Ensemble ils forment l’esprit de la trilogie “Ultrascores”, trois voyages de la Nouvelle Orléans créole à la Martinique – passant par l’Inde – spécifiant la tessiture d’une harmonie musicale. Harmonie, rythme et répétition forment le pavage d’un style redécouvert sous les notes de Christophe Chassol. Il y a peu, c’est à Pully que le musicien français a foulé les planches de l’Octogone, écran, clavier et percussion sous la main pour présenter son film-concert “Indiamore”. Le film. Rencontre.
Christophe Chassol nous parle de beaucoup de choses. Pas nécessairement par son talent – loin d’en nier la manifeste grandeur – mais surtout par sa sensibilité à l’harmonie des choses. Le rythme des choses et leur répétition. C’est bien ce triptyque-ci que l’on retrouve dans la composition et la mise en scène d’“Indiamore”, le film-concert que Chassol est venu présenter au Théâtre de l’Octogone à Pully, le 12 novembre dernier. Après deux premières dates au Musée d’ethnographique de Genève et au centre culturel Ébullition de Bulle les 10 et 11 novembre, lors desquels il a présenté le dernier volet de sa trilogie “Ultrascores” – “Big Sun” (2015) tourné en Martinique – Chassol a clôturé sa petite tournée en Suisse à Pully pour y présenter le volet intermédiaire, celui réalisé en Inde en 2013. Le premier ayant auparavant été cadré à la Nouvelle Orléans créole en 2011 (“Nola Chérie”). En parallèle, l’artiste a également sorti, le 15 juillet, son deuxième volume d’“Ultrascores” qui comprend une multitude de créations et remixes de genres divers et variés: « Ultrascore II est un vinyle que l’on a sorti en attendant de nouveaux projets. C’est un disque dans lequel on a ajouté beaucoup de remixes de différents amis artistes comme Aquaserge, Pieuvre, les beats bien dosés de Yuksek, le chant de Keren Ann ou encore David Poirier », avance-t-il en interview quatre heures avant de monter sur scène à l’Octogone. Mais, en outre, on y retrouve également une série de musiques et interludes inédites.
Un peu d’Inde à Pully
Mais c’est sur ces terres bordées d’une eau émeraude que l’artiste nous a emmené à l’Octogone samedi à Pully. Loin de ces « belles montagnes » de l’arc lémanique que le musicien et son équipe ont côtoyé lors de ce court séjour. En Inde, ce sont des cultures musicales, des mises en scène du réel, de l’harmonie que Christophe Chassol a retranscrites dans sa pellicule « Indiamore ». Mais il y a surtout eu des rencontres, qu’il a préparées en façade: « Il y avait des gens que je savais appeler à mon arrivée en Inde et que je souhaitais filmer – explique-t-il avant de poursuivre – Notamment un tabliste, Ashok Pandey, que l’on voit dans le film et Jay, son fils que l’on retrouve d’abord dans un taxi puis sur une barque sur le Grange. Ce sont des gens comme eux que j’avais prévu de voir afin qu’ils puissent nous emmener dans différents endroits. Nous en avons profité pour nous balader tout en ayant des idées en tête de ce que je souhaitais filmer. Notamment un flutiste, un magasin de musique à Calcutta, une école, de la danse, tout en préservant un peu de spontanéité dans les rencontres aussi. » De ces rencontres, de ces scènes insolites d’une culture abondante, Chassol en a idéalisé et composé tout un accompagnement mélodial qui s’est avant tout prêté à la règle de l’harmonie: « L’harmonie n’est pas pensée dans une belle composition florale. Il s’agit bien d’une harmonie musicale. C’est de cela dont on parle. Dans Indiamore, je ne parle pas nécessairement d’une esthétique visuelle mais bien des règles de l’harmonie – musicalement parlant – à savoir la superposition des notes entre elles. Et cela va de pair avec le rythme; la superposition verticale des notes qui croise le rythme horizontal de la musique. »
« Le bruit, c’est du bruit. La musique est avant tout humaine et du bruit, il est nécessaire d’en polir ses imperfections, le sculpter pour le rendre musical »
Christophe Chassol
Du bruit ambiant, du son d’une flûte, d’une discussion anodine, d’un fredonnement aux airs orientaux, d’un dosidomifa habité, d’un chant choral, Chassol en a verticalisé le son, en a superposé les notes en contrebalançant aussi bien la polyphonie des instruments qui égaient et côtoient – tout autant qu’ils accompagnent – la monophonie de ces bruitages ambiants. Mais l’artiste français n’est pas sans rappeler que l’ambiance peut également être polyphonique: « Un frigidaire peut en effet émettre plusieurs sons ou notes à la fois – avance-t-il avant de continuer – Par contre, la vrai différence que l’on pourrait faire dans ce champ-ci est bien entre les instruments monophoniques comme la flûte et les instruments polyphoniques. Le piano est, dans ce sens, bien un instrument qui permet de penser l’harmonie, puisqu’il peut jouer plusieurs notes en même temps. » Chassol humanise donc (et harmonise, abusons du terme) le naturel, le réel, transformant le bruit en un corps musical riche tout autant que complexe; l’apanage du style. « Le bruit, c’est du bruit. La musique est avant tout humaine et du bruit, il est nécessaire d’en polir ses imperfections, le sculpter pour le rendre musical », explique-t-il.
L’importance d’un visuel, la centralité de l’image
En concert, c’est toute une structure qui se prête au genre. Un écran, des claviers, une batterie et un discours, un partage des plus florissant entre les musiciens et l’écran. « Les images que l’on a filmées, je les ai montées, mélodifiées et harmonisées. Il y a une bande-son fixe dans le film et il y a un montage, fixe également, au travers duquel je peux rencontrer les différents acteurs du film. Leurs passages ont notamment été montés avec des boucles, des répétitions, des passages ont été allongés, étirés et bien sûr superposés. Et dans ce cadre, sur scène, avec Mathieu Edward à la batterie, nous accompagnons le film en y ajoutant les accords, les basses, un peu de fender-roth et du piano. Et tout se résume dans ce jeu, ce discours à trois: l’image, le clavier et la batterie. » L’image, prépondérante dans ce film-concert revête alors une saveur toute particulière puisqu’elle investit la musique dans un hermétisme audiovisuel de grand attrait: « L’image est centrale dans l’objet que l’on présente. Les personnages, les accords choisis, les lieux et surtout les points de synchronisation qu’il y a entre l’image et les notes produites font le gros du concert. Il y a beaucoup de points de synchronisation; à l’exemple de la mèche d’une chanteuse qui fait écho à une volute de basse ou de flûte ou encore ces spirales, ces mouvements cycliques au piano également, qui accompagnent des perles qui naviguent sur le Grange. Ce sont des points de synchronisation qui sont somme toute assez fascinants à regarder. Et si l’image manquait, cela ne serait pas rendu possible », conclut Christophe Chassol à quelques heures de sa nouvelle représentation d’Indiamore. En concert, en témoin de sa spontanéité musicale, Chassol terminera même sa soirée par une jam improvisée avec son batteur Mathieu Edward, triturant ensemble leur sens de synchronisation sur les planches de l’Octogone. Un sensibilité qui rejoint le but premier, celui de l’harmonisation.