Claudia Regolatti Muller: « Rester dans l’optique de favoriser la fête et le divertissement »

Claudia Regolatti Muller en interview au Funky Claude's Bar. © Oreste Di Cristino / leMultimedia.info

Claudia Regolatti Muller programme depuis quelque 18 éditions désormais la traditionnelle et coquette scène du Parc de Vernex, cœur et façade innovante du Montreux Jazz Festival. En ce début de 51e édition en ville de Montreux, retour sur la programmation des scènes gratuites – ici: la « Music in the Park » – et les innovations de la première édition post-jubilatoire.

C’est la 18e année que vous programmez au Montreux Jazz Festival, sur le secteur gratuit du festival. C’est la tradition du festival de proposer un versant musical complètement libre qui se démarque des Stravinski, Club et Lab…

C’est en effet ma 18e année au Montreux Jazz Festival mais il faut dire que les groupes gratuits existent quasiment depuis le début, il y a 51 ans. Claude Nobs organisait déjà des concerts gratuits à la piscine du casino donc la tradition – d’offrir la musique à tout le monde – s’est toujours voulue respectée depuis.

Une tradition qui se veut chaque année enrichie, avec de nouvelles salles et de nouvelles figures de la musique moderne, car depuis longtemps la « Music in the Park » est partie composite de l’événement.

Absolument, chaque année, nous développons de nouvelles scènes qui impliquent différents programmateurs dans le “gratuit”. Je m’occupe personnellement de la « Music in the Park » mais il y a d’autres endroits où la musique s’invite dans les rues et les recoins de la ville de Montreux comme la « Lisztomania » [ndlr, une nouveauté cette année, en remplacement de la Rock Cave] entre autres, et les Workshops. La musique parcourt la ville, traversant de l’intérieur le 2M2C vers l’extérieur.

La nouveauté de la salle « Lisztomania » remplace la Rock Cave cette année. Vous en êtes également responsable ?

Non. Je me suis en effet occupée de la Rock Cave les années précédentes mais la « Lisztomania » offre à l’écoute d’autres styles de musique. J’aime beaucoup programmer du rock, ce qui en principe n’est pas prioritaire à la « Lisztomania ». J’ai donc laissé la place à d’autres collègues qui gèrent également la programmation du Lab [ndlr, comme Mathieu Monnier], et qui y maîtrisent parfaitement la musique indé, moderne, les nouveautés psycho. La Rock Cave était plutôt destinée à un certain public [ndlr, la présence de Glen Matlock, ancien membre des Sex Pistols, en est une parfaite illustration], tandis qu’à la « Lisztomania », les styles présents appellent à la curiosité de tout le monde comme ce fut le cas au Montreux Jazz Café à l’époque, même si la comparaison n’est pas parfaite. Cette année, l’on y fait savourer les mélomanes qui viennent découvrir de nouveaux genres mais nettement moins ciblés qu’avant.

Il y a de grands artistes qui se sont produits sur les scènes gratuites, notamment au « Music in the Park », avec la présence l’année dernière de Bastian Baker [Voir les images]. Ce n’est tout de même pas une programmation au rabais même si le but de ces scènes libres permet avant tout de faire découvrir de nouveaux talents et de nouveaux groupes.

L’année passée, à l’occasion de la 50e édition du festival, l’on a réalisé de grands projets, avec Bastian Baker mais aussi avec The Young Gods ou encore Zappa. Bastian Baker s’était, de plus, déjà produit au « Music in the Park » quelques années auparavant. Mais l’idée est vraiment de faire découvrir de nouveaux groupes et de leur donner l’opportunité, pour les peu connus, de se produire sur une grande – et belle – scène du Montreux Jazz Festival. L’on reçoit énormément de demandes [Lire en encadré] et mon travail est vraiment de lire ces centaines de mails, leur répondre, écouter leurs disques – je passe mon année à écouter de la musique – et je choisis vraiment les groupes les plus adaptés pour se produire sur cette scène. Et au Parc de Vernex, l’on ne cherche pas d’y produire des groupes déjà connus mais bien des découvertes.

Dans le mélange des styles, il faut sans doute savoir composer un programme plus éclectique que dans les salles payantes, y développer une sens plus raffiné de sélection des artistes qui se succèdent chaque soir sur les planches.

Éclectique mais aussi plus festif. L’on évite l’alternatif; ces musiques doivent être adaptées au grand public – les gens s’y arrêtent dans leur promenade au bord du lac –, aussi doivent-elles attirer les passants et les emmener dans la danse. Il y en a pour tout le monde; du rock, du jazz – notamment avec les Big Band tous les après-midi, les formations des écoles qui se produisent –, du reggae, du blues, de la pop, de l’électro-swing mais toujours dans l’optique de favoriser la fête et le divertissement.

Quelques noms des artistes qui seront présents au « Music in the Park », notamment la Guatémaltèque Gaby Moreno (vendredi, 30 juin, 21h) qui démarre la soirée au Parc de Vernex avec beaucoup d’excentricité et d’exotisme. Et beaucoup sont ceux qui y découvrent des noms familiers aussi.

Les gens qui écoutent beaucoup de musique ont sans doute un répertoire élargi qui englobe sans doute également des artistes que l’on retrouvera au « Music in the Park ». Les mélomanes connaissent beaucoup de groupes et leur culture musicale est très emplie, notamment auprès de groupes suisses qui ont très certainement éveillé quelques souvenirs dans la région ces dernières années. Gaby Moreno, notamment, est une artiste qui, dans son pays, est passablement fameuse. Aux États-Unis également, elle est assez connue. Ici, l’on espère néanmoins qu’elle y développe une notoriété majeure et l’on est très contents de l’accueillir pour la première soirée, lors de laquelle elle sera suivie par le Neuchâtelois Junior Tshaka que beaucoup connaissent déjà sans doute. L’on pourra dès lors danser sur de la musique festive dès ce vendredi soir.

La place des orchestres, nationaux et internationaux (comme la University of Texas Jazz Orchestra, la Methodist Ladies’ College Jazz Orchestra ou encore la Devon Youth Jazz Orchestra 1 et 2), chaque année ne bouge pas. Il est important de toucher également au classique ?

Alors ici aussi, c’est une tradition vieille du festival depuis ses tendres débuts. C’est, à l’origine, l’office du tourisme qui a engagé ces Big Bands, ces grandes formations de jazz des écoles américaines et nous avons continué cela en les proposant sur la scène du Parc de Vernex. Ce sont des écoles qui font leur tournée dans les gros festivals d’Europe, comme au Jazz à Vienne, au North Sea Jazz en Hollande, au Pori Jazz en Finlande, Umbria Jazz en Italie, où il y a encore une possibilité de jouer pour ces grandes formations. Ils s’arrêtent donc pour la plupart chez nous, au Parc de Vernex, au cœur du Montreux Jazz Festival. C’est une tradition que l’on souhaite maintenir car peu sont les festivals qui réservent des scènes à leur égard, aussi car la plupart de ces groupes sont composés de 20 à 30 musiciens et s’en tiennent à des standards de jazz. Cette année, certains visitent également la funk et autres styles. Et l’on étend la couverture des invitations, des groupes américains auxquels s’ajoutent également maintenant les formations britanniques, mais aussi parfois des Suisses, à l’image du conservatoire de l’EJMA Valais qui vient une année sur deux.

Le concret du rôle de programmatrice au « Music in the Park »

Combien de demandes avez-vous reçues cette année, pour quel taux d’acceptation ?

Pour la 51e édition, l’on a battu tous les records, non seulement d’e-mails reçus mais aussi de formulaires d’adaptation et d’acceptation aux conditions du festival retournés. Ils étaient plus de 1’000 groupes et cela relève de mon travail de me pencher sur chacun d’entre eux – parmi lesquels l’on découvre des choses très intéressantes – pour en choisir finalement (seulement) une cinquantaine. La marge est restreinte mais le choix est réfléchi.

Ces demandes restent-elles dans un tiroir pour l’édition suivante ou chaque année vous procédez à un renouvellement de casting ?

Je dirais que chaque année, il y a lieu un renouvellement sauf pour certaines formations où les démarches étaient à un stade avancé et qui ont dû renoncer à leur présence pour des causes exceptionnelles. Pour ces cas-là, nous restons en discussion pour l’année suivante mais rares sont ces situations-ci, même pas chaque année.