Glen Matlock a fait danser, a exalté son fidèle public, a fêté les 40 ans du punk dans l’un des endroits les plus insolites du Montreux Jazz Festival. Down to the Rock Cave, le bassiste des légendaires Sex Pistols a plu, seul à sa guitare en acoustique. De quoi vibrer ! Chronique.
Pour les uns, c’est une légende millésimée du punk, pour les autres, un simple génie qui a quitté le navire des Sex Pistols avant qu’il n’atteigne son apogée médiatique. Peu importe. Au final, Glen Matlock est le témoin de sa génération, figure incontestée du genre musical de son temps. Dans les années 1970, c’est ce rock n’ roll nouveau, démesuré, incontrôlé qui voit le jour. Ce punk effréné qui désarme les plus réticents et sourit aux adversaires de l’ordre établi. Un punk qui claustre les craintes et les appréhensions. À la fin des seventies, c’est bel et bien ce nouveau mouvement – britannique avant son expansion – qui déchaîne les foules et sourit aux plus fougueux. Des fougueux, parmi lesquels apparaît, en tête d’affiche, Glen Matlock, ce chanteur exalté, surdoué de ce groupe d’amis-ennemis apprécié, duquel il a composé la très grande majorité des titres tels que Anarchy in the UK, God Save the Queen et Pretty Vacant. Mais Glen est un chanteur, un artiste comme un autre. Un bassiste qui refuse de se cataloguer dans cette assemblée insulaire de musiciens hors norme car Glen, justement, n’est pas hors norme. Il n’est pas non plus spectaculaire; il est et a tout ce qu’il faut d’un grand bonhomme. Ce grand bonhomme des Sex Pistols, certes. Son âme débonnaire compose par ailleurs la recette de son admiration. Cette suavité électrique dans sa voix qui réveille énergétiquement les esprits de la Rock Cave à Montreux. Et c’est magique ! En acoustique – ce punk revisité avec tranquillité et puissance maîtrisée – Glen a fêté, à 60 ans et en solo, les 40 ans du punk à la 50e édition du Montreux Jazz Festival; si cela n’est pas anodin ! Toute une histoire narrée dans la résonance de sa guitare qui en dit long sur la nature du personnage. Cet humble artiste, proche de son public et de sa passion. Punk certes. Mais que l’on idolâtre les Pistols, cela ne fait rien. Glen Matlock a accepté, avec les années, qu’on le considère encore et indéfiniment comme le bassiste historique de la bande. Car si Glen Matlock vient à Montreux, c’est bel et bien le Glen Matlock des Sex Pistols qui vient à Montreux. Pas autrement.

Oui Monsieur, Glen Matlock ivre de ses 40 ans de punk dans les jambes, seul à sa guitare, un mardi soir dans ce que Montreux a communément appelé sa cave à rock. Insolite, et pourtant bien réel. Car c’est à sa guitare que le bassiste de ce groupe fameux – comment déjà ? – a redécouvert les sonorités d’un genre musical bien trop érodé. Oui Monsieur, le voilà celui qui a défié le vent de la Pistolmania et s’est démarqué, pour sa première visite en Suisse il y a maintenant quelques décennies, aux côtés d’Iggy Pop, de Johnny Thunders, des Damned avant de s’investir dans l’aventure des Philistines. Oui Monsieur, le voilà le jeune homme attendri par les tendres paroles de Jacques Brel – parce que parfois les mots valent plus que les belles musiques. Aussi parce qu’à Montreux, pour Glen Matlock le punk a souvent rythmé en compagnie de la poésie. Avec son titre Burning Sounds, l’invocation des cris du cœurs était explicite. Plus un mot, plus un bruit, l’assistance a laissé se dévoiler tous les sentiments profonds enfouis au plus profondément de leur être. Le voilà le vrai anniversaire du punk; avec Glen Matlock l’entière génération des seventies a rêvé, a voyagé… disons-le: a plané. Oui Monsieur. Il y a eu tout cela à la Rock Cave mardi soir. Un spectacle à inscrire dans le diptyque de ce souterrain; provocateur sans l’être, rebelle sans l’être, violent sans l’être, punk sans l’être finalement. Car il y a 40 ans, on chantait n’importe quoi, pourvu que le son et les paroles soient durs, on jouait tant que possible de cette guitare enflammée, pourvu qu’on en jouât mal.
« L’énergie est restée la même qu’aux temps où ces mômes apprenaient à cracher par terre »
Mais l’énergie, elle, est restée la même qu’aux temps où ces mômes commençaient – apprenaient – à cracher par terre. En moins d’un demi-siècle, le punk a fondamentalement revu ses principes – ou ses origines – dans un constat moins révolutionnaire des années 1970 mais dans une veine toujours plus anarchiste. À l’image du groupe fribourgeois Tar Queens, en concert dans cette même Rock Cave mardi 5 juillet 2016, le punk d’autres temps se greffe sur des styles plus ou moins conventionnels. Cette jeune bande fribourgeoise en a revisité les riffs, véritables ostinatos de la musicographie des vieilles années (blues, jazz des années 1920) qui perdure de nos jours chez les rockeurs les plus ardus. Les styles s’affinent – quand même – dans un genre beaucoup plus épuré qu’il y a voilà quatre décennies, qu’il y a voilà une éternité. C’est indéniable donc qu’au fil des années – Gogol Premier, ce papunk en témoin fidèle – les influences se façonnent et le punk se divise dans ses différentes tendances: les fidèles à l’anglo-saxonne, les autres aux influences redécouvertes du Vieux Continent. Et Glen Matlock, cet éternel – excuse me sir – Sex Pistols, a plongé pieds et bras liés dans le bain de ces deux courants car, en acoustique, les imperfections disparaissent, l’esprit reste. Même dans ces battues à quatre temps, dans ce rythme effréné au gré des battements de main du public. Même dans ce God Save The Queen retentissant à la Rock Cave; ce God Save The Queen des Matlock et Lydon. Même lors de cet hymne refréné qui implore un futur inexistant. Même dans les souillures de ces musiques de vieux boutefeux. Même ici et là, à la Rock Cave. Toutes les malfaçons disparaissent mais seuls les vrais restent, diront-ils. Le punk, c’est sans doute cela.