Le duo Guichen a enflammé la scène du Dôme au Village du Monde de Paléo ce jeudi après-midi. Un style aussi épuré qu’électrique qui revisite la tradition bretonne à l’aune d’un éclectisme ravageur. leMultimedia.info a rencontré ces deux frères au sortir de scène.
Dañs Ar Mor. La danse de la mer. En brezhoneg, tout devient poétique. Tout le lyrisme de la langue est retenu dans sa typicité. Et autant dire que les Frères Guichen ont le sens de la romance, ils savent caresser ce vocabulaire traditionnel, tout ce folklore à la fois bien enraciné dans leurs âmes tout autant qu’évadé dans leur musique. Fred et Jean-Charles Guichen adoptent depuis bien 30 ans de scène et de musique cette contenance partagée entre le rock endiablé et le poétique brezhon. Et cela leur va plutôt bien, accompagnés de ce style qu’ils ont défendu à leurs débuts comme étant une nouvelle musique bretonne: « J’ai beaucoup d’admiration pour Astor Piazzolla et tout ce qu’il avait apporté au tango argentin – il avait certifié sa musique comme étant le nouveau tango. Et bien c’est en quelque sorte la veine que nous avons suivie en proposant une nouvelle musique bretonne. Nous la mettons, à vrai dire, à jour de façon très contemporaine et ce n’est au final que très peu folklorique« , nous confie Fred au sortir de scène. Autant dire que cette mouvance musicale a pris le temps de s’acclimater – depuis les années 1980 – dans un univers breton si coutumier. Aussi car c’est depuis l’âge de 14 ans que ces deux frères ont suscité l’émergence d’un « rock celtique » – estampillé Guichen – si agréable mais aussi si excentrique: « Il y a 30 ans, nous avons tapé du pied dans une fourmilière et on s’est fait piquer. Mais cela me paraît tout à fait logique dès lors qu’une habitude ou une structure formatée sont bousculées. Quand une nouveauté est déconnectée du conventionnel, cela fait grincer des dents. Mais aujourd’hui, c’est différent; on nous regarde autrement« , confirme Fred. Cette réalité est d’ailleurs tout autant corroborée par le public avisé du Dôme en ce jeudi après-midi. Rock ou pas, la patte des Guichen séduit et envoûte. Et c’est le principal. Considérés comme des brizous en milieu rock’n’roll et comme des rockeurs en milieu breizh, Fred et Jean-Charles ont tellement quellement appris à métisser l’ensemble de leurs pulsions frénétiques avec leurs origines parfaitement enracinées. Unique en leur genre.
En solo, en duo, en groupe
Dañs Ar Mor. Nous voilà donc engagés avec les Frères Guichen dans leur aventure au sein du Village du Monde de Paléo. Aucune entrée en matière plus sensible qu’en implorant la mer, cet océan de souvenirs et de rêves que partagent avec le public Fred et Jean-Charles. Cette sensibilité, les deux artistes ne la perdront sans doute jamais. Cette vigoureuse émotivité qui les étreint quand bien même leur fougue rockeuse prédomine sur le rite. Néanmoins, depuis que les deux frères se sont retrouvés à partager la scène ensemble, cette fibre émotionnelle s’est affermie d’un autre élan. Car, en trois décennies, Fred et Jean-Charles ont aussi bien navigué seul qu’en duo sur les eaux profondes bordant le Finistère: « Nous avons déjà participé à des groupes de quinze ou seize personnes dans des univers jazz plus ou moins celtique – avance Jean-Charles avant de poursuivre – Nous nous lançons, chacun, dans des aventures par ci et par là et nous nous nourrissons de ces expériences. Mais la musique mère du monstre Guichen, c’est les Frères Guichen« . Auteurs d’une quinzaine d’albums cumulés, les deux artistes n’ont jamais cessé de nouer ce contact biologique qui les lie. Une histoire de famille, résistante, inaltérable, artistiquement accomplie qui ne manque pas de livrer – à chaque retrouvaille sur scène – ce brin de magie qui les associe dans cette emprise aussi suave que poétique. « Nous fêtons nos trente ans de scène cette année. Nous avons commencé ensemble et nous nous retrouvons encore sur scène ensemble. Le plaisir de se retrouver est incomparable; il est vraiment particulier. C’est dans les veines. Il n’y a pas d’échange – c’est un automatisme – et c’est génétique. Nous avons sans cesse l’agréable sensation d’être tous les deux dans une bulle et de laisser le public l’attraper« , ajoute Fred. Une harmonie autant physique que psychologique qui décèle l’entière intensité familiale qui y réside. Aussi, l’on retrouve dans la nature de la famille Guichen, certains préceptes de ces musiques africaines un peu tribales dans lesquelles tous les membres de la même fratrie s’enjoignent dans un rituel dansant et festif. Une attache indéfectible qui témoigne de l’omniscience musicale résidant entre les deux frères sur scène. Une omniscience quasi parfaite les portant, après bien trente années d’étoffées carrières, à ne jouer plus que pour le plaisir, sans contrainte ni impératif liés à l’enregistrement d’un album: « Aujourd’hui, nous arrivons à une étape de notre vie où nous nous faisons plaisir. Nous ne devons plus rien prouver. Quand on a 20 ans, on veut absolument faire exploser la planète mais les volontés changent après quelques années. Et depuis que nous sommes entrés dans cette phase, le plaisir est exponentiel. Plus on prend du plaisir, plus le public en prend et plus on reprendra au retour« , argue Fred, l’accordéoniste. Désormais – et c’est inéluctable – la découverte d’un autre versant de la musique s’opère; celui de la transe. Ces convulsions inopinées transportant les artistes dans un monde somme toute encore inexploré. Un périple céleste que promettent de réaliser ensemble les Frères Guichen.
Du punk à la polska slave, le penchant alternatif du duo
De l’Écosse aux Asturies, en passant par l’île de Man et les Cornouailles sur certains arpèges, la musicalité des compositions des Frères Guichen est multiple et variée. Du nord au sud de cette culture celtique, les deux artistes ont entrepris un long pèlerinage spirituel et mélodique pour en réaffirmer, à leur sauce, les bribes incertaines de ces coutumes locales. Mais tout cela s’est fait naturellement – ou plutôt inconsciemment, instinctivement, spontanément – aussi car les deux frères sortent d’une génération – que l’on nommait dans les années 1980 – d’alternatifs. Du rock au punk, des Pink Floyd aux Sex Pistols, Fred et Jean-Charles Guichen ont souvent fait preuve de syncrétisme, tout en démontrant adoration et profond respect pour les airs traditionnels de leur région: « Tous les groupes de ces cinquante dernières années ont nourri notre inspiration – débute Fred avant de continuer – Même si la Bretagne reste notre nourrice, l’ensemble de nos compositions ont trait à de nombreuses chansons du demi-siècle passé« . Ainsi, de l’Irlande aux pays slaves, de la musique classique aux Deep Purple, de Paco De Lucia à John McLaughlin, les Frères Guichen se sont appréciablement mis au diapason de l’éclectisme. Un éclectisme tout autant primesautier qu’inspiré des nombreux voyages réalisés de par le monde: « Ce n’est pas rare d’avoir composé nos chansons à la manière d’un enfant pleurant les terres d’un pays qu’il délaisse – débute le guitariste Jean-Charles avant de poursuivre – Nous avons été dans des pays comme le Cambodge, Taïwan, le Pakistan, l’Indonésie, Tahiti, les États-Unis. Chacun de ces voyages a créé une émotion. Seulement, au lieu d’en parler, on va la jouer« . Sans oublier les nombreuses couleurs locales bretonnes, inspirées cette fois-ci par les grands artisans de la région, tels Alan Stivell (au Paléo dimanche 24 juillet 2016 à 19 heures), Denez (présent au Paléo ce jeudi soir à 20 heures) ou encore Dan Ar Braz: « Denez est de notre génération donc sa position à notre égard est un peu différente. Alan Stivell, en revanche, a beaucoup compté dans ma carrière. J’ai moi-même collaboré en 2000 avec lui dans un album qui s’appelle Back To Breizh », confirme Jean-Charles. Donc qu’en est-il de ce « rock celtique » ? est-ce un terme approprié pour ce duo si enrichi ? « Sincèrement, je ne me considère pas particulièrement comme un rockeur – débute Fred avant de conclure – Je suis autant punk que classique et j’ai une passion pour la mélodie qui guide l’ensemble de mes sens« .