Mathieu Monnier: « Nous sommes principalement alimentés par internet et les trouvailles que l’on y trouve »

Mathieu Monnier à l'interview avec leMultimedia.info. © Oreste Di Cristino / leMultimedia.info

Fils aîné de Jacques Monnier, programmateur sensiblement reconnu du Paléo Festival, Mathieu est entré à faire part du comité de programmation du Montreux Jazz Festival il y a cinq ans maintenant. Il nous raconte la programmation du Lab et – surtout – de la nouvelle salle gratuite, “Lisztomania” qu’il a daigné composer avec David Torreblanca. Interview.

Le “Lisztomania” remplace la Rock Cave cette année avec une programmation plus éclectique et sensiblement moins de rock que lors de l’année jubilaire. Il fallait changer ?

Je ne dirais pas que le “Lisztomania” remplace la Rock Cave. S’annonçait simplement la volonté de programmer un nouveau lieu qui puisse s’adresser à des publics très différents, quoique plutôt jeune dans l’ensemble par le biais d’une programmation plus variée et très vaste. Mais il fallait que cette nouvelle scène soit branchée par la rencontre de groupes qui bâtissent leur réussite grâce à leur réseau, des collectifs qui créent le buzz, chacun dans leur genre et dans leur sous-genre. Ce fut néanmoins intéressant d’avoir un club de rock, cependant l’on trouvait dommage de se priver de toute une série d’artistes que l’on ne pouvait pas représenter, soit au Lab de par leur faible renommée – insuffisante pour compéter les 2’000 places disponibles –, soit dans une scène gratuite qui leur siée parfaitement, ceci par manque d’espace. Et l’on en était quelque peu frustrés avec mon collègue David [Torreblanca] qui m’accompagne dans la programmation du Lab et du “Lisztomania”. Car il ne faut pas se le cacher, l’on ne peut pas se permettre non plus de faire trop de programmer trop de découvertes dans une salle payante, puisqu’il faut aussi vendre des billets.

La Rock Cave avait alors une programmation trop restreinte en ce sens-ci ?

Comme son nom l’indique, ce fut un pur et véritable club de rock. Du rock que l’on continue toujours à programmer, en passant, même au Lisztomania comme en témoigne la venue, entre autres, d’Ulrika Spacek [ndlr, dimanche 2 juillet 2017, 22h15]. Mais l’on ne pouvait plus se contenter d’un seul style de musique, même si dans le rock et pour tous les autres genres, il existe des sous-branches différentes.

Le “Lisztomania” est une scène voulue très intimiste avec relativement peu de lumières sur scène. C’est le style recherché plus précisément pour cette nouvelle salle ?

On en a vraiment fait un club [ndlr, qui ouvre à 21h et ferme aux alentours des 5h du matin] de 500 places comme on peut en trouver beaucoup dans la région autour de nous. La volonté était d’aménager un endroit pas trop grand pour qu’il convienne au type d’artistes que l’on invite, même si parfois – notamment ce week-end lors des Aftershows –, il s’avère qu’il soit trop petit et plein dès minuit, le vendredi et le samedi soirs étant logiquement plus prisés par les jeunes. La production, entendons la qualité du son, travaille avec un tout nouveau système son qui se révèle pas mal du tout et nous avons cherché à isoler le mieux possible ce lieu qui n’est, en temps courant, qu’un immense hangar dans les sous-sol du 2M2C. C’est donc également un énorme défi de créer de pied en cap une salle de concert dans un lieu qui n’est d’origine pas du tout conçu pour les spectacles et les concerts.

L’on y retrouve néanmoins un programme plus apaisé, plus raffiné en début de soirées, à l’exemple de Magic & Naked [Lire le profil du groupe] ou encore de Cigarettes After Sex [Lire la revue de concert au Lisztomania], qui présentent une musique davantage attendrissante plutôt qu’effrénée à souhait…

C’est juste et c’est aussi pour cela que nous avons voulu nous battre pour abattre les cloisons de l’ancienne Rock Cave. Le “Lisztomania” est un vrai bon outil pour justement mettre en avant des groupes coup de cœur, que l’on aime personnellement et qui attendent un public. C’est donc une plateforme supplémentaire du festival pour présenter les nouveautés qui nous intéressent.

Une manière aussi de laisser davantage de place au hip-hop, tant au Lab avec Youssoupha, Kery James et Casey, le 9 juillet qu’au “Lisztomania” avec Danitsa, le 7 juillet par exemple ?

Le hip-hop au Montreux Jazz festival a toujours eu de son écho et ce, depuis très longtemps. Je pense que le festival a été l’un des premiers à avoir programmé du rap et du hip-hop dans ses salles. C’est mon cinquième festival en tant que membre de l’équipe programmatrice et j’ai toujours eu le souvenir de la présence de soirées rap, qu’il soit français ou américain, à Montreux. Nous suivons constamment l’actualité du genre et l’on prend ce qui nous plait et ce que l’on imagine populaire auprès du public. J’écoute personnellement beaucoup de rap donc il n’y a aucune raison pour que le style ne soit pas représenté dans les différents lieux du festival. Cette année, nous aurons deux soirées au Lab, il nous arrive d’en avoir trois, mais cela dépend aussi des opportunités que l’on va avoir. Et au “Lisztomania”, il s’avère que pour la 51e édition, nous avons pu avoir une soirée complètement rap avec notamment Roméo Elvis qui est une grande sensation de la musique belge et qui se veut être le chef de file de cette nouvelle génération qui est en train de briller au-delà même de leurs frontières nationales, principalement dans la Francophonie. Ce sont des artistes qui apportent beaucoup de vent frais dans un genre qui parfois stagne un peu et c’est le rôle du festival de Montreux de soutenir et représenter ces artistes.

Vous souhaitez tout autant faire le virage de la musique indépendante, notamment avec James Darle qui s’est produit sur scène lundi soir [Lire la rencontre]. S’agit-il là d’une nouveauté ?

Pas vraiment car James Darle est l’un des quatre membres de “Salut C’est Cool” que nous avions accueilli au Lab du temps où nous organisions des Aftershows gratuits à la fin des concerts payants. Donc, nous l’avions déjà fait. James Darle est un délire auquel on adhère, ou pas. Personnellement, cela me fait beaucoup rire parce que ce sont des musiciens complètement perchés et qu’il convient de prendre au troisième ou au quatrième degré. Cela nous change un peu de tout le sérieux que l’on pourrait avoir l’habitude de voir dans ce milieu de la musique. C’est une liberté assumée, dans un délire total, dans leurs clips et leurs compositions, qui fait rire et qui divertit. Et cela nous a fait plaisir de l’inviter.

Mathieu Jaton disait en conférence de presse qu’il était important de donner de la place à l’indé. Pourquoi ? N’y en avait-il pas avant ?

Ce n’est pas vrai, aussi car aujourd’hui, ce que l’on nomme être la musique indépendante est sujet à de grands débats. Qu’est-ce que de la musique indépendante ? de la musique alternative ? seulement de la musique alternative ? Cela n’a pas beaucoup de sens à mes yeux. Au Lab, si l’on entend programmer de la musique indépendante, pensée par la production de petits labels indépendants, il est clair que nous en avons beaucoup. Beaucoup d’artistes invités cette années sont issus (et encore produits) de petits labels. À l’époque, l’appartenance à un label représentait un accomplissement pour les artistes car c’était grâce à lui que l’on pouvait tout faire. De nos jours, nous savons très bien que nombres d’artistes sont aujourd’hui produits par de petits labels qu’ils ont eux-même parfois montés. Et la grande impulsion moderne de nos jours, c’est internet. Et pour nous, internet représente notre outil principal de travail, nettement plus prisé que l’étude minutieuse de la vente de disques ou les airplay en radio car la jauge de base a changé. Nous sommes principalement alimentés par internet – en comparaison aux médias traditionnels – et les trouvailles que l’on y trouve. À l’exemple de Roméo Elvis, qui devrait remplir le “Lisztomania” [ndlr, mardi 4 juillet] avec 500 personnes en furie, est un artiste que l’on entend très peu en radio grand public et encore moins dans les supermarchés ou dans les stations essence. Nous le lisons très peu dans les quotidiens ou les hebdomadaires mais il a une force: une fanbase qui s’est créée sur internet et qui le suit, l’écoute et va le voir en concert. Et nous sommes très attentifs, en tant que programmateurs, à ce genre de phénomènes-ci. Cela est devenu une méthode de travail en soi; par l’utilisation d’internet et ses canaux principaux que sont les réseaux sociaux.

Autre affaire du Lisztomania: la présence en nombre des groupes suisses tels que le Roi Angus, Vouipe, Pandour, Egopusher, Sombre Sabre, Melissa Kassab, Nicola Noir ou encore Muthoni Drummer Queen, entre plein d’autres. La touche nationale était importante au “Lisztomania” ?

C’est un discours récurrent, qui revient souvent dans les commentaires que nous recevons au dévoilement de la programmation des salles payantes: le manque de suffisamment de représentants de la Suisse. Il s’agit là d’une réalité qui nous frustrait également beaucoup, concernant la scène du Lab où, comme précédemment évoqué, les principes de notoriété des artistes se doit d’être respecté. Depuis des années, nous suivons la scène suisse. L’on voit beaucoup de groupes tout au long de l’année qui sont de chez nous, du côté romand ou alémanique. Et ne pas pouvoir les inviter serait autant d’occasions manquées pour le festival. Cette année, nous avons misé sur nombre d’artistes du pays qui se produiront dans le nouveau lieu du “Lisztomania”. Nous avons appelé plus ou moins tous les groupes que nous aurions bien voulu inviter depuis plusieurs années et dont nous nous réservions le talent par manque de place. Et il faut dire que, dès lors, le Montreux Jazz Festival est le festival qui programme le plus d’artistes suisses que n’importe quel autre dans le pays avec, quelque 150 représentants présents répartis entre le “Music in the Park”, le “Strobe Klub”, où est présente une riche scène suisse de musique électronique et le “Lisztomania”, où l’offre est la plus dense. Nous sommes à Montreux, les dignes représentants de ce qu’il se fait de mieux en Suisse et dans tous les genres développés, de la salsa au parc de Vernex à la techno dure au “Strobe Klub”, passant par la folk, le rap, l’ethno, le R’n’B ou encore le rock tout le long du quai.