“No Sour Days”, le nouveau clip de l’artiste Mourah

Le “désir” chanté par Mourah acquiert une valeur pluridimensionnelle. © Mei Fa Tan

Mourah est un artiste avec un univers bien marqué, adepte du trip-hop, ce mouvement musical né dans les premières années de la décennie 1990. Cultivant le genre avec envie (et talent bien sûr), l’artiste biennois imite les plus grands de sa génération, de Miles Davis à Prince, les figures phares de son adolescence. Après la sortie de son deuxième album “Kardia” en 2016 et sa victoire aux “Music Video Contest” quelques mois plus tard, Mourah revient avec sa création visuelle la plus aboutie: le clip de “No Sour Days”. Rencontre.

Mourah, c’est du jazz d’abord, puis de la soul. Et finalement, Mourah, c’est aussi de l’électro. Mourah, c’est à la fois tout et son contraire. Une hybridation musicale qu’il fait, par modestie, remonter son originalité au préambule de la modernité. Or, il n’y a pas moins moderne que Mourah, un jazz revisité par delà un son électro qui parfait tout l’inédit de la manœuvre; faire renaître le trip-hop. « Le trip-hop est, j’ai l’impression, mort dans le courant des années 1990, seuls Massive Attack et Portishead ont plus ou moins continué dans la voie. Je ne réinvente pas le genre, c’en serait prétentieux. Je m’en suis inspiré », explique l’artiste biennois. En fait, le trip-hop à la sauce Mourah se résume par l’exercice de triturer tous ses genres de prédilection pour en rendre un style, sinon de particulièrement nouveau, d’inédit ou d’inusuel, plutôt. Cette musique-ci, pour le chanteur, habille le comédien et l’enivre – plus précisément, « la musique vient autour du texte comme un décor autour du comédien », affirmait-il –, elle l’emporte dans une dimension onirique, mais aussi lyrique – à en comprendre les influences classiques inoculées par sa mère – embrassant par le même transport un univers électro (injecté dans son répertoire par les influences de son frère). Une fusion – une macédoine musicale dirions-nous – entre genres plus hétérogènes que possible auquel s’ajoute les teintes de jazz et de soul finement retrouvées dans la plupart de son répertoire, à l’aune des titres “Silence” et “No Sour Days”. Le trip-hop, c’est bien cela et depuis son adolescence, Mourah le cultive encore et toujours, parti de là, à l’écoute des plus grands de son époque: James Blake, Massive Attack ou encore, le plus influent, Prince. Ce jazz sans artifice, tout en simplicité: « J’aime beaucoup le jazz même si cela ne s’en ressent pas clairement dans ma musique – avoue Mourah avant de poursuivre – En réalité, j’aime beaucoup aussi Miles Davis dans la période de “Panthalassa”, vers la fin des années 1970, dans ses distorsions et ses expérimentations. Il avait, par cela, l’habitude d’aller à l’essentiel dans sa musique, chose que j’aime faire. Je préfère le minimal, même si parfois j’ai tendance à trop en faire. Prince également avait aussi tendance à se perdre dans de grandes orchestrations non-mesurées à certains moments de sa carrière, tout au long de ses 40 albums, de sa linndrum au plus simple de son instrumentation. »

Des origines à “Kardia”, un univers primé

De l’expérimentation, Mourah en a offert une parfaite démonstration tout au long de ses deux albums de 2005 et 2015, ponctués par plusieurs singles et EP, tous dirigés vers la même expérience: « J’ai essayé de créer un pont entre l’électro et l’acoustique. J’avais besoin de ce son par lequel l’on pouvait facilement m’identifier. J’ai pris ma propre direction, loin des différentes tendances musicales. Il y a une ligne directrice entre les deux albums que j’ai sorti, même si le troisième sera toutefois un peu plus épuré. » Un troisième album dans lequel Mourah promet de raviver – davantage ? – la flamme du jazz, dans une étroite collaboration avec un trompettiste et un contrebassiste, asseyant, par là, encore et toujours plus ses volontés acoustiques. Une réalité phonique qui passe également par sa voix en « falsetto », lui permettant de monter très haut dans les aigus. Une de ses qualités – parlons surtout de talent – qui reflète particulièrement son style et sa personnalité; une figure timide tout autant que polissonne, dans un sens qui reflète le vagabondage de son univers musical. Une véritable concordance des tons qui ouvre la voie à sa propre émancipation, même si, de manière générale, « l’émancipation est le propre de l’art. L’éloignement de la pudeur que l’on ressent dans la vraie vie s’opère dans chaque âme créatrice, autant dans le visuel que dans le musical. La timidité se cache derrière la musique. » Et c’est bien l’âme des créatifs et des passionnés; la timidité – porteuse de très grande humilité –, se veut indispensable pour parvenir à forcer le loquet des plus grandes scènes musicales. Si bien, qu’après le prix du public remporté aux “Swiss Live Talents Awards” en novembre 2015, Mourah a une nouvelle fois triomphé, cette fois-ci, à la quatrième édition du “Music Video Contest” cet été 2016. Une victoire qui lui a ouvert la voie au festival des Hivernales à Nyon et à la réalisation du clip de son titre primé – et apprécié par le public – “No Sour Days”. Une entrée de plain-pied dans une dimension nouvelle de sa carrière musicale, à peine plus d’un an après la sortie de son deuxième opus, “Kardia” le 16 mars 2015. Une promotion de l’artiste qui passe notamment par la sortie immédiate de son tout nouveau clip musical, tourné en janvier dernier. Une création inédite et mesurée qui se veut porteuse d’un message puissant sans forcer dans un déterministe compassé. Une recette à succès qui n’en active pas moins les méninges.

“No Sour Days” sous l’œil d’une production versée

Le disque “Kardia” (littéralement “cœur” en grec, dont l’étymologie nous ramène à nos origines) questionne à la fois la violence et les fragiles pulsions du cœur, et par là, de nos émotions. L’étalage de ces sensations se questionne tout autant, quoique différemment, dans le titre “No Sour Days”, où l’on parle plus précisément du désir, maître-mot du nouveau vidéo-clip sorti en avant-première à Nyon vendredi 24 février dernier. Un scénario, plusieurs histoires, diverses scènes qui démontrent parfaitement que ce désir n’est rarement univoque, uniforme, le terme se voulant passablement évasif, le voulant plus ambigu que ce qu’il n’y parait. C’est bien ces différentes formes que met à l’image la nouvelle “production” de Mourah… À tous les âges, l’on questionne la dure, ou périlleuse épreuve, de l’émancipation, voire de l’acceptation de son être intérieur, quoiqu’esthétique ou émotionnel. Les comédiennes, de la plus tendre jeunesse à l’homosexualité assumée de certaines figures annulent le regard d’autrui, à ceci près qu’elles assument leur réelle personnalité et leurs réelles orientations. « Mei Fa Tan [ndlr, productrice du clip] – et c’est ce qui m’a plu dans sa mise en image et dans l’écriture du scénario de la chanson – a un peu détourné les paroles que l’on pourrait lire dans une première lecture; ce côté strictement romantique du désir, une histoire d’amour entre deux personnes. Or, dans le clip, ce désir a été décliné en différents amours, l’amour propre, l’amour obsessionnel entre une mère et sa fille – quand l’on projette nos propres rêves inachevés dans la vie de notre descendance – les amours inavoués, les pulsions et les tensions », explique Mourah. Il est vrai: ces trois histoires en parallèle donnent une vraie profondeur à la relecture des paroles de “No Sour Days”, une profondeur universelle de la conception et de l’interprétation des émotions. Les images laissent pourtant place à la réflexion, faisant de ce court-métrage musical un véritable « clip d’auteur », comme l’affirme l’artiste : « Il faut s’affranchir du regard et des attentes des autres. Nous avons trop tendance à nous soucier du regard d’autrui, et l’on se retient parfois de faire certaines choses, d’évoluer dans un cadre de vie que l’on souhaiterait. La société formate trop nos désirs, sans quoi nous en sommes écartés. Nous sommes sans cesse stigmatisés par l’inexplicable. De nos jours, tout doit être très intelligible, y compris les clips musicaux. » Une particularité que corrobore également sa directrice de tournage, Mei Fa Tan : « Il faut parfois accepter que l’on ne puisse pas toujours comprendre ce qu’il se passe dans la vie. Ce n’est pas terrible, cela fait juste partie de la vie. Ce que l’on ne comprend pas (que ce soit une religion, un mode de vie ou une orientation sexuelle) ne se transforme pas automatiquement en menace. Et ce clip renvoie par là aussi à la sensibilité de tout un chacun dans la compréhension des différentes scènes. Chacun comprend volontiers ce qu’il veut comprendre de chaque situation, de par son propre vécu ou sa propre expérience. » En définitive, l’adaptation visuelle de “No Sour Days” se traduit en une première vrai “grande” production au service des textes et des mélodies de l’artiste biennois, grandi à Genève. À titre de comparaison, les anciens clips – à l’exemple de “Streams” ou encore “Icarus 101” – sont réalisés de manière très sommaire, ce qui n’en retire point un charme atypique loin du panorama des clips vidéos survitaminés et surdominés par une régie aux grands moyens. Pourtant, avec “No Sour Days”, tourné en janvier 2017, l’on a gravi un échelon sur le plan de la réalisation et de la production où l’on a toutefois réussi à maintenir une identité, aussi sobre qu’épurée. « C’est la première fois que j’ai pu accéder à une production professionnelle avec caméras, éclairagistes, régie et plateau – explique Mourah avant de poursuivre – Du pain béni par les ressources que Mei Fa Tan a mises à ma disposition. Cela laisse même entrevoir les possibilités que l’on peut envisager à l’avenir, à l’horizon avec des possibilités techniques plus avancées. » Un talent d’autant plus mis en valeur que le terrain conquis dans le parcours de la musique s’en retrouve grandi. Un clip à consommer sans modération et avec esprit critique et réfléchi.

Un artiste, des moyens ; un casting, des figurants…

Un artiste mis en valeur, c’est une chose. Les éléments – non excessifs, modérés et réfléchis – qui l’entourent, c’est encore autre chose. Le cadre aux lumières tamisées du restaurant, le sur-maquillage d’une petite princesse, les reflets d’une imbécillité diffusée à la télévision, sans oublier des comédiens aux grimaces expressives, aux regards envoûtés : le décor du tournage est à lui seul une première réussite. Une sophistication par les moyens mis au service de l’artiste qui apporte une valeur ajoutée sans précédent dans les visuels des clips de Mourah. Sans parler même de l’investissement mis en œuvre dans la production. « Le tournage implique beaucoup d’investissement et de moyens, de l’équipe technique à l’éclairage au plus basique des services comme les transports. Il ne faut pas sous-estimer les coûts d’un tournage, ce pourquoi je crois en la valeur d’un projet comme le Music Video Contest, qui offre un système de production qui n’est pas monnaie courante aux artistes indépendants », débute Mei Fa Tan, directrice du film. Aussi, le clip “No Sour Days” a également pu bénéficier de l’aide de précieux sponsors, la ville et le district de Nyon en premier lieu, suivi également par le festival des Hivernales : « Cela a passablement facilité la recherche de subventions, de par des connaissances et un contexte que je connais bien », poursuit-elle.