Le record du stade de Brad Walker est enfin tombé sous la fermeté d’un autre Américain, Sam Kendricks qui a édifié la nouvelle mesure à battre jeudi soir à Athletissima. Les 5,91 mètres en saut à la perche ont été élevés d’un centimètre… De quoi s’attendre à retenter le diable le 6 juillet 2017 pour la 42e volée du meeting de Lausanne. En hauteur, pas de record mais un grand vainqueur, bâti d’une persévérance trépidante.
Concourir pour le prestige de la hauteur conforte un affection bien particulière qui s’enduit tout aussi bien d’une dimension stratégique que d’une méticulosité dans les mouvements. Que l’on décide de passer les premiers écueils ou non – à l’image d’un Renaud Lavillenie qui ne débute sa course qu’aux 5,62 mètres à la perche ou d’un Bohdan Bondarenko, seul à faire l’impasse des 2,20 mètres –, il est précisément histoire, plus qu’à tout autre science, de sa propre capacité à anticiper ses limites… et par delà-même ses attentes. À la hauteur, une règle: prendre appui sur une seule jambe, laissant théoriquement la liberté d’adopter la méthode du Fosbury-flop, le fameux rouleau dorsal prédestiné à de meilleures prouesses. Quant à la perche, il ne s’agit en principe de manier l’échalas de la meilleure exécution possible. Mais là aussi, nécessitent-elles la rapidité, la souplesse du corps, la force d’impulsion, aussi bien dans le pied que dans les bras. Dans la discipline, on évoque alors la technique française basée sur une impulsion plus en retrait impliquant une énergie dure sur le bras gauche et une seconde russe – celle de Sergueï Bubka – focalisée sur une course d’élan rapide (Renaud Lavillenie, bien que français dans l’âme, se rapproche d’une telle méthode d’approche avec un 100m qu’il parcoure en rien plus que 11,04 secondes – Bubka s’établissait, lui, à 10,60 secondes). Voilà qui forge la particularité de ces disciplines fondées, si l’on peut le dire, sur une docilité reconnue.

Record du stade pour Sam Kendricks au saut à la perche (5,92 mètres)
Au lancement des signaux internationaux, peu après 20 heures jeudi soir au stade de la Pontaise à Lausanne, c’est un début de compétition à l’allure adoucie qu’a prévalu sur le concours du saut à la perche, aussi car en entendre le médaillé de bronze aux Jeux Olympiques de Rio Sam Kendricks, c’est un meeting qui s’est déroulé « sans la moindre pression. Nous sommes tous venus à Lausanne pour perfectionner nos sauts mais avant tout pour nous divertir face à un public qui était très accueillant ». Mais aussitôt les premiers sauts effectués, l’Américain domine sa discipline avec une aisance presque déconcertante. Alors même que la moitié du tableau – parmi laquelle fait également partie le vainqueur de l’édition 2015 du meeting Pawel Wojciechowski – croule sous les 5,62 mètres, Sam Kendricks parvient à valider ses cinq premiers sauts du premier essai, y compris la barre des 5,80 mètres. Une hauteur à laquelle ne résisteront ni le champion du monde à Pékin Shawn Barber, ni même le médaillé olympique d’argent Renaud Lavillenie. C’est ainsi, qu’assuré de terminer le meeting en tête, l’Américain opère au plus logique; il fait l’impasse des 5,86 mètres pour tenter, seul et sous les acclamations d’un public très enthousiaste, les 5,92 mètres, soit un centimètre de plus que le record du stade détenu par son compatriote Brad Walker depuis 2007. Un succès qui, à défaut de marquer un combat homérique, contribue plus prosaïquement à l’excellence de la discipline en terres lausannoises. « Sauter le record du meeting n’était qu’un bonus d’une soirée qui se présentait bien. Je suis content d’avoir pu dépasser la hauteur de mon ami Brad mais à présent, il me reste encore quatre compétitions jusqu’à la fin de la saison et je viserai à chaque fois la victoire. J’ai vraiment envie de marquer une constance dans la victoire, peu importe les conditions et les imprévus de chaque soirée », affirme l’Américain avant de s’exprimer sur une possible tentative des 6,00 mètres: « Je ne me focalise pas sur ce pallier, il arrivera quand il sera temps ». De son côté, de retour mardi de Rio dans des conditions éprouvantes, Renaud Lavillenie se satisfait volontiers d’une performance qui n’a donné lieu à aucune blessure: « Je me sens vraiment à l’aise à Lausanne mais maintenant il va falloir que je retourne chez moi, à Paris, pour disputer le prochain meeting ». Un rendez-vous que le Français abordera avec un objectif final: remporter une septième couronne en Diamond League.
Mutaz Essa Barshim, fatigué, remporte le saut en hauteur (2,35 mètres)
La fatigue se comprend. Mais c’est la manière avec laquelle le Qatari en a fait abstraction jeudi soir qui impressionne le plus. En fin de course, Mutaz Barshim a résumé comme tel son état de forme: « Je suis très fatigué à ce niveau de la saison. Donc ma victoire, je la dois entièrement au public parce qu’ici, ils sont connaisseurs du saut en hauteur et ils nous encouragent beaucoup. C’est toujours un plaisir de revenir à Lausanne ». Concurrencé par l’Ukrainien Bohdan Bondarenko, double tenant du meeting en 2013 et 2014 et vainqueur de la discipline à Rabat puis Rome, les deux médaillés de Rio (respectivement argent et bronze) ont avivé l’ivresse du virage caserne lausannois, même si, pour le vice-champion du monde à Pékin, ses deux premiers essais manqués à 2,32 mètres lui ont coûté sa quatrième place à la Pontaise. Un résultat sans incidents puisqu’il lui permet de maintenir la tête de classement à la Diamond League cette saison. Mais jeudi soir dès 20h20 – et ce depuis un début de saison admirable – c’est le Britannique Robbie Grabarz qui a offert le soubresaut de concurrence dans la discipline, en éliminant avec simplicité et brio les quatre premières hauteurs (2,20; 2,25; 2,29 et 2,32 mètres) jusqu’à en approcher une « finale » sur les 2,35 mètres, pallier auquel il échouera avec l’Américain Erik Kynard et Bohdan Bondarenko. Et Mutaz Barshim n’était pas loin de les rejoindre. Après deux essais infructueux (la barre est à chaque fois tombée pour très peu), le Qatari parvient à redresser l’échelon sur un troisième saut de la dernière chance. Une performance largement applaudie par le public de la Pontaise, désireux sans doute de voir déflagrer un nouvel exploit. Mais, en fin de course, Barshim préféra s’en arrêter là; les records du stade (2,41 mètres de Bondarenko en 2013) et du monde (2,45 mètres du Cubain Javier Sotomayor de 1993) attendront encore. « Évidemment, ces records – celui du monde en particulier – occupent mon esprit, avance le vainqueur du meeting avant de poursuivre, Mais vous savez, tout doit être planifié avec précaution et méticulosité, et ce n’était pas le cas ce soir. 2016 était une année olympique et mon objectif était avant tout de décrocher une médaille. Je suis très heureux d’avoir accompli cette performance ». Dans une discipline aux mouvements complexes (entendez le saut à la Dick Fosbury), le jeune Qatari (classe 1991) se réjouit de concourir dans une classe de grands athlètes: « Ces dernières années, nous sommes beaucoup de sauteurs avec un bagage de performances très consistant. C’est pourquoi, il faut savoir se ménager et commencer à planifier la saison prochaine. Mais avant de prendre une pause, je m’engagerai sans faute au meeting de Bruxelles, dans l’optique de conclure l’année en bonne forme et sans blessure ».