À l’appui d’un travail de terrain à haut risque, Antony Butts embarque le spectateur en « Point of View » au plus près des acteurs du conflit qui embourbe l’Ukraine depuis 2013. Militaires, civils et hommes politiques de la Révolution parlent de la République populaire de Donetsk comme d’un Eldorado qui pourtant les a laminés.
Au Festival du Film et Forum International sur les Droits Humains de Genève, le film-documentaire « Donetsk, la bataille de l’Ukraine » d’Antony Butts promet 55 minutes en immersion dans le Donbass, région de l’Est de l’Ukraine meurtrie par une guerre entre séparatistes russophones et pro-européens. Tournées sur le vif par le réalisateur, les séances plénières dans le « Parlement » non-élu de la République de Donetsk, les opinions des habitants et la crainte des familles des militaires nous montrent la Révolution de l’intérieur. Le choix du réalisateur Antony Butts fut d’assembler des séquences filmées entre le printemps 2014 et l’été 2015 qui n’avaient initialement pas été destinées pour un film-documentaire.
C’est une approche originale sur la forme qui offre une vision de la guerre comme si l’on y était puisque la caméra montre le point de vue du journaliste. Ainsi, le spectateur est témoin du travail de terrain du journaliste comme s’il était à ses côtés. Le « Point of View », cette façon de filmer, rend le film très dynamique. Accompagné d’une voix-off qui prend du recul sur la guerre, le film ne tombe pas dans le piège de la propagande. Bien qu’engagé pour donner la parole aux différentes voix du Donbass et neutre dans le conflit, le documentaire occulte cruellement le point de vue de l’Ouest du pays.
L’échec de la Révolution
Le documentaire relate la situation de souffrance dans le Donbass à travers des rencontres avec les habitants de la région, ruinés, et dominés par un sentiment de frustration. On se rend compte que si dans un premier temps les espoirs d’une République populaire à Donetsk indépendante et possiblement soutenue par la Russie séduisait, sa création le 7 avril 2014 et sa gestion par des politiciens non-élus et pas moins corrompus que ceux de Kiev a déçu. « Ce territoire n’est pas clairement devenu un État-Nation et dépend trop du soutien politique russe, qui n’a pas reconnu la République comme un État bien qu’il soit militairement soutenu » témoigne Sébastien Gobert, journaliste indépendant basé à Kiev. Ce flou frustre et n’augure pas de stabilité dans une région gangrénée par le chômage.
En somme, l’avenir semble compromis aux choix de la Russie qui peut faire basculer dans un sens ou dans l’autre la République. Une stratégie qui semble dangereuse pour la Russie elle-même tant elle est floue sur la question ukrainienne. À part l’intégration de la Crimée dans la Russie en mars 2014, la puissance voisine n’agit que très peu et « probablement envoie ponctuellement des militaires ou des agents des services secrets en Ukraine », poursuit Sébastien Gobert. Le film, à l’image de la situation actuelle, ne présente d’ailleurs aucune solution.