Absurde, surréalisme, délire ou simplement folie créatrice, James Darle, membre indéfectible du collectif “Salut C’est Cool” perd ses repères loin de ses amis. Et pourtant, tout est fait pour que sa première tournée solo – disposée de son album, “La Vida Es Una Paella” fraîchement sorti en 2017 – s’annonce une franche réussite. Passage programmé en gratuit au Montreux Jazz Festival, James Darle a connu l’ambiance intimiste de la “Lisztomania”. Retour sur le phénomène du moment.
Il n’est pas question d’absurde, de surréalisme, de banale sortie de piste. Rien de tout cela. Sans doute que, livré à lui-même, loin de ses amis, l’heure de la tournée pèse mais se dépeint de riches apprentissages. Pour James Darle, sorti en solitaire du bercail de “Salut C’est Cool”, les voyages manquent de repère mais le rendent chaque jour plus aventurier d’un univers déjà si atypique. Une révélation personnelle ? Que nenni, le seul besoin de se retrouver seul en vadrouille suffit à satisfaire sa curiosité, un bol d’air géant pour un musicien branché: « C’est uniquement le besoin de faire une sorte de balade. Quand on passe de longs et bons moments avec de amis, à un moment, il nous arrive de vouloir questionner ce que l’on veut exactement individuellement. Une envie de grandir personnellement. Donc c’est une petite sortie pour prendre un peu l’air, réfléchir et méditer; une remise en question de ma personnalité. On a souvent tendance à penser en tant que groupe et j’ai ressenti l’intérêt de tester mon ressenti à un niveau plus reclus et plus personnel. » Sans doute une expérience supplémentaire, lui qui, depuis 2010 a sans cesse partagé les joies de collaborations plus déjantées que jamais, tant au sein du collectif “10 minutes à perdre”, arrêté le 30 juin 2013, qu’avec ses trois autre acolytes de “Salut C’est Cool”, dont l’obsession ne se retient qu’aux touches assurées de la dérision.
« Mes amis me manquent de ouf ! »
Dans le labyrinthe des backstages du 2M2C, sans plus aucune batterie sur son téléphone, James Darle vit néanmoins sa venue à Montreux avec beaucoup de philosophie mais aussi beaucoup de mélancolie. « Mes amis me manquent de ouf ! », rappelle-t-il en interview en loge quelques heures avant de se produire sur la scène de la “Lisztomania” samedi soir. Une solitude qui marque une détresse relative dans le personnage habitué d’un entourage animé: « Je ne comprend même pas le concept de venir ici [ndlr, à Montreux, dans le cadre de sa tournée], de manger tout seul, d’aller au bar seul. L’on a envie de rencontrer du monde, de partager. Et prendre le train seul, c’est ennuyeux [rires]. Après, je sais que je suis dans un endroit où je vais pouvoir faire de la musique, et où je pourrai danser avec le public et c’est le versant heureux de ma venue solitaire. Mais les entre-deux, les couloirs [ndlr, des backstages], le labyrinthe [ndlr, du 2M2C] sont autant d’endroits où l’on ressent particulièrement la solitude. Mais je ne vais pas faire pleurer, ce n’est pas le but », plaisante-t-il. L’épreuve semble compliquée, isolé d’une compagnie habituelle par laquelle il assouvit ses volontés créatrices, assume son extravagance, sculpte son originalité partagée à quatre au sein de sa famille artistique. En pleine, tournée, sa retraite du collectif remarque une mélancolie capricieuse qu’il aiguille tant bien que mal vers une nécessaire tentative de s’extirper d’un quotidien bien trop ordinaire. « Le tourneur de “Salut C’est Cool” m’avait proposé de partir en tournée. Et ce n’est pas banal. Je trouve cela intéressant, dans l’absolu, de me retrouver face à moi. Dans ces moments, où l’on vit frontalement l’expérience, il s’avère important de se faire violence et que j’arrive à sortir de ma zone de confort. Il me faut prendre le temps de m’adapter hors de mes repères », relativise James Darle.
Des pochades musicales plus personnelles
« Il y a très justement quelque chose de similaire avec ce que l’on fait au sein du groupe. Peut-être que le changement est dû à la solitude, une sorte de folie solitaire. Il y a peut-être une touche de mélancolie en plus, une volonté d’assombrir un peu le propos mais j’essaie à chaque fois de terminer avec une note positive à la fin. Quand on compose, on se retrouve un peu face à soi-même, ce qui est différent de composer avec d’autres personnes. » James Darle a beau chercher; mise à part une forme de mélancolie assumée, il ne parvient pas à extirper du marais musical techno-variété qu’il compose la différence notoire qui le démarque de “Salut C’est Cool”, ceci à défaut d’en aboucher sa créativité largement plus personnelle. « L’on se réveille le matin, avec ses propres rêves, ses propres pensées enfouies dans le subconscient, avant même de rentrer en phase avec l’ordinateur. Je travaille pas expressément avec le subconscient mais je sais qu’il est présent dans la production musicale. Comme pour tout compositeur, pour qui le profond intérieur contrôle la création », avoue-t-il. James Darle s’est en réalité adonné à la composition de retour de voyages, cherchant déjà, au travers de plusieurs esquisses l’émancipation personnelle. Ceci même avant qu’une rencontre avec Quentin Caille ne concrétise l’ensemble de ses pochades musicales, à l’heure où celui-ci ouvrait sa nouvelle entreprise de production “Johnkôôl Records”: « J’avais déjà fait mes musiques de retour de voyage et je les avais déjà fait écouter à mes compères. Aussi, avec ma bande d’amis élargie, l’on a l’habitude de se rencontrer pour faire de grandes fêtes, au sein d’une desquelles était présent Quentin. L’on a eu une conversation et l’on a décidé un peu informellement de sortir un album et de lui trouver un nom [ndlr, intitulé “La Vida Es Una Paella”, 2017]. Et je pense que si je n’avais pas eu cette conversation avec lui ce jour-ci, je n’aurais sans doute pas eu l’occasion de venir au Montreux Jazz Festival. Et c’est ça la vie aussi, des rencontres et des occasions souvent uniques », raconte James Darle.
« Le mot “absurde” est un peu galvaudé »
De tradition, au sein de SCC, James Darle ne revendique aucune forme d’absurdité dans ses productions. Sans doute, cela est très juste, lui faisant le plus souvent miroiter une musique entraînante, vivace et particulièrement dansante, empreinte de l’essence créatrice de son compositeur. « En réalité, je ne cherche pas à faire de l’absurde dans ma musique. L’album n’est pas très absurde en soi; il y a de la musique et un filet de paroles à la toute fin qui pourrait s’interpréter comme de l’absurde. Mais le mot “absurde” est un peu galvaudé. La musique est absurde en soi, abstraite par essence », explique l’artiste avant de poursuivre: « Il est vrai, néanmoins, que si je m’exprime par le biais de la photo, de la vidéo ou de l’écriture, naturellement je prends le pas de cet absurde, mais en musique seule, ce n’est pas la même chose. » Musique seule que James Darle a présentée de manière conviviale et désintéressée au Lisztomania, en seul en scène avec ses machines – des machines « “simples” de Disc Jockey » – lors d’une profonde soirée d’un samedi inaugural de la 51e édition des festivités à Montreux. Une générosité artistique, chez l’artiste, qui est embarquée naturellement dans les créations du jeune et inhabitué soliste.
Philippe Katerine, un personnel inspiré et inspirant
James Darle délire-t-il seul, comme il s’en laisse l’opportunité auprès de “Salut C’est Cool” ? Il ne le revendiquera que difficilement: « La musique est une manière de s’exprimer, pas de délirer. Si tu t’exprimes en délire, tu fais de la musique d’un certain genre qui, en soi, n’apparaîtra pas non plus comme du délire. Le délire peut être drôle mais il peut aussi être mental, interne. L’on peut délirer mais être totalement éloigné des Patrick Sébastien ou Philippe Katerine. L’on peut délirer et se rapprocher de l’Américain Green Velvet ou dans un tout autre registre, à Jean-Sébastien Bach », lâche-t-il.
« Je souhaite une musique plus mentale et non seulement visuelle »
Néanmoins, il y a du Philippe Katerine chez James Darle. Sa folie, son insouciance, sa tranquillité d’esprit: « Philippe Katerine est un artiste très personnel, ses productions étant créées dans sa chambre puis dévoilées au public. Et c’est vers cela que, finalement, ma musique veut tendre. J’ai envie que l’on voit mes nouveaux projets comme une marque de ma personnalité. “Oh ! Voilà ce bon vieux James, qu’a-t-il fait de nouveaux aujourd’hui ?”. Des productions que l’on peut juger parfois intéressantes, parfois un peu faibles mais toujours issues d’une même main, la mienne. » Nul doute, James Darle cherche immanquablement à apposer sa signature sur les productions qu’il invite à diffusion auprès d’un public, averti ou tout simplement curieux. « Ma musique se vit », explique-t-il avant de réfléchir. Réfléchir sur une tendance plus posée, moins alternative que voulue initialement. Une production élargie à ce qu’il envisageait tendre il y a peu vers un funk plus emprunt de touches de jazz: « J’ai été voir pas mal de groupes un peu jazzy, groovy, parfois même débranchés, déconnectés de l’ordinateur. Et je commence de plus en plus à y voir de l’intérêt et je souhaiterais me réinventer dans ces genres-ci, faits pour la nuit, la danse, la progression. Une musique plus mentale, et non seulement visuelle. » À défaut de se démarquer plus longuement de “Salut C’est Cool”, James Darle ne ferme pas la porte à une réinvention de son style personnel. Plus dans le rationnel et moins dans le surréalisme ? À étudier.