Quand le Blues Rules groove avec les Duck Duck Grey Duck

Robin Girod, chanteur et guitariste des Duck Duck Grey Duck, est revenu pour la huitième édition du Blues Rules Crissier Festival après plusieurs années d'absence. © Oreste Di Cristino / leMultimedia.info

Vendredi 19 mai, les Duck Duck Grey Duck, loués par de nombreux titres médiatiques en Suisse et en France, se produisaient sur la scène du Blues Rules Crissier Festival pour la huitième édition aux abords du Château de Crissier. Après s’y être produit à plusieurs reprises entre 2010 et 2013 avec Mama Rosin et Sevdah Dragi Moj, Robin Girod retrouve la douceur et le coquet des planches de la scène ouest-lausannoise. Rencontre avec le trio genevois après leur set.

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Les Duck Duck Grey Duck ont investi la scène du Blues Rules Crissier Festival vendredi 19 mai (21h30) et leur show s’est révélé être à la hauteur des attentes. Du groove, de l’amusement, de l’énergie et des solos. Pourtant, même si le trio foulait pour la première fois, ensemble, les planches de Crissier, Robin Girod, chanteur et guitariste du groupe, eut déjà l’opportunité d’être appelé par Vincent Delsupexhe (cofondateur du festival). Présent lors des premières éditions du festival, sa musique détonait déjà alors avec deux anciens projets – celui très connu de “Mama Rosin” en 2010 et en 2013, puis avec le groupe aux sonorités blues bosniennes, “Sevdah Dragi Moj” en 2011 – qui ont, à chaque fois, vu briller le talent pur et un jeu de scène captivant. « Ça fait un bon moment que je n’y suis pas revenu et bizarrement c’est comme si cela faisait partie d’une ancienne vie, aussi parce que j’ai souvent recroisé Vincent [Delsupexhe], le coorganisateur dans d’autres villes et dans d’autres lieux très loin du Blues Rules. Mais je suis content de revenir avec mes amis pour qui Crissier est la première fois. Ça fait partie d’une renaissance », lance Robin qui a donc remis cela à l’occasion de la huitième édition du festival en présentant, avec Nelson Schaer à la batterie et Pierre-Henry Beyrière à la basse, un garage californien entrelacé de multiples influences, plurielles et diversifiées. On y retrouve du funk, du new wave des années 1970, du rock inspiré aussi d’une histoire de la musique blues riche en héritage. Et de tout cela, en ressort une créativité démentielle lors de jam sessions, cependant toujours pensées dans l’énergie: « L’énergie c’est bien – développe le batteur Nelson Schaer, auteur d’un solo virevoltant – mais il faut également savoir jouer en nuance et ce soir, on a essayé de le faire. » C’est là tout le coup d’éclat de ce nouveau rassemblement; Duck Duck Grey Duck sent la musique, la respire et la transmet avec une puissance incomparable. Un nouveau coup de folie après “Mama Rosin” et “Sevdah Dargi Moj” ? « Nous sommes musiciens, donc c’est normal que nous ayons plusieurs environnements de jeu. On a différents groupes. [Duck Duck Grey Duck] n’est pas simplement un nouveau coup de folie. Chez les musiciens comme nous, il y a toujours l’envie de jouer et de jamer jusqu’à ce qu’il y ait quelque chose qui se passe; un disque, un concert et c’est cela nous permet d’exister », témoigne Robin avant de rajouter: « C’est l’envie, le coup de cœur de faire de la musique ensemble, sans aucune autre envie d’être en scène sinon sous la forme d’un trio. »

« Le premier album a été enregistré en quelques jours et on s’est promis de se laisser plus de temps sur le deuxième »

Robin Girod, chanteur des Duck Duck Grey Duck

Le trio genevois a sorti un premier album “Here Come” en 2015 deux ans après sa constitution. Élan et socle de leurs représentations à travers le pays mais aussi en Europe – comme en France ou en Allemagne – ce premier opus laissera bientôt place à un second plus oriente, plus sculpté, plus réfléchi, plus posé comme l’affirme Robin Girod: « Le premier album a été enregistré en quelques jours et on s’est promis de se laisser plus de temps sur le deuxième pour que les musiciens avec lesquelles nous jouons en Suisse ou ailleurs nous imprègnent de leur courant afin que notre disque résonne de plusieurs influences différentes. » Prévu pour l’automne de l’année courante, le groupe imprime en studio les nombreuses rencontres et expériences vécues sur scène et au contact d’un public qui se veut universel. Aussi, le temps de travail passé à l’enregistrement témoigne d’un perfectionnisme édifiant: « On enregistre dans beaucoup de directions différentes tout en préparant aussi d’autres disques, donc on use nos corps dans les studios – lâche Robin avant de poursuivre – nous prenons aussi le temps de construire le nouveau disque pour que sa sortie soit détaillée; aujourd’hui, en Suisse, six mois après en France, un an et demi plus tard en Allemagne, etc. Nous pouvons vivre avec un disque tant que l’on parvient à le faire exister hors de la Suisse. Donc il n’y a pas à se presser; nous sortons, par ailleurs d’une tournée en Allemagne, aussi car notre album vient de sortir dernièrement là-bas. » Soit, un parfait travail d’imprégnation entre le live et les records.

Des influences du jazz des années 1940-50

Les Duck Duck Grey Duck parcourent une étendue d’influences passablement éclectique mais il n’en ressort pas moins que les vieilles traditions musicales des années du siècle passé constituent autant de faux-fuyants pour le trio. À tel point que les termes d’accroche traditionnels glissent sur la stature du groupe qui ne se définit plus que par le jeu d’ensemble: « Il est tellement difficile d’estimer dans quel cadre nous nous situons. En plus, nous venons de Suisse où la signification du blues est moindre – explique Robin avant de poursuivre – Je pense en revanche que notre musique fondamentale, c’est le jazz des années 1940-50. C’est celui-ci qui nous a rassemblés à la base, ce côté libertaire du groove, de la musique qui se construit par la pratique alors que le blues du Mississippi, celui qui est mis à l’honneur au Blues Rules, nous touche finalement de très très loin. » Touche-à-tout mais à condition également que cela sente le Duck Duck Grey Duck, sans mauvaise réappropriation d’un style qui ne leur correspondrait pas non plus. « Reprendre le blues culturel et historique de la tradition, comme l’on entend sur la scène à Crissier, nous n’oserions pas le faire. Nous sommes évidemment partis de l’influence de la pentatonique et des différents genres de blues mais on en a fait quelque chose d’autre, plus libre qui se rapproche du jazz d’il y a plus d’un demi-siècle », salue le chanteur du groupe. Cela n’empêche néanmoins au trio de puiser dans un internationalisme sans frontières où toute les cultures se rejoignent et favorisent un partage sans concession, comme ce dernier le rappelle: « Nous aimons la musique du monde parce qu’il faut penser le monde. Nous adorons par exemple la musique brésilienne des années 1950 ou 1960. C’est important d’être moderne et cela peut être également un gage de qualité. Je remercie d’ailleurs le Blues Rules de nous avoir invité pour nuancer aussi le pur Chicago Blues que l’on peut entendre. On n’entend pas que du “Got My Mojo Workin’” [ndlr, musique popularisée par Muddy Waters en 1957] toute la soirée et c’est bien que des groupes comme nous ou encore Son of Dave [écouter l’interview en live du Canadien] puissent appuyer un autre versant du blues. »

Respect d’une ancienne génération

Ne prêchent pas le blues traditionnel, les Duck Duck Grey Duck ne sont pas des prédicateurs puristes du style. Ils ne se réapproprient pas ce qu’ils pensent ignorer de la tradition américaine profonde du blues de Chigago ou du Mississippi. Ils modernisent le style sans se confondre en de félons vassaux d’un genre si pur qu’est personnellement représenté par les Kimbrough Robert et Cameron au Blues Rules. Mais par le respect d’une génération établie dans le blues depuis plus de 60 ans, le trio genevois saisit d’une oreille attentive les créations poussées dans le terreau le plus profond de la Mississippi du blues comme l’explique le bassiste Pierre-Henri Beyrière: « Ils viennent avec leur bagage et leur culture mais leur musique a finalement peu de résonance en Suisse. Nous pouvons en revanche nous inspirer de leurs codes et en reprendre la grammaire. Donc nous prêtons avant tout une oreille attentive sur ce que ces Américains font aujourd’hui du blues contemporain, que ce soit du Delta, du Missouri ou du Mississippi. Cela reste une musique universelle puisqu’elle est, de base, africaine. » Il est, par ailleurs, suivi dans ses propos par le batteur Nelson Shaer: « Le blues fait la part belle de toute musique moderne, donc on le retrouve partout et il nous habite aussi. Et de la musique que l’on peut entendre de ces personnes-ci, on essaiera toujours de s’en inspirer. Donc cela fait plaisir de les écouter ce soir [ndlr, vendredi soir]. »

« Notre ligne directrice se résume au trio »

Robin Girod, chanteur des Duck Duck Grey Duck

Quoi qu’il en reste finalement des barrières de genre, les Duck Duck Grey Duck les abattent de la plus simple des manières. Dans un nouvel album, pour lequel 22 pistes ont été enregistrées, la tendance inqualifiable de la musique du trio rappelle l’extraordinaire forme de leur modernité: « Même si l’on aime la vieille musique, nous n’y sommes pas attachés plus que ça. Nous ne faisons partie d’aucune paroisse et cela pose la question de ce que l’on fait. Nous n’arrivons pas à répondre à cette question. Aujourd’hui, nous avons fait un deuxième disque, 22 morceaux sur lesquels il va falloir faire un choix. Nous pouvons chercher une ligne directrice dans ce qu’on a fait, mais il n’y en a pas parce que le seul fil rouge se résume au trio », lâche Robin Girod. Mais ce n’est pas un problème, selon le groupe: « C’est un peu embarrassant mais c’est plus un problème de riche qui ne pose pas de préoccupations », s’accordent-ils. C’est là aussi, toute la teneur des rencontres possibles au Blues Rules Crissier Festival, entre la plus prude des traditions et la plus énergique et créative des nouvelles générations.