One Rusty Band n’Tap, quand le twist s’invitera au Blues Rules

L'arme fatale du duo: ce téléphone des années 1980 dont la seconde vie anime sert d'attraction musicale. © Oreste Di Cristino / leMultimedia.info

Mercredi après-midi, il y eut un avant-goût de Blues Rules à la Fnac à Lausanne. Deux showcases, typiques et atypiques lancèrent, officieusement, la huitième édition du plus grand rendez-vous de blues en Suisse qui se tiendra les vendredi 19 et samedi 20 mai dans le jardin du Château de Crissier. Parmi les deux artistes présents, il y avait les déjetés One Rusty Band n’Tap à l’univers impitoyable. Voyage.

Comme on dit, il faut s’attendre à du lourd avec le duo One Rusty Band n’Tap. D’abord parce que c’est un one man band qui ne se produit pas seul, et pour cause, le moderne musicien à tout faire, Greg, s’allie avec Tap, sa compagne, qui n’est autre que l’excentrique Léa. Puis, parce que le premier joue du blues rock endiablé que l’autre s’empresse de cadencer par une épreuve subtile de claquettes. Et déjà là, l’on ne comprend plus rien. C’est l’inédit, le stupéfiant que nous propose le groupe genevois: allier le dirty blues au typiquement classique que représente le tap dance traditionnel. « C’est vrai que c’est particulier car les claquettes, de base, se pratiquaient sans musique avant qu’elle ne s’incorporent dans la musique jazz puisque les sonorités se complètent bien. Mais je n’ai encore jamais vu une personne faire des claquettes sur du blues », avoue Léa.

Ce mélange de sonorités, le mariage entre l’effréné et le cadencé, One Rusty Band le présentera en ouverture de la seconde soirée du Blues Rules Festival samedi soir au Château de Crissier (18h30) et autant dire que le décalage s’annonce sensationnel. Aussi car le samedi 20 mai verra se produire deux des héritiers de la légendaire figure du blues mississippien Junior Kimbrough, l’engrenage subversif (et moderne par le délire proposé) de la musique du duo rendra l’ouverture du festival passionnante et envoûtante. « Ça fait un peu peur de rencontrer tous ces artistes américains car peut-être que nous sommes là en train de dénaturer leur musique si sacrée dans leurs contrées [rires] », lâche-t-elle, impatiente de monter les planches de la scène unique du festival.

« À Toulouse, nous nous sommes lancés dans la musique de rue »

En réalité, creusant plus loin, c’est l’identité et le talent de deux passionnés de blues et de rock’n’roll qui conduisent immanquablement à l’expression exceptionnelle d’un univers encore tout à tracer. Mais l’amorce promet de belles choses. C’est par une rencontre que les créations de One Rusty Band n’Tap doivent être perçues. Une immersion vivante dans une histoire authentique et vigoureuse. Rencontrés tous les deux dans une maison alternative à Genève, parmi 30 locataires, les deux artistes se sont d’abord révélés leurs sentiments l’un pour l’autre avant de véritablement révéler leur passion différenciée pour la musique: « Nous nous sommes mis en couple sans savoir que nous faisions, chacun de notre côté et chacun à notre manière, de la musique. C’est ensuite en partant vivre à Toulouse que nous nous sommes lancés dans la musique de rue », explique Greg qui couvre le chant, la batterie, l’harmonica et la guitare. Le tout en un.

« Il a commencé seul puis je me suis greffée sur sa musique pour pouvoir nous payer des vacances », complète Léa, spécialiste des claquettes acrobatiques. Pourtant pas parés pour la scène, alors qu’ils démenaient leur lourd matériel sur les pavés de la ville rose, puis même à Genève, le succès a rattrapé leur talent, les propulsant notamment sur les planches de plusieurs festivals mais aussi vers l’enregistrement d’un nouvel album fraîchement sorti dans l’année courante, “Vagabond”. Et c’est pourtant là que le délire gagne pleinement sa forme. Apprêtés d’un matériel atypique, leur renommée n’a fait qu’un tour. Et ce n’est pas surprenant.

© leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Un cargo sentimental sur la scène du Blues Rules

Sentimentale car si personnelle, la joyeuse et imposante orchestration que balade le duo accaparera, nul doute, le public de Crissier. En effet, accompagnés de chaussures de claquette, d’un plancher de danse, d’une caisse claire, d’un cajón battu par une grenouille en peluche – il fallait y penser –, d’une Cigar Box (cordophone primitif), d’une guitare traditionnelle, d’une guitare radiateur, d’un harmonica, de cymbalettes et – sans oublier  – d’un micro-téléphone des années 1980 – seuil de la frénésie musicale qui retient un son de voix élégamment éraillé –, autant dire que le groupe genevois étale là toute une créativité qui leur est propre. Atypique. Si atypique qu’elle nécessite plusieurs dizaines de minutes pour la mettre en place sur scène (et pour la ranger à la fin) : « C’est vrai qu’il y a pas mal de bordel [rires] même si au final ça reste basique parce que nous restons sur huit pistes sur la table de mixage », rassure Greg. Preuve que le délire n’est pas non plus hors de portée même si, comme le rappelle Léa, « il n’y a pas d’exemple, de précédent à notre genre. » Elle continue: « À la base, tout cela n’était pas forcément destiné à la scène et c’est tout le cocasse de la situation puisque quand les ingénieurs du son nous voient arriver, ils prennent un peu de temps pour comprendre la manœuvre et le délire. » Un style qui semble aujourd’hui particulièrement rôdé.

« La culture de la danse est pourtant bien présente par exemple dans la Nouvelle Orléans où l’habitude est parfois ancrée de mélanger les styles »

Mais finalement, cette animosité si charmante du couple se prêtera très bien sur la scène du Blues Rules Crissier Festival. Car si l’on s’en tient à ce que l’on voudrait bien retenir, la vraie tradition blues de la percussion américaine n’est sans doute pas retransmise par une batterie mais bien par une fille qui danse le rythme des guitares et des basses. On en est là et c’est agréable à voir. Mais plus spécifiquement, comme en témoigne Greg, « il y a pourtant aux États-Unis, cette tradition de jamer pas mal, taper du pied, sans pour autant être du tap dance traditionnel. Mais la culture de la danse est pourtant bien présente par exemple dans la Nouvelle Orléans où l’habitude est parfois ancrée de mélanger les styles, parfois même avec une gratte qui n’a pas forcément toutes ses cordes non plus [rires], comme une Cigar Box », son instrument de prédilection. C’est ainsi, qu’au blues, tourné volontiers vers des sonorités rock’n’roll aux rythmes plus accélérés, plus énervés – comme One Rusty Band se complait à le jouer et le danser – se calque aussi… le twist. On ne peut plus traditionnel.

L’influence psychédélique de Jimi Hendrix

Au-delà d’un répertoire riche presque exclusivement composé et écrit par Greg, l’on retrouve également plusieurs reprises de chansons très populaires, dont “Voodoo Child” de Jimi Hendrix. « Nous sommes tous les deux de grands fans de Jimi Hendrix – lance Greg, le regard plongé dans les yeux de sa compagne avant de poursuivre –  J’aimerais bien jouer avec une wah-wah (ndlr, pédale d’effet pour les guitares électriques) mais je ne saurais comment en jouer. Je ne pourrais même pas m’en servir car mes deux pieds sont pris pour la percussion: le pied gauche pour la caisse claire et le pied droit pour le cajón », substitut de fortune de la grosse caisse. Là aussi, on fait en fonction des possibilités. Quoi qu’il en soit, l’influence de la légende américaine de guitare électrique s’en retrouve intacte dans les morceaux joués par le duo qui rappellent tous les liens indéfectibles qui relient le rock à son ancêtre, le blues. « En réalité, le blues est la base solide de beaucoup d’univers, de la musique moderne et binaire que l’on connait aujourd’hui, puisqu’il transmet des codes universels et très populaires. C’est ce qui le rend immortel », affirme Léa.

« Les bluesmen, dans le fond, sont très rock’n’roll. Aussi, même si c’est pas au style de Robert Johnson ou Muddy Waters, Led Zeppelin et Jimi Hendrix sont à leur manière également des bluesmen », soutient Greg. Et c’est là que l’on retrouve la finalité de la musique de One Rusty Band, que l’on comprend le mix entre la tradition et l’innovation moderne (quoique délirante), entre le passé et le renouveau d’un blues qui se modernise de jour en jour. Et dans cette entreprise de différentiation, nul doute que le modèle du one man band aide sensiblement puisqu’il « modifie nettement les possibilités musicales et forge les particularités d’un style plus personnel », lâche Léa, alias Tap. Un style personnel trouvé chez One Rusty Band [et] Tap à découvrir et consommer sans modération samedi soir au Blues Rules Crissier Festival.

« Le blues est la base solide de toutes les musiques. » © leMultimedia.info / Oreste Di Cristino [Lausanne]

Un délire alimenté et construit à coups de serflex

« Le tout s’est construit à coup de serflex et on alimente le délire chaque jour, tout en le perfectionnant. » Greg l’assume: le style du duo est bricolé, certes, mais tellement bien bricolé qu’il tient parfaitement dans le nouveau disque “Vagabond” sorti sous peu, dans le courant de l’année 2017. On y retrouve plusieurs compositions du duo mais aussi beaucoup de reprises. Et au-delà de “Voodoo Child” de Jimi Hendrix, les adaptations sont nombreuses d’autres artistes légendaires de la scène blues comme Skip James, Robert Johnson ou encore Dick Burnett. Ça c’est un fait.

Le délire dans tout ça ? Écoutez le premier titre et vous en transmettrez vos émotions tant il sort de l’ordinaire du répertoire typiquement blues. “Cat Suicide Blues” est bien là, l’une des musiques que le duo se complait à jouer et nul doute qu’elle sera de la partie lors du set au Blues Rules samedi soir. « C’est l’histoire d’un chat psycho en haut d’une tour et qui a envie d’en finir, de se jeter par la fenêtre pour découvrir un autre monde. Un autre monde qu’il découvre finalement une fois au sol », lâche Greg assertant, qu’aussi bizarre que cela puisse paraître, la chanson est tirée d’une histoire vraie. Et autre vérité, le son est démentiel. Il suffira de repérer le passage entre autres nouveautés que le duo présentera sur scène à Crissier, dont également le titre “Boogie Boogie”, typiquement en ligne avec le thème de cette huitième édition du festival, Let’s Boogie All Night Long.