Le Montreux Jazz Festival a tiré sa 50e révérence ce samedi soir avec une programmation des plus tentaculaires de sa quinzaine. Les 50 ans de Zappa, suivis des Deep Purple au Stravinski, couplés par une soirée électro auréolée au Lab, Montreux a tiré le fier bilan de sa 50e édition.
« Don’t Smoke On the Water« , au sens propre comme au figuré. Ce clin d’œil – écriteau éloquent – autant écologique qu’historique, le Montreux Jazz Festival l’a placardé aux quatre coins du site des festivités et aux abords des stands lacustres. Une manière de rester fidèles à eux-mêmes, en attente de la réception des Deep Purple au Stravinski pour cette soirée de clôture foisonnante. Ces montagnes bleues, ce soleil ardent, cette verdure éclatante – ce petit coin de Monte Carlo – s’endort. Sur les rives du Léman, les festivités prennent fin. Ce raout de toutes les surprises s’éteint pour son année de jubilé. Ce Montreux Jazz Festival s’est conclu ce samedi sur une note positive et chaleureuse. Nous nous remémorons le set épique d’Anohni, suivi de l’électro endiablé du groupe Air, du rap vécu d’A$AP Ferg, de Ty Dolla $ign et Young Thug, de la voix angélique d’Aurora Aksnes et des ambiances tantôt mystérieuse qu’enchantée de RY X et M83, du flamboyant scénique de Jean-Michel Jarre, du retour du métal à Montreux avec Slayer et des Mesdames et Messieurs du jazz (nommés Lisa Simone, Charles Lloyd, Alexander Monty, Quincy Jones, Neil Young et le reste d’une cossue programmation). Et puis, du final aux platines; cette discothèque insomniaque des DJ du Lab. Voilà que ce coin de paradis salue l’édition-anniversaire de son festival de jazz; sa stature sur le Parc de Vernex, ses catacombes fantasmagoriques à la Rock Cave, son poignant Strobe Klub, ses workshops animés et ses compétitions prometteuses, ce bras éducatif du Montreux Jazz Festival. C’est comme tel que Mathieu Jaton, directeur général de la manifestation, présente, sans perdre le sourire, les réussites de cette édition « que l’on attendait tous » lors de la conférence de presse-bilan vendredi après-midi. Avec quelques 240’000 visiteurs sur le site du festival (95’000 billets vendus et 11 sold-out) sur les 16 jours de concert, l’événement se stabilise dans une moyenne encourageante, aussi car Montreux est avant tout un lieu de vacances pour les artistes comme pour les festivaliers. Et quand bien même la pluie s’en mêle, les plus passionnés répondent présents – « Il faudra quand même penser à couvrir le public du « Music in the Park » pour l’année prochaine« , prévoit toutefois Mathieu Jaton. Au final, un bilan positif et juste pour ce vieux bébé de Claude Nobs qui ne cesse de croître au gré de ses plus fidèles admirateurs.
« Ce sera l’apothéose samedi soir au Lab »
Mathieu Jaton, lors de la conférence de presse la veille
DJing non-stop pour la dernière programmation au Lab de cette année. À l’image du festival somme toute; cette foule continue qui traverse le Quai de Vernex, longeant l’imposant 2M2C de Montreux, cette perpétuelle animation colorée qui vivifie l’entière Riviera, cette eau paisible qui sommeille aux côtés des festivaliers. Finalement, point besoin de Charles Bradley et Van Morrison pour que Montreux soit éternelle; sa tonique vitalité et l’enjouement de sa population s’en chargent déjà pleinement. Aussi, au rythme de ses légendes et surtout de sa légendaire histoire, entre les chalets – véritables galeries d’ornements autant bien musicaux que décoratifs – et le Stravinski, en passant par le Casino, les Montreusiens sont bercés et friands de cette fête totale. Et c’est aux platines, que le Lab a tiré sa révérence en 2016 en compagnie de Laolu, Apollonia, Jamie Jones et Laurent Garnier. Définitivement: More than Jazz.
Une expérience humaine autant que terrestre au Lab pour la dernière
La messe électro a enfiévré son public au Lab. Sur les premières notes de Laolu, sur cette scène épurée au service des platines, le public entre sans prémisses dans cette vague dansante, entraînante, cette boîte à musique aux basses affolées et aux scratches endiablés. Est-ce une planète, un globule, un cercle vicieux ? l’arrière-fond visuel de la scène parsème le doute dans la salle – cette aversion pour les angles, la droiture des lignes, des choses, la rigidité de cette réalité abrupte. L’électro psychédélique du DJ genevois (d’origine nigériane, précisons-le) est porteur de sens; il enivre pour désarmer l’indélicatesse des normes. Cette rotonde musicale et visuelle appelle à une solidarité pugnace. Loin de tourner en rond, le Lab tourne tout court dans cette chorégraphie grisante. Elle bascule dans un monde, une sphère, une Terre qui, elle, tourne rond. Une énigmatique solution pour une problématique abstraite. Sous des musiques aux tonalités primitives – ces djembés remastérisés – cette musicalité presque chamane, cette transe, ce voyage initiatique, Laolu redécouvre les principes de la danse tout autant que ses propres origines africaines. Murmures emplis d’adrénaline, les musiques de Laolu revêtent une dimension bien aérienne – stratosphérique – amenant les festivaliers de ce dernier soir à s’élever du parquet du Montreux Jazz Lab dans des soubresauts effrénés et inlassablement sensuels. C’est bel et bien dans cette brume de lumière, cet halo obscur que Laolu a figé son harmonie musicale. Et puis, il y a eu cette impression d’une musique plus hérissée, de ces courbes qui se durcissent, se dressent, de ces droites confuses qui parcouraient les visages dans la salle, de ce masque lumineux, subitement apparu, qui condamnait – ou guidait – la parole de cette jeune femme. Bref. Apollonia n’a eu besoin que de quelques minutes pour nous ramener sur le terre-plein montreusien. Une électronique qui ancre au sol, dans un tempo défini, rigide mais tout autant absorbant. C’est de par une épaisse fumée de lumière et appels musicaux variés que les trois producteurs Shonky, Dan Ghenacia et Dyed Soundorom décrassent le moindre recoin du Lab. De par cette redondance hypnotique, que les trois DJ épurent les consciences et les physiques. Et c’est peu dire. Marquer les esprits, c’est le but et la finalité d’Apollonia.

Non, décidément l’électro n’est pas une musique sans à priori – en accorde à Jean-Michel Jarre – car, aérien ou souterrain, le style et son militantisme créatif enjouent les enjeux de la postérité. Dirons-nous, somme toute, que l’acharnement en pesanteur d’Apollonia défend des idées plus terre-à-terre – une autre fin du monde est possible – que Laolu s’autorise au rêve idéaliste dans un penchant plus traditionnel – une autre fin du monde est possible. Et où en est alors Jamie Jones ? Il creuse (le vice) plus loin, il invoque les séismes, revisite les abîmes de cette Terre. Voilà une réalité qui s’accepte, se conçoit. Aussi, dans ce « Late Night Show », fait à fait que les battues s’enchaînent, que les heures défilent et les experts aux vinyles s’ensuivent, la mesure était à l’exploration de la profondeur, à la prospection des vibrations des origines terrestres, de cette batterie des plaques tectoniques, de la fissure du manteau terrestre, ce gouffre intérieur. Un genre qui s’y prête volontiers dans un Lab propice aux expériences insolites. Une expérience unique qui s’avéra céleste à l’apparition attendue de la techno française de Laurent Garnier. Pour un dernier set de deux heures et demies, le Boulonnais a emmené le Lab dans une autre dimension, celle de la renaissance, au périple d’un nouveau monde. Laurent sait instaurer le suspense dans sa musique, temporiser les rythmes. Il a offert un final des plus célestes à un festival déjà stellaire qui peut désormais – le jubilé achevé – se tourner vers son futur.