Dix étudiants en deuxième année de bachelor en communication sont montés pour la première fois sur la scène du CPO mercredi et jeudi soir dans le cadre de leurs études. Testant leurs prédispositions à s’exprimer en public et devant un parterre élargi de plus de 100 personnes, ces jeunes gens ont tous eu l’occasion de goûter à l’art du stand-up, après six mois d’initiation à la scène et une période de rodage entre amis.
Sous la houle d’un connaisseur, Thomas Lecuyer, programmateur de l’ancien et regretté Lido Comedy & Club à Lausanne dont les rendez-vous continuent désormais au Centre Pluriculturel d’Ouchy (CPO), dix étudiants en deuxième année de bachelor en communication à l’école Polycom ont monté un spectacle d’humour – nommé Polycomedy – sur deux soirs, les mercredi 28 et jeudi 29 juin 2017. Deux soirées qui ont marqué l’aboutissement d’une préparation – et de nombreuses répétitions avec des professionnels de la scène – longue de quelque 128 heures. L’exercice est inédit mais l’utilité pour ces étudiants, novices dans le monde du spectacle, s’avère être plurielle car au-delà d’un entraînement assidu lors duquel les apprentis publicitaires acquièrent une prédisposition à la confrontation avec un public quasiment inconnu, c’est à un examen pratique, concret et réel auquel se sont risqués ces dix jeunes artistes d’un soir. « Cela va beaucoup plus loin qu’une simple initiation à l’humour – débute Thomas Lecuyer qui a accompagné chacun de ces étudiants dans la construction de leur sketch – Il y a tout d’abord l’apprentissage – la maîtrise de l’art – de la rhétorique, soit comment parler au public et comment structurer son propos pour que ce soit intéressant. À cette occasion, l’on a choisi l’angle du stand-up et du “storytelling” pour qu’il y ait une forme de modernité. Mais dans l’écriture du stand-up, il y a l’essence même de l’écriture publicitaire, voire de l’écriture politique. Les politiques ne font que des “punchlines”, tout comme les publicitaires. Et cela est tiré des humoristes. Donc autant aller à la base. » Une initiation à la scène qui dépasse tout autre type d’apprentissage dont le commun est désormais assis: « En réalité, c’est la concrétisation d’un vrai projet. Nous ne sommes pas dans une simulation ou un cas pratique brièvement briefé par une agence. Ce n’est pas non plus une mise en application lors d’un stage ou d’un job d’été. Là, on est dans le vrai, un chantier concret, avec beaucoup de retombées de presse et un public véritable. Ces jeunes prennent des risques et cela les implique personnellement », poursuit Thomas Lecuyer.
« Je crois beaucoup à l’action de “faire” »
Thomas Lecuyer a apposé sa signature dans le montage de ce rendez-vous. Une première année réussie qui a abouti à deux spectacles d’une qualité non négligeable après six mois d’entraînement. Une qualité qui a notamment été rendue possible grâce à des contacts professionnels de renom dont le carnet d’adresse de Thomas en est rempli. À ce titre, les Parisiens Navo, co-auteur de la série “Bref” sur Canal+, Arek Gurunian ou encore Christine Berrou [Lire également: « Je ne crois pas au talent, mais au travail »], ancienne journaliste reconvertie dans l’humour, ont travaillé de concert avec les étudiants afin de leur apprendre – et surtout leur transmettre – l’art d’être sur scène. Se sont également enjoints en tant que parrains de Polycomedy, les deux humoristes suisses Thomas Wiesel [Lire l’actualité de Thomas Wiesel sur leMultimedia.info] et Marina Rollman [Lire également: Marina Rollman, le manifeste du stand-up]. Une situation particulière pour ces derniers qui sont tous deux issus du Banane Comedy Club, concours d’humour de l’EPFL et de l’Université de Lausanne. Mais même au-delà d’un entourage prestigieux, l’épreuve du Polycomedy ne s’est pas limité à l’application d’une théorie sur la pratique. L’emprise de la scène a surtout permis à certains jeunes de se révéler – parfois abondamment sur scène – face à un public qu’ils ne connaissaient pas, ou très peu. « Cela a favorisé le développement personnel, quelque chose qui n’était pas très tangible au début. Il fallait aller chercher des capacités en soi, se révéler, s’accepter et parfois même se découvrir. Ce pas d’ouverture est important », selon Thomas Lecuyer, chroniqueur culturel au “Lausanne Cité”, chroniqueur cinéma à la RTS, programmateur au CPO et co-créateur du Blues Rules Crissier Festival, entre autres, qui a lui-même, dans sa vie, court-circuité la théorie au profit d’une pratique riche en apprentissages: « Je crois beaucoup à l’action de “faire”. Je n’ai pas fait d’études mais j’ai fait beaucoup de choses dans ma vie. Et “faire” permet d’apprendre des choses beaucoup plus vite, même si différemment et de manière parfois un peu plus lacunaire. Mais cela ouvre plein de portes. »
Un niveau significativement supérieur aux attentes
« J’ai vu un niveau significativement supérieur à la plupart des concours d’humoristes ou de scènes ouvertes que l’on voit un peu partout. Pourquoi ? Ce n’est pas parce qu’ils ont un bon prof. C’est parce que l’enseignement que je leur ai proposé a tourné autour d’un seul élément, le texte. Ce qui manque aujourd’hui aux 90% des jeunes humoristes. » Thomas Lecuyer est allé droit au but dans sa fonction de directeur de cours. Il a identifié les enjeux les plus importants et les plus probants pour ces étudiants en quête d’expérience. Et, plus important qu’une bonne expression scénique, il a poussé ces artistes en herbe à développer leur personnalité, à transcrire par les mots leur histoire d’avenir et à développer, par voie de leur courage, les thèmes qui leur tiennent à cœur. « Ils ont tous une bonne idée à la base. Mais après il y a des maladresses de jeu, ce sont des débutants, ils ne sont pas comédiens. Certains ont eu des trous de mémoire parce que ce n’est pas du tout leur métier. Néanmoins, ils ont sorti une bonne idée avec des références, de la culture, de l’engagement. Ils parlent de sujets qui les touchent; qui du féminisme, qui de l’intégration et du métissage, un autre, Alexandre [Meylan] qui fait un sketch sur le couple tout en sortant des sentiers battus, puis il travaille avec un maître d’armes chinois, Sun Tzu et mobilise des citations, développant toute une théorie derrière. C’est brillant sur l’écriture et c’est ce que nous avons développé tout au long de ces six mois », poursuit Thomas.
« On a saupoudré le texte de quelques effets de mise en scène »
La base du travail étant accomplie, l’heure a ensuite été à la mise en scène de leur histoire: « Une fois qu’ils étaient sûr de leur engagement dans leur texte, on l’a garni de quelques effets de mise en scène. À l’image d’Hannelore [Leemann] qui a refait Gollum, dont on lui a suggéré de jouer sa fouille archéologique parce que son texte était très dense et qu’il fallait qu’il y ait du visuel. Céline [Monney] et son personnage de bimbo qui fait du trekking part là aussi d’une histoire vraie mais elle souhaitait également enrichir son passage avec le dévoilement d’un powerpoint. Ou encore, le T-shirt de Loïc [Silva Santos] qui a trait au poulet retient ici aussi un effet de mise en scène. Tout cela ne fait que renforcer une idée forte et un bon texte », selon Thomas Lecuyer qui poursuit: « On a saupoudré le texte de quelques effets de mise en scène une fois qu’ils étaient sûrs de leurs choix. Par exemple, on a eu beaucoup de questionnements avec Patrick [Aimé]. Il – devait et était – sûr de vouloir parler de la sexualité de ses parents, du fait qu’il les a vus faire l’amour et avec autant de détails. À partir de là, s’il est sûr, on y va. C’est dans un second temps, qu’ils ont eu l’occasion d’affiner leur sketch grâce à l’aide de coaches. De plus, quand quelqu’un comme Navo, le co-créateur de la série “Bref”, ou encore Thomas Wiesel sont là pour relire un peu les textes, c’est que ces jeunes ont été assez bien lotis en matière de coaching. »
Une diversité foisonnante
Aussi, sur scène, les dix étudiants ont offert un panorama somptueux et riche d’effets de scène et d’univers tous plus innovants les uns que les autres. Une technique rare mais recherchée pour des amateurs aspirant à la voie publicitaire. Et l’effet de diversité n’est pas surprenant dans la mesure où « il est voulu. J’ai personnellement défendu la sincérité du propos donc il fallait que chacun ait un sujet original, à savoir personnel. Que chacun puisse défendre et s’approprier son propre thème. Le casting était d’ailleurs assez différent entre Alexandre [Meylan] qui fait un peu bourgeois de Pully et Alexia [Cornide] qui fait bobo de Genève et l’univers entre les deux est très grand. – commente Thomas Lecuyer avant de conclure – Le but était alors d’explorer l’univers et la richesse de chacun. L’erreur seyait dans l’uniformité. L’erreur résidait dans la copie conforme de ce qui marche tout en délaissant ce qui ne marche à priori pas. Il ne fallait pas simplement tomber dans le brassage de recettes éculées. Bien au contraire, la visée était de créer de la matière fraîche, des choses qui viennent d’eux. » Et c’est réussi. Une opération qui tend à la réitération l’année prochaine, en 2018, selon le principal intéressé.