Kheiron, l’impro dans le sang

Kheiron au Casino-Théâtre de Genève. © Oreste Di Cristino / leMultimedia.info

Kheiron était hier au Festival du Rire de Genève pour jouer son spectacle 60 minutes avec Kheiron. Le nouveau Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de France est un artiste polyvalent qui jongle entre quelques rôles de cinéma, un peu de rap et beaucoup de stand-up assez trash sur scène. Sa différence, c’est son énergie positive et ses improvisations qui rendent chaque soir ses spectacles différents.

C’est ton deuxième passage à Genève en quelques mois. Le public suisse ne te connaît pas forcément très bien. Néanmoins tu es une affiche qui claque pour les connaisseurs de stand-up et ton film Nous trois ou rien a eu beaucoup de succès. Sais-tu quel public tu auras face à toi ce soir ?

C’est vrai qu’à Paris, je suis très connu. Je remplis mes salles de 500 personnes tous les soirs depuis sept ans mais derrière le périphérique (ndlr, la rocade autoroutière) je ne le suis pas. À Genève, j’ai l’impression d’être en province, où l’on ne me connaît que peu.

Je ne me prépare pas au public que j’aurais. La plupart, ce sont des gens qui m’ont découvert soit sous les conseils d’amateurs de stand-up et qui viennent pour la technicité de ce métier, soit via Bref ou alors des familles via mon film Nous trois ou rien. En fait, à l’inverse du film tout public, familial, touchant et poétique, mon spectacle est graveleux, trash. Donc je ratisse large et ne plait pas à tout le monde, mais je ne me demande jamais qui va être dans la salle. Je ne prétends pas éduquer les gens et leur partager mon point de vue sur la société. Ma seule problématique c’est de les faire rire toutes les sept secondes.

Connais-tu un peu la Suisse, ou du moins Genève, et que ce soit suffisant pour faire des vannes qui parlent aux Genevois ?

Je comprends cette démarche, mais je ne prépare jamais des blagues par rapport au pays ou à la région où je joue. En fait, si je cherche des renseignements sur le coin où je joue le temps d’un soir avant de repartir le lendemain, j’aurais vite tout oublié alors je trouve ça un peu « fake ». En revanche, si le public ne comprend pas quelques mots que j’utilise car ce n’est pas utilisé en Suisse par exemple, alors il suffit de lever la main et je réponds. Avec moi tout est interactif et le public s’en aperçoit très vite.

Justement, à quoi peut mener une conversation d’une heure avec le public ?

C’est plus qu’une conversation car le public et moi sommes là pour rire. Dans mon spectacle, j’ai le début, mais je ne sais pas quelles seront toutes mes vannes. Alors j’attends de voir ce que le public répond à mes questions. Comme il y a des réponses récurrentes d’un spectacle à l’autre, mes vannes qui suivent sont plus ou moins préparées car avec le temps, je sais comment répondre à telle réponse. Mais il y a quand même beaucoup d’improvisation. Certains soirs, seuls quinze minutes de vannes sur une heure de spectacle sont écrites, tout le reste c’est de l’impro.

« Quand on raconte une anecdote, on est plus efficace la 50e fois que la première car on connaît le rythme qu’il faut donner à l’histoire »

Kheiron

Lors d’un spectacle, tu as même créé une liaison entre deux personnes qui ont fini par se marier et t’ont invité à leur cérémonie.

Exactement, c’est incroyable. À Genève, comme lors d’un spectacle sur trois, je vais parler de couple et chercher une jeune fille célibataire pour voir qui on peut lui trouver. Généralement ça réveille toute la salle et un jour, j’ai reçu un message d’un couple qui m’a expliqué qu’ils se sont rencontrés et mariés depuis le soir où ils sont venus à mon spectacle.

Tu as trois heures de vannes en stock, et tu pioches dedans tous les soirs selon ce que le public te donne pour le faire rire pendant une heure. L’improvisation, ça s’apprend et ça s’entraîne comme un sport ?

Oui, ça se travaille beaucoup. Quand on raconte une anecdote, on est plus efficace la 50e fois que la première car on connaît le rythme qu’il faut donner à l’histoire. Avec l’impro, c’est un peu pareil. En réalité, les meilleures impros sont celles qui sont les plus préparées car le public ne se rend pas compte que tout est minuté. Quand on voit Ronaldo ou Messi dribler, on se dit qu’ils sont très forts mais ce sont des heures de travail tous les jours. Alors je travaille. Surtout, je parle au public pour qu’il me donne de la matière et que ça change de spectacle tous les soirs. En réalité, mon style est venu car j’ai de grosses difficultés à apprendre mes textes.

Avec Donel Jacks’man et Bun Hay Mean, vous avez prévu un spectacle à trois. C’est pour quand ?

On se pose la même question (rires). Il faut déjà qu’on écrive le spectacle et comme nous avons différents projets, c’est compliqué de prendre du temps pour ça. Je suis notamment sur un film qui sera tourné cet été.

 « La seule limite à l’humour, c’est si personne ne rit car la vanne n’est en fait pas drôle »

Kheiron

Comme la plupart des humoristes, tu confirmeras que l’on peut rire de tout. Alors à quel point l’humour est une arme dans la vie de société ?

Oui, on peut rire de tout. Un jour, j’ai reçu un message d’une spectatrice qui m’a remercié. Elle était venue voir mon show avec son père, or j’avais fait des vannes sur lui parce qu’il était vieux en disant qu’il allait bientôt mourir. Elle m’a expliqué qu’il avait un cancer et était en phase terminale. Mais cela avait dédramatisé leur tragédie et son père en riait aussi. On désamorce tout avec l’humour. C’est aussi mon histoire personnelle puisque certains proches de ma famille ont été torturés en Iran. D’ailleurs, mes parents et moi avons perdu la moitié de notre famille. La seule limite à l’humour, c’est si personne ne rit car la vanne n’est en fait pas drôle. Il faut donc changer de blague mais pas forcément la thématique, même si elle est sensible. Jusqu’à arriver à faire rire celui ou celle qui était choqué. Quand on fait rire quelqu’un, on le désarme. Et ce n’est pas possible d’agresser quelqu’un qui nous fait rire.

En tant qu’humoriste, tu dois savoir prendre la parole pour capter l’attention d’un public, et bien sûr le faire rire. As-tu vu le film-documentaire « À voix haute », qui raconte comment des jeunes de Seine Saint-Denis, d’où tu viens, prennent la parole dans un concours d’éloquence ?

Je vais bientôt le voir ! Bien sûr, j’encourage ce genre de concours d’éloquence, j’ai notamment été parrain en 2013 du concours Eloquentia. C’est justement celui qui fait l’objet du documentaire et c’est à ce moment que j’ai rencontré Leila Bekhti (ndlr, une actrice française qui a joué avec Kheiron dans Nous trois ou rien). La prise de parole est la meilleure des choses. La rupture du dialogue, c’est triste. Dans son premier spectacle, Jerry Seinfeld, l’un des pères du stand-up, disait « Dans les journaux, un sondage est sorti : la peur numéro une des gens est de prendre la parole en public et la seconde, la mort. Les gens ont davantage peur de parler que de mourir. Ça veut dire qu’à un enterrement, ces gens pensent qu’il vaut mieux être dans le cercueil que de dire l’éloge funèbre. »

C’est d’autant plus important pour ceux qui sont les moins écoutés. Dans les banlieues françaises où il y a beaucoup de personnes issues de l’immigration, on prend moins la parole lors des votes car il n’y a pas de travail. Une minorité de gens qui ont des problèmes créent des problèmes et les médias font des amalgames. La banlieue, je l’ai dépeinte comme positive dans Nous trois ou rien car c’est ce que j’ai vécu (ndlr, Kheiron a grandi en Seine Saint-Denis).

Dates clés

21 novembre 1982 Naissance à Téhéran

1984 Ses parents quittent avec lui, encore bébé, l’Iran pour la France

Août 2011-juillet 2012 Bref (Canal +)

Début 2014 Album Entre vos mains

2015 Sortie du film Nous trois ou rien, qui raconte l’exil de ses parents, persécutés, de l’Iran vers la France. Il en est le réalisateur et un acteur.

2018 Sortie prévue de son second film « Mauvaises herbes »