« Make America Great Again », le nouveau défi de Donald Trump

Donald Trump en campagne à St-Louis dans l'État du Missouri le 11 mars 2016. © Ginosphotos | Dreamstime.com

Donald Trump a été désigné 45e Président des États-Unis mercredi matin. Il a devancé son adversaire démocrate Hillary Clinton. Une réalité surprise à laquelle l’Europe ne s’attendait pas. Alors, l’homme-candidat sera-t-il l’homme-président ? Pas sûr. Décryptage de la situation avec Claude Béglé, conseiller national PDC pour le canton de Vaud.

Gérer l’Amérique comme il gère ses entreprises ? C’est bien le dessein très ambitieux que Donald Trump a présenté dans son livre-programme « Crippled America » publié aux éditions Threshold à New York en 2015. L’un des hommes d’affaires les plus puissants au monde – avec une fortune avoisinant les 10 milliards de dollars qu’il détaille dans une déclaration de patrimoine datant de 2014 — Donald J. Trump a animé une campagne agressive et explosive lors de laquelle il ne s’est empêché de flétrir les mandats d’une classe politique dépassée et révolue. Incarnant le renouveau, le changement, le milliardaire a misé, indéniablement, sur ses talents de négociateur et de leader d’entreprise. Dans son triptyque (gagner, négocier, bénéficier) il est alors bien question de rendre à l’Amérique sa grandeur – relatif à son slogan « Make America Great Again ». Pour Claude Béglé, chef d’entreprise et conseiller national PDC pour le canton de Vaud, en revanche, les attentes sont plus nuancées: « Donald Trump ne va jamais gérer une Tour de Babel. », affirme-t-il. Autrement dit, Donald Trump n’est pas l’homme des traités complexes et multilatéraux mais son action peut porter, en un sens, à rétablir la situation économique du pays. C’est bien ce qu’il souhaite en premier lieu.

« Je suis un homme d'affaires doué de sens pratique qui a appris la chose suivante: quand on croit en quelque chose on n'arrête pas, on n'abandonne pas, et si on est jeté à terre, on se relève et on continue à se battre jusqu'à la victoire. Cela a toujours été ma stratégie durant toute ma vie et j'ai rencontré beaucoup de succès en l'appliquant. Il est important de gagner. Il est important d'être le meilleur. Je vais continuer à me battre pour mon pays jusqu'à ce qu'il soit à nouveau un grand pays. Trop de gens pensent que le rêve américain est mort mais nous pouvons le faire revivre en plus grand, en mieux et en plus fort. Mais nous devons nous y mettre dès maintenant. Nous devons nous assurer que l'Amérique recommence à gagner. »

Donald Trump
Extrait tiré de son livre-programme « L'Amérique Paralysée » aux Éditions du Rocher, 2016, p.22-23 

« Il gère une réalité qu’il connait, à l’américaine, un business, mais il aura beaucoup plus de difficulté à gérer la complexité internationale. Mais de toute évidence, ce qui a fait l’élection de Trump, ce ne sont pas tellement ses qualités personnelles mais le rejet de l’establishment américain, tout le monde est d’accord. », avoue Claude Béglé. Néanmoins, rien n’indique que les deux raisons ne soient pas imbriquées l’une à l’autre. En effet, ce qui caractérise le candidat républicain, au-delà de son discours anti-système, c’est bien sa solide carrure (et carrière) d’entrepreneur, un orateur de renom; avec des propos aussi concrets que persuasifs. Comme en convient le conseiller national PDC,  « il y a une cohérence dans cet anti-système; commencer de tout bas, se construire à la force du poignet et réussir. Et ça marche. Il y a une cohérence avec cette idée de gérer les États-Unis comme une entreprise privée. Ainsi, dans son discours – du point de vue de la rhétorique – c’est cohérent avec son évolution de vie. » Un discours – et par là, une campagne – ciblé qui dénonce le statut quo: « C’est le rejet de situations ampoulées, compliquées, un peu truquées – affirme Claude Béglé avant de poursuivre – Un équilibre du pouvoir qui, à force d’être rôdé, est perçu comme étant injuste et inique et réservé aux élites et ne correspond plus au rêve américain des personnes qui commencent tout bas pour finir très haut. » Le rêve américain, c’est ce qu’a vécu Donald aux côtés de son père au début de ses affaires, et que le désormais 45e Président des États-Unis souhaite réhabiliter par tous les moyens. C’est alors un nouveau départ – voulu et qui sera très certainement mis en place – engagé par un personnage qui, à ce niveau, représente parfaitement le “succès à l’américaine”.

« De mon père et de mon oncle, j'ai appris la valeur du travail et la valeur d'une bonne éducation. À partir de ma propre expérience, j'ai appris ce qu'il se passe quand on les réunit. [...] Savez-vous ce qui permet à un enfant de se sentir bien ? Gagner. Réussir. »

Donald Trump
Extrait tiré de son livre-programme « L'Amérique Paralysée » aux Éditions du Rocher, 2016, p.84-87 

« En disant qu’il va gérer l’Amérique comme il gère une entreprise, il rend aux Américains leur pays. “Moi qui suis venu, qui ait débuté en tant que carrossier, qui deviens propriétaire de deux garages, puis de douze, puis qui vais investir dans l’immobilier, puis des hôtels, puis des tours. Je commence n’importe où et j’aurai la possibilité de démontrer par le travail, mon engagement et mon intelligence ce que je suis capable de faire”. Disons cela: en président, il veut alors gérer l’Amérique comme chacun d’entre nous: “Américains moyens, nous rêvons de réaliser notre rêve américain”. », résume Claude Béglé. Mais est-ce vraiment possible ? « D’une certaine manière, oui », précise le conseiller national.

Entre situations complexifiées et décomplexifiées

La réussite et la prospérité du mandat de Donald Trump à la Maison Blanche relève d’un équilibre. À la fois, il s’agira de décomplexifier la réalité sur le plan interne, tout autant que celle de la politique étrangère des États-Unis. Et à vrai dire, le républicain n’est pas doté des mêmes ressources sur ces deux fronts. « Plutôt que de faire des discours qui restent verbeux, il va être beaucoup plus décideur et beaucoup plus interventionniste – affirme Claude Béglé avant de continuer – Et dans ce sens, il risque de remettre l’Amérique à flots économiquement. Il est parfaitement dans son rôle de Républicain qui rend aux entrepreneurs les rennes du pays. La prospérité de l’Amérique, c’est la somme des efforts de l’ensemble des personnes et des entrepreneurs. Il y a donc du juste. » Mais au conseiller national de rappeler une caractéristique non anodine: « Les États-Unis restent un État. C’est plus que la somme des efforts individuels. Il suffirait alors d’avoir des individus mais aucun État n’est constitué seulement par des individus. Il faut une police et la police en Amérique est plus dure que chez nous. Donc aux pouvoirs de l’entrepreneur, existent des contre-pouvoirs qui sont ceux de l’État. » Aussi, si d’un point de vue économique, la présidence Trump se présente en la personnification de la réussite outre-Atlantique, c’est un tout autre blason que le milliardaire devra endosser, notamment sur les questions sociales et de politique extérieure. C’est pourquoi, samedi matin, une interview concédée au Wall Street Journal, laisse imaginer des premières concessions concernant l’Obamacare, la législation qui ouvrit les voies d’une assurance maladie à pas moins de 22 millions de personnes aux États-Unis. Celle-ci pourrait être amendée au lieu d’être simplement et purement supprimée. Un premier retournement de programme qui creuse toujours plus la différence de posture entre Mister Trump candidate and Mister Trump President.

« Il y a des régions du monde où le recours massif à la force est nécessaire. La menace de Daech est réelle. C'est un nouveau type d'ennemi et on doit l'arrêter. Plus nous attendons pour le faire, plus cet ennemi deviendra dangereux. Nous n'avons pas besoin d'un nouveau 11 septembre pour comprendre que ces gens veulent nous tuer, et nous ne prenons pas les moyens suffisants pour les empêcher de diffuser leur forme vicieuse de terrorisme. Les gros titres et les reportages vidéo nous disent à quoi nous avons affaire: viols, kidnappings, ou bien aligner des civils pour leur couper la tête. Il y a aussi des preuves manifestes que Daech a recours à la guerre chimique. Il est temps que nous apportions une réponse sérieuse. Soit nous nous battons pour gagner, soit nous continuons à être les grands perdants. »

Donald Trump
Extrait tiré de son livre-programme « L'Amérique Paralysée » aux Éditions du Rocher, 2016, p.66 

Mais au-delà du social, c’est l’ensemble d’une situation plus que complexe que Donald Trump devra gérer au niveau international: « Il n’y a pas que l’économique, il y a le social et surtout l’ensemble de la dimension internationale. Et on ne gère pas la relation avec la Russie comme on embauche ou licencie un employé. Donc il y a là une complexité et Trump préfèrera plutôt partir sur des relations bilatérales – en l’occurrence il serait intéressant d’étudier les relations avec la Syrie – mais surtout, il sous-estime complètement les organisations multilatérales comme l’ONU qu’il considère comme une organisation oiseuse. Il affirme toutefois cela car il ne les comprend pas et cela ne peut pas se gérer comme une entreprise privée. C’est impossible car cela relève d’un équilibre mondial auquel il fait partie mais sans le dominer. Dans cette perspective, dans les négociations multilatérales, il n’apparaît que comme l’élément d’un ensemble » et par là, non plus comme un leader, avance Claude Béglé. Et dans ce domaine-ci, l’on apprend également que Trump ne sera pas à même de remettre en cause l’OTAN, le traité de l’Atlantique Nord, comme le précisait son conseiller diplomatique Walid Pharres sur France 2, jeudi soir. Dans la même lignée, dans son interview au Wall Street Journal, le futur 45e Président des États-Unis recentre ses objectifs: anéantir l’État Islamique et ne pas perdre de forces dans une guerre à outrance contre Bachar el-Assad au pouvoir en Syrie. Une information qui fait notamment suite à un courrier de Vladimir Poutine, allié du régime en Syrie. De tout cela, l’on peut alors être sûrs d’une chose, confirme Claude Béglé, « il faut différencier d’une part les discours qu’il a prononcés, puis les priorités qu’il va définir une fois en place, et enfin la complexité des sujets qu’il devra gérer – qu’il ne comprend en réalité pas. Il devra pourtant bien faire avec. Donc l’homme qui sera au pouvoir n’est certainement pas l’homme candidat ».

Iran et Cuba, des décrets présidentiels en danger ?

Barack Obama et Raúl Castro s’étaient entretenus à La Havane en mars 2016 dans l’optique historique d’un dégel entre les États-Unis et l’ancien protectorat américain, Cuba. « La Havane ne se trouve qu’à 145 km de la Floride, mais pour arriver ici nous avons dû traverser une grande distance au-dessus de barrières d’histoire et d’idéologie, des barrières de douleur et de séparation », affirmait alors Barack Obama dans son discours du 22 mars 2016 au Grand Théâtre de la capitale cubaine. Un rapprochement qui marque (ou marquait) le tournant d’une période sombre de l’histoire de la guerre froide, de la baie des cochons à la crise des Euromissiles. Entre les deux chefs d’État cependant, ne siège qu’une amitié renouvelée qui pourrait être facilement remise en cause par l’investiture du nouveau Président américain. « Je suis très inquiet car tant l’Iran que Cuba sont des décrets présidentiels et là il y a tout à parier qu’il biffera purement et simplement ce qu’a entrepris Obama », lance le conseiller national PDC. Cuba et Iran car dans le cas du second, c’est l’accord sur le nucléaire signé de concert entre l’Ayatollah Ali Khamenei et le secrétaire d’État John Kerry qui se voit remis en cause; Donald Trump le jugeant dangereux et d’aucune utilité.

« Je n'ai pas peur de critiquer le président Obama lorsqu'il se trompe. Lorsqu'il était candidat à la présidence en 2008, il a dit à juste titre: « L'Iran est une grave menace. Ce pays poursuit un programme nucléaire illégal, il soutient le terrorisme à travers la région et les milices en Irak, il menace l'existence d'Israël, et il nie l'holocauste. » Alors pourquoi a-t-il accepté, alors que l'Iran était financièrement en difficulté, un accord sur le nucléaire contribuant à libérer des milliards de dollars de capitaux permettant à l'Iran de subventionner davantage l'entreprise du terrorisme ? Cela n'a aucun sens. [...] L'Iran sera notre ennemi et une menace pour l'Israël. Le chef suprême, l'Ayatollah Khamenei, a promis qu'Israël n'existerait plus dans 25 ans. Nous devons prendre au sérieux cette menace et agir en conséquence. »

Donald Trump
Extrait tiré de son livre-programme « L'Amérique Paralysée » aux Éditions du Rocher, 2016, p.68-69 

« L’Obamacare c’est compliqué car c’est une loi. Mais dans le cas de l’Iran et de Cuba, c’est une signature et il voudra montrer des signes de force dans les premiers jours de son mandat et l’Iran sera le premier pays à en souffrir. » Pour Claude Béglé, cela n’en fait aucun doute. Néanmoins, cela pourrait se réaliser dans la douceur, affirmait Walid Pharres en direct sur France 2 jeudi soir. Selon ce dernier, faudra-t-il s’attendre à ce que Donald Trump face avant tout revoter l’accord par le Congrès, à majorité républicaine. Cela s’avèrera être l’une de ses principales actions dès la passation de pouvoir le 20 janvier 2017, tout autant qu’un renouvellement de ce que Trump appelle « la traditionnelle et solide alliance » entre les États-Unis et Israël. En d’autres termes, faudra-t-il attendre avant de voir le vrai visage de Donald Trump s’esquisser au sein de la Maison Blanche. En attendant, c’est l’incertitude.