. © 2017 FFJM – Lionel Flusin

Revenir aux “origines”, du jazz surtout

Origins, le premier titre que la chanteuse entonne à son arrivée sur la scène cardinale du Montreux Jazz Festival, assise face à son piano, sentencieux et transcendant par ses notes profondes, auquel se prête une voix aussi charmante que troublante par perçante teneur. Un anglais flambé qui suscite l’admiration pour une jeune fille dont le cadeau d’une vie lui a été offert sur la scène du Stravinski un mardi soir de juillet. Habillée par sa grâce et son imposant charisme, Imelda est rejointe, dès sa troisième chanson par son complément à la percussion, Clyde Philip-s, faisant intervenir dans les moments d’une grande solennité, un djembé témoignant d’une musique jointe à des sonorités aussi diverses qu’inédites. Par delà un souffle tangiblement oriental, c’est avant tout une musique émotionnelle et si personnelle qu’Imelda Gabs a proposée une demi-heure durant, au point nodal d’une soirée qui allait voir se mélanger des styles aussi différents qu’irréconciliables entre Lianne La Havas et The Roots. Une combinaison piano, djembé soul enchaînée par une tirade sensiblement plus jazz et imprégnée d’une vogue Rythm & Blues si subtil qu’il y apparaît si naturel dans le caractère de la jeune artiste de première partie. Et plus dérisoire, c’est par ses diverses voies d’exploration qu’Imelda raconte, par les tréfonds de ses créations, ses origines congolaises qu’elle mixe avec volupté dans ses compositions qui se veulent aussi cosmopolites que libérées. Un mélange de sonorités si détonant que l’on est forcés de se laisser submerger par le phénomène musical si majestueusement présenté. Un parterre définitivement emporté et subjugué par le rythme engagé du titre Stranger. Un morceau complétant l’harmonie des genres entre jazz, soul et y intégrant même une pointe de classique. Fastueux répertoire, à 19 ans.

Naturellement, Lianne

En 2013 déjà, la Londonienne, concertiste au même titre que sa prédecesseure du soir au Stravinski, avait fini par envoûter de sa voix lascive la salle du Montreux Jazz Club. Et elle remit cela ce mardi soir pour la 51e du Montreux Jazz Festival. Seule en scène, l’arrivée de Lianne La Havas s’annonçait profonde, et cela fut le cas. Habitée de ses jeux de lumière, l’artiste n’a pas prétendu avoir une instrumentation lourde pour transmettre les émotions qu’elle souhaitait confier à son large public du soir. Ce fut magistral. Et pourtant, la guitare électrique, seule, éclusait déjà, dès les premiers morceaux, la suffisance musicale que l’on espérait de l’artiste britannique. Lianne, naturellement, s’y inscrit dans une veine musicale particulière, par l’acoustique pure et d’une nitescence certaine, qui surprend davantage encore par une technique vocale des plus maîtrisées. Il n’était pas besoin d’une salle comble pour verser la qualité des paroles et de leur harmonie produites par l’artiste dans l’extraordinaire, ses plus fidèles admirateurs, parmi lesquels les curieux d’un genre d’une préciosité attendue, suffisant à faire de la performance une fortune si particulière. Plusieurs des titres, provenant notamment du dernier album “Blood” sorti en septembre 2015 – parmi lesquels Green & Gold – laissèrent l’apparence d’une sincérité véritable, sans superficialité, omettant parfois même de plonger sa voix dans le pizzicato de ses cordes de guitare, et étendant encore plus la joliesse de l’a cappella. Un inédit sans basse et sans retenue qu’a livré l’artiste une heure et quart durant. Du lyrisme soul appréciable et porteur de détente parmi les auditeurs du Stravinski, lui partageant même, dans une humeur attendrie, ses anecdotes de scène.

Lianne La Havas a joué de l’harmonie qui la liait mardi 4 juillet à Imelda Gabs à l’Auditorium Stravinski, lors du 51e Montreux Jazz Festival. © 2017 FFJM – Lionel Flusin

Puis, en trois note jouées, senties, délicatement rendues à son assistance, Lianne a interprété le titre le plus porteur de sa soirée, sans doute l’une des seules occasions pour redécouvrir Unstoppable, titre, celui-ci aussi, de son dernier opus (2015). Du raffiné, rien de plus. Une élégance enchérie, en milieu de concert, par la reprise en “cover” d’I Say A Little Prayer d’Aretha Franklin; une musique incontournable que l’artiste remémore à l’aune d’une histoire riche que l’Américaine partageait avec le Montreux Jazz Festival, dont elle était adepte à ses plus grandes heures de carrière. « A very popular song. A very precious song », lâche-t-elle également sur scène. Une performance globale, composite – entre les meilleurs titres de son répertoire, à l’image d’Elusive, directement suivi de Age, tous deux sortis en 2012, au sein de son premier album « Is Your Love Big Enough ? » – qui a forcé l’inspiration d’une musique appartenant (et destinée) à tous les âges. Au final, le dénouement du concert prit une tournure davantage émotionnelle, Lianne La Havas y dévoilant deux titres connus et chers à sa propre existence. Forget (2012), titre phare de son premier album, y est interprété – en référence à son ancien compagnon – suivi, au terme de la prestation, par Midnight (2015) en hommage également aux terres mères jamaïcaines, qu’elle laisse derrière elle, sous la nappe sentimentale de sa célébrité. Une mélancolie que l’artiste suggère de partager musicalement et tendrement avec son public, comme elle n’a jamais cessé de le faire pour sa première en tête d’affiche du Stravinski.