Jeudi soir, au Centre Pluriculturel d’Ouchy, le Grand Match “Jokers” investissait pour la septième fois les planches avec un quatuor (reconnu) d’humoristes adonnés à l’improvisation. Et pour la première fois, la troupe a même accueilli Anaelle Tribout Dubois, comédienne et improvisatrice née, directement venue de Paris. La preuve que l’on sait se renouveler au sein d’un concept ayant vu le jour en septembre 2016 sous la conduite des idées et du talent du producteur Sébastien Corthésy. Rencontre après 40 minutes de débriefing dans les loges du CPO.
Si l’on considère la qualité de la représentation à la durée du débriefing en loge, que penser de cette soirée au CPO, ce jeudi ?
Ce fut une soirée où nous n’étions pas entièrement satisfaits. Ce qui veut dire que les gens ont ri – c’est une bonne chose – mais ils ont sans doute ressenti que par moments, l’ambiance chutait. Raison pour laquelle nous souhaitons sans cesse améliorer nos passages. Et heureusement, grâce à ce concept, nous parvenons la plupart du temps à être satisfaits de nos soirées. En revanche, quand elles se passent moins bien, nous ressentons moins de plaisir à jouer. Et le public le ressent. C’est aussi comme cela que le projet a débuté; chaque mois, nous expérimentons, chaque mois, il y a de nouveaux jokers, de nouvelles séquences, parfois elles sont très drôles, parfois (beaucoup) moins. Et nous essayons d’apprendre de cela jusqu’au jour où adviendra à chaque représentation un spectacle toujours plus réussi que le précédent. Cela fait partie de ce que nous recherchons. Nous sommes en quelque sorte, sur une corde raide et c’est le principe du jeu; parfois l’on réussit des numéros d’équilibriste dessus, parfois l’on tombe. Pour l’instant, c’est difficile car ce spectacle, nous l’avons rêvé, fantasmé sans qu’il ne se passe toujours comme nous l’avions pensé. Il y a un peu de frustration pour le moment mais nous allons très vite nous remémorer les meilleurs souvenirs, tout comme le public qui (nous le souhaitons) deviendra fidèle du concept.
Le public rit, ce n’est pas suffisant ?
Il y a une différence entre rire et passer une bonne soirée. Tout est une question de marge d’erreur en réalité. Je m’explique avec une anecdote; il se trouve un chef extraordinaire qui tient un restaurant à Grandvaux et qui mérite des étoiles au Michelin (il en aura). En une année d’activité, il réalise un menu gastronomique à 75 francs; un menu, d’une superbe, qui vaut en réalité bien plus. Or, pourquoi ne le vend-t-il pas au prix de sa réelle valeur ? car à 75 francs le menu, il préserve le droit à l’erreur. C’est en quelque sorte la même réalité que l’on retrouve avec un billet d’entrée à “Jokers” qui ne vaut que 25 francs. À ce prix, cela ne signifie pas que nous faisons un spectacle médiocre – chaque soir, nous donnons tout ce que nous avons – mais nous nous laissons aussi le droit d’avoir des passages à vide, parfois, où l’on ne rit pas tout le long. Ce qui me choque, en réalité, ce sont les spectacles que l’on voit à l’Arena [de Genève] qui sont, pour certains, médiocrement écrits et qui coutent passablement chers. Et malheureusement, il y en a.
→ Lire et visionner le précédent article-vidéo sur la première de Jokers, le Grand Match au CPO
Donc je pense que c’était un bon spectacle. Nous cherchons simplement à l’améliorer sans cesse. Pour la simple et bonne raison que nous ne faisons pas de publicité pour “Jokers” mais nous comptons principalement sur le bouche-à-oreille. Et la contre-partie de ce modèle économique-ci nous pousse à jouer la séduction auprès du public qui vient nous voir. Et pour que ce public revienne le mois suivant, le fait qu’il “passe une bonne soirée” ne suffit pas. Encore faut-il qu’il ait envie de le vendre à son tour à des connaissances. Donc, économiquement, cette soirée [jeudi 9 février, ndlr] n’était pas réussie, artistiquement, nous avons eu des lacunes sur différents niveaux mais cela n’empêche pas que le public ait passé une bonne soirée. Au final, tout est question de cuisine interne.
Au delà du caractère sans cesse inédit du spectacle, l’arrivée de nouveaux jokers (à l’image de la venue d’Anaelle Tribout Dubois) aide-t-elle à l’organisation ?
Absolument pas; c’est pire que tout (rires). Évidemment, si nous alignions les quatre mêmes humoristes à chaque soirée, nous serions davantage dans la facilité. Quoi qu’encore, les improvisateurs-piliers ne sont pas toujours des valeurs de certitude ; il y a beaucoup d’humoristes que j’apprécie et dont je reconnais véritablement leur talent mais qui, parfois, passent à côté de leurs improvisations. Ce qui fait la difficulté du concept, c’est qu’il n’y a pas de codes précis, il y a des améliorations que l’on peut apporter dans certaines situations mais pour lesquelles le risque de l’imperfection est aussi recherché au final. Nous pourrions parfaitement – et simplement – préparer des répliques en amont sans le dévoiler au public, inviter sans cesse les mêmes humoristes, présenter tout le temps les mêmes séquences qui ont fait leur preuve depuis le début mais nous, organisateurs et artistes, nous nous ennuierions. Nous cherchons, nous aussi, à nous amuser. C’est là aussi qu’opère la synergie entre artistes et public; si les uns s’ennuient, les autres aussi.
Depuis la première date en septembre 2016, quelle évolution a pris le concept en sept dates ?
Il y a eu une grande évolution. Globalement, dans notre mentalité, dans les séquences présentées, dans la façon de les mener et de les préparer, de les (dé)briefer, dans la confiance, la relation et le respect que nous portons entre nous tous, il y a une différence très significative par le fait, avant tout, que nous ayons appris à nous connaître davantage. Par exemple, je n’ai jamais travaillé avec Yacine [Nemra] avant “Jokers”. J’ai eu fait de l’improvisation avec lui il y a huit ans mais je ne le connais pas en vérité. Mais c’est pourtant avec lui que j’arrive à être le plus transparent et le plus direct dans mes commentaires. Et c’est une relation très saine qui s’installe, par la force des choses, entre nous. Tout cela mène donc au fait que nous sommes un groupe d’amis où chacun a besoin de se fier, se conseiller et même critiquer sans langue de bois son compagnon. C’est pourquoi tous nos briefing ont finalement lieu dans un contexte posé et très calme.
Marina Rollman et Thomas Wiesel à la Grenette le 14 mars
Le 14 mars 2017 au Théâtre de Poche de la Grenette (21h), Marina Rollman fera sa première au Grand Match Jokers. Une soirée qui marquera également le retour de Thomas Wiesel dans la troupe. Une bonne nouvelle, tout autant qu’un défi, pour le producteur Sébastien Corthésy: « Ce sera une dynamique très intéressante car nous retrouverons ces deux stand-upers qui ne font pas – et sont surtout réputés pour ne pas faire – d’improvisation. Il va donc falloir les emmener dans des territoires inconnus tout en adaptant les séquences que nous proposons au public depuis le début car ce sont deux humoristes qui ne sont absolument pas accoutumés au genre. Donc, chaque mois, les humoristes qui prépareront la conduite des soirées – comme Blaise [Bersinger], Yacine [Nemra] ou moi-même – se livreront à de grands défis. »