Chloée Coqterre : « Dans notre brief, nous avons demandé à dépoussiérer et rajeunir notre image »

Chloée Coqterre en interview avec leMultimedia.info. © Oreste Di Cristino

La nouvelle directrice exécutive du Montreux Comedy Festival a rejoint officiellement en mai dernier toute l’équipe avec qui elle a collaboré officieusement lors des éditions précédentes. La compagne de Grégoire Furrer, le Président-fondateur, apporte son expérience internationale, notamment celle du Québec d’où elle vient, et a travaillé sur la nouvelle identité « Rire de tout » et sa communication pour l’édition de 2016.

Vous venez du Québec, une région qui fleurit de festivals et d’humoristes et vivez à Paris, une ville phare de l’humour francophone. Quel regard portez-vous sur ceux de Suisse romande ?

En effet, cela fait 12 ans que je vis à Paris. J’ai également beaucoup voyagé et collaboré sur beaucoup d’autres festivals, dont Juste pour rire où viennent des humoristes francophones et anglophones. J’ai donc un regard international sur le métier, or nous avons une façon complètement différente de produire au Québec et en France ou Suisse. La production et le style de la comédie est moins agressive dans ces deux pays qu’au Canada. Là-bas, les spectateurs d’un gala sont dans l’attente d’une prolifération de blagues pour rire toutes les dix secondes. C’est extrêmement minuté ! Si ce n’est pas le cas, ils considèrent qu’il y a un problème lors du gala. En Suisse et en France, l’humoriste peut prendre son temps, raconter une histoire et terminer son sketch avec une chute. Il faut dire qu’au Québec, le stand-up est plus répandu que les sketches qu’aiment beaucoup les Francophones d’Europe.

En quoi a consisté votre collaboration depuis que vous connaissez l’équipe du festival ?

Je travaille avec Grégoire Furrer depuis cinq ans. Nous avons planché sur sa production à Paris, où il collabore avec des artistes là-bas, et ensuite j’ai été investie dans le Montreux Comedy Festival sans en être officiellement dans l’équipe. J’ai plutôt travaillé sur le versant anglophone du festival, d’abord avec les TV Awards puis un show en anglais, les galas « Jokenation » et j’ai participé à la petite tournée aux Émirats Arabes Unis de mars dernier. Notre festival, comme tous ceux du monde, sont des bêtes très étranges car en quelques jours nous devons pouvoir organiser une quantité astronomique de choses qui vont de la billetterie aux dîners des artistes. Nous devons construire un espace éphémère chaque année, où l’on doit garder une ligne artistique, éditoriale et évoluer un peu. Comme je travaille avec l’équipe du festival depuis plus longtemps que je ne suis directrice exécutive, j’ai apporté plusieurs choses ces dernières années et c’est plutôt naturellement que l’on m’a donné le poste. Aujourd’hui, nous sommes un véritable trio de direction, où je m’occupe de la production exécutive, Jean-Luc Barbezat de la production artistique et Grégoire souhaite avoir un regard sur tout.

Précédemment, vous avez travaillé de 2003 à 2010 entre Montréal et Paris où il y a des bureaux pour le festival Juste pour Rire de Montréal. Les méthodes de travail sont-elles les mêmes à Montreux et Montréal ?

Pour commencer par une anecdote, quand j’ai commencé à travailler chez Juste pour Rire à Paris, j’étais hôtesse d’accueil et j’ai eu tous les postes. J’ai notamment longtemps été l’assistante de Gilbert Rozon (ndlr, le Président-fondateur du festival). Je ne souhaite pas comparer car il n’y a pas vraiment de plus et de moins de part et d’autre. Néanmoins, à Montreux il n’y a pas de festival off organisé dans les rues alors que c’est le cas à Montréal et la partie anglophone est la plus prestigieuse là-bas alors qu’elle est assez neuve ici. Par ailleurs, la commune de Montréal met à disposition du festival des moyens financiers plus important qu’à Montreux. Ici, la qualité des galas est exceptionnelle. Quand on invite un humoriste nigérien comme Mamane en 2015, qui nous fait voyager et rire, nous apprenons quelque chose sur l’Afrique. Il faut aussi savoir que certains sketches sont inédits, c’est-à-dire que les artistes ne les jouent pas pour leur spectacle solo. Au sein de la direction, nous nous assurons que tout est ficelé et j’ai rarement vu des galas aussi bons qu’à Montreux, or j’en ai vu beaucoup dans d’autres festivals d’humour. La préparation de ces galas est très longue et est gérée par Grégoire pour trouver les bons artistes et Jean-Luc pour la mise en scène. Toute une histoire est organisée autour d’un gala et cela demande des mois de préparation. Nous contactons généralement les humoristes en mai. Pour Thomas Wiesel, la révélation de Grégoire et Jean-Luc s’est faite tard. Ils ont senti qu’il était prêt à présenter un gala en juillet, lorsqu’ils l’ont vu à Juste pour rire. Comme pour tous les galas, nous voyons avec les présentateurs quels sont les humoristes avec lesquels ils ont des affinités artistiques communes puis nous proposons des cachets. Pendant ce temps, les présentateurs commencent à choisir un angle pour le gala. Par exemple pour le gala « Humour vers le futur », créé par Artus où il crée un personnage de lui-même, mais dans le futur. Les présentateurs proposent donc des idées et nous échangeons avec eux pour faire naître le bon sujet.

Le festival a lancé une grande campagne publicitaire. Cela a été un grand travail ?

Nous avons réuni plusieurs agences de communication pour un pitch (ndlr, concours dans le milieu de la communication) et retenu BiteSize, qui est basée à Montréal. Dans notre brief (ndlr, cahier des charges), nous avons demandé à dépoussiérer et rajeunir notre image. Or BiteSize nous a correspondu le plus. Avec eux, nous avons d’abord trouvé plusieurs pistes très intéressantes et quand ils nous ont posé les bonnes questions nous avons resserré notre discours et la signature de marque « Rire de tout » est apparue comme une évidence, après tout de même trois mois de travail (rires). Nous sommes parfaitement dans l’actualité et toutes figures que l’on a choisies (ndlr, Donald Trump, Angelina Jolie, Gandhi, le Daïla-Lama) en regardant le monde et nous disant « Qu’est-ce qui nous fait marrer en ce moment ? ».

Ndlr : Ces affiches ont dérangé des défenseurs du Dalaï-Lama et de Donald Trump, qui en ont déchiré à Lausanne et se sont plaints auprès du festival. En guise de réponse, Grégoire Furrer a déclaré mercredi 30 novembre sur les ondes de LFM qu’il était important de rire de tout en « restant dans la décence et de la grande tradition de la liberté d’expression ». Il affirme que certains politiciens locaux lui ont téléphoné pour demander des excuses publiques auprès des sympathisants du Dalaï-Lama.

Il y a une très grande présence de la marque MCF sur les réseaux sociaux, or une partie de votre travail est de connecter le festival. Êtes-vous satisfaite de l’engagement des internautes avec la marque sur le web ?

Nous sommes très contents de ce travail. Nous essayons de trouver une ligne éditoriale unique et c’est ce qui est le plus difficile pour chaque festival. Finalement, c’est complémentaire à notre campagne « Rire de tout ». Jean-Christophe Parant, notre community manager, et son stagiaire sont très bons. L’an dernier, nous avions 20 000 abonnés sur Twitter et actuellement ils sont 109 000. Sur Facebook, c’est 160 000 fans avec une portée moyenne par semaine qui varie de 500 000 et 3 millions de profils. C’est aussi très satisfaisant sur YouTube où il y 3, 5 millions de vues par mois. Nous souhaitons développer encore plus nos réseaux sociaux, et même s’orienter sur de la création vidéo destinée au web.

En quoi consiste précisément vos partenariats avec L’Illustré, Couleur 3, Le Temps et la World Radio Switzerland ?

Nous avons fait un grand deal avec le groupe Ringier qui s’est mis d’accord pour que tous leurs titres soient impliqués. C’est extraordinaire pour nous. Les clauses du partenariat comprennent généralement la même chose tous les ans : nous négocions un échange de visibilité et nous souhaitons attirer en salle des lecteurs ou auditeurs de ces titres comme ceux de la World Radio Switzerland qui nous intéressent pour notre gala en anglais.

De votre expérience, l’engouement des internautes sur les réseaux sociaux est-il plus efficace qu’une publicité (Out of Home, Spot TV, sur Facebook) pour remplir une salle ?

Oui, mais au festival, nous avons aussi des personnes très fidèles qui viennent au festival depuis des années. Ils ont besoin de cette publicité un peu conventionnelle pour savoir ce qui se passe mais le web est plus puissant. La télévision reste aussi très efficace pour notre notoriété, y compris quand elle est sur le web. C’est un média qui va changer à cause de YouTube et Netflix mais cela reste encore très important pour notre communication (ndlr, les galas ont été ou sont encore diffusés sur la RTS, France 4, TF1, Comédie +). L’affichage est important mais nous souhaitons digitaliser toujours plus et accéder au public de manière différente. Cette année, tous les humoristes vont publier sur leurs réseaux sociaux avec le « #MontreuxComedy », ce qui est une forme de publicité, et le reach sera énorme. Ils ont un intérêt à venir.

En ce qui concerne la diffusion des galas à l’étranger, vous avez déjà travaillé avec M-Net en Afrique du Sud. D’autres opérateurs TV anglophones sont intéressés ?

C’est très compliqué. Parfois, nous discutons avec la BBC, la chaîne du service public britannique et Comedy Central, la chaîne par excellence de l’humour aux États-Unis. Cette année, Ronny Chieng de Comedy Central sera présent lors de notre gala en anglais. Pour la diffusion de l’édition 2016, nous sommes en pourparlers pour M-Net et Africa Channel.

Rire de tout, c’est le thème de l’édition 2016. Pensez-vous que c’est la volonté populaire en Suisse ?

Le festival pense que l’on en a besoin. Mais rire de tout, ce n’est pas se croire au-dessus de tout le monde ! Toute chose peut devenir dérisoire quand on a du recul, et c’est là qu’interviennent les humoristes. Nous sommes un festival et devons accueillir tous les rires, que ce soit par des blagues en dessous de la ceinture, de gamines ou de l’humour noir. Nous ne sommes pas là pour juger les rires et dire s’ils sont bien ou non. Depuis que je travaille avec le festival, je n‘ai pas vu dans l’équipe de volonté de censurer qui que ce soit. La seule exception dans notre liste d’invités, ce serait probablement Dieudonné. Autrefois, c’était un humoriste qui a fait de très bonnes choses mais il a croisé les genres pour défendre une cause politique. Aujourd’hui, il est avant tout dans un combat politique et ce n’est plus un humoriste.

L’internationalisation du festival était un pari annoncé l’an dernier par M. Furrer (lire son interview de 2015). Cette année, avez-vous eu tous les humoristes anglophones que vous souhaitiez ?

Nous avons eu un seul refus d’Ari Shaffir faute de son planning qui ne collait pas au nôtre. Il était déjà venu il y a quatre ans mais cette année ce n’est pas possible. À l’exception de lui, nous accueillons tous les humoristes que l’on souhaitait ! D’ailleurs, je précise que nous ne sélectionnons pas uniquement des têtes d’affiches et privilégions les jeunes talents du moment, qui sont extrêmement bons mais moins connus. Lors du gala en anglais, « Trending Comics », notre host est Jason Goliath qui est excellent dans cet exercice et Ronny Chieng est très connu, il travaille pour le Daily Show sur Comedy Central.

Pour trouver les nouveaux talents, avez-vous beaucoup de scouts, ces professionnels du recrutement qui recherchent, évaluent et rencontrent les artistes ?

Le premier de nos scouts est Grégoire lui-même. Tous les soirs, il va voir un spectacle. C’est une grande partie du travail.  Après autant d’année dans ce métier, il a la faculté de sentir ce qu’un artiste peut devenir et il a ce point commun avec Gilbert Rozon [ndlr, le président-fondateur du festival Juste pour Rire]. Derrière, il y a bien sûr toute une équipe. Je vais voir beaucoup d’artistes mais il y a également Aude Galliou, adjointe de la direction, qui connaît tous les nouveaux talents francophones, Carolina Arriaga, notre chargée de production international, voyage pour voir tous les humoristes anglophones. Jean-Luc Barbezat, le conseiller artistique et qui a une grande carrière d’humoriste, est aussi un bon renfort. Il y a beaucoup de personnes qui s’occupent du scouting. C’est normal car c’est fondamental pour le festival et on ne peut pas laisser une seule personne s’en charger.

Où en est le projet d’un festival off ?

Cette année, nous avons le Studio Web est une partie off, certes un peu particulière. En réalité, nous souhaitons revoir les dates du festival parce que préparer un off en décembre, c’est compliqué. Actuellement, nous souhaitons que le festivalier de 2016 ait tout sur place au 2M2C (ndlr, Montreux Music & Convention Centre), et ne pas le faire sortir mais c’est aussi dommage. La météo du mois de décembre est un risque et se promener dans la ville à cette période de l’année n’est pas idéal. Nous souhaitons nous rapprocher de l’été, sans empiéter sur les dates du Jazz Festival.

Pour conclure, quels sont les humoristes que vous préférez ?

Jean-Jacques Vanier est l’humoriste français qui me fait le plus rire au monde. Il n’est pas très connu mais je n’ai jamais autant ri qu’avec lui. Et aussi avec Jean-Marc Parent, un québécois que j’adore. C’est un humoriste qui a un cœur immense. En Suisse, Thomas Wiesel (ndlr, lire son portrait) me fait hurler de rire mais Blaise Bersinger (ndlr, lire l’article sur son spectacle) a un je-ne-sais-quoi que j’adore.