MJF: L’éclectisme de Jean-Michel Jarre fascine le monde de l’électronique

Jean Michel Jarre au Montreux Jazz Festival. © 2016 FFJM Lionel Flusin

La figure incontestée de l’électronique française et internationale depuis 40 ans, Jean-Michel Jarre a fait escale au Montreux Jazz Festival ce lundi 11 juillet pour y présenter la sortie du nouveau volume, fraîchement sorti, de sa collection Electronica. Mais plus qu’une musique enivrante, c’est un décor et une animation enflammés qui ont captivé le public de l’Auditorium Stravinski lors de cette onzième soirée du festival.

Que dire de Jean-Michel Jarre sinon que son électro décoiffant admet toute une dimension engagée ? Car nul n’osera démentir au sortir de l’Auditorium Stravinski que la solide âme et le touché raffiné de Jean-Michel Jarre ait quelque chose – un rien peut-être, une extravagance sans doute – de militant. Mais aucun des discours prononcés par l’artiste à Montreux ne se prête à la propagande; voilà tout l’atticisme qui réside dans son langage. Le vrai militantisme est en réalité dissimulé, acté dans une création artistique peaufinée et galvanisante. Aussi, le réel atout du militantisme réside en sa capacité inhérente à faire bouger les foules, à séduire un public d’accoutumée averti et somme toute conquis. Voilà donc que la musique progressive de Jean-Michel Jarre, cet électro d’un genre nouveau, new age, space music, chill out, retient tout l’engagement qu’il comporte. C’est bien au maniement des touches de son piano – et de son orgue – plus que par l’enjouement du synthétiseur que l’esprit vrai apparaît. L’électronique subvient plus tard aux besoins élargis de cette musique organique; elle accentue les traits des revendications et des quérulences, renforce et intensifie les doléances des plus démunis. L’électronique se prête à tout cela: à la diffusion muette des idées et des convictions. Cette technologie qui domine les mots, réfrène les timidités, maîtrise les sentiments et sursoit la démesure. Il n’est finalement jamais d’excès dans ce style novateur. Aussi car les cris du cœur y restent justes, légitimes, raisonnables, honnêtes, impartiaux et souvent vénérables. Ce souvent qui s’arroge les déterminismes mais qui ne tait nullement la réalité. L’électro, sauce Jarre, enjoint alors toute cette évidence. Mais attention ! Jean-Michel Jarre est également le maître de la feintise; à implorations raisonnables résonne une montagne d’effets spéciaux. À la présentation de ses deux volumes Electronica au Stravinski ce lundi 11 juillet, autant dire que l’artiste n’a pas lésiné sur le visuel. À coups d’animations laserisées et de mirages technologiques, Jean-Michel Jarre nourrit toujours plus la prodigalité de son spectacle musical. Une touche qui lui est propre, d’autant plus lissée dans le travail de cinq années qui lui ont servi à l’achèvement de cet intense projet.

Electronica, deux volumes pour une composition insolite

Le travail de Jean-Michel Jarre est, semble-t-il, unique. Et dans le sillage de son talent remarquable, le double volume Electronica (The Time Machine et The Heart of Noise) marque l’initialité de son renouveau. Une invitation instinctive en ce 50e Montreux Jazz Festival estampillé sous le signe de la redécouverte des millésimes, parmi lesquels Jean-Michel Jarre en fait dûment partie. S’engageant dans une tournée internationale d’un an et demi, l’artiste a retravaillé une scénographie déjà bien chargée – même si les concepts scéniques sont modulables selon les scènes. En milieu fermé – marque de fabrique du regretté Claude Nobs – les effets lumineux se voient stimulés et les lasers dopés par le cloisonnement des murs du Montreux Music and Convention Center (2M2C). Un visuel tridimensionnel appartenant pleinement à l’orchestration, aussi parce que le Lyonnais sait pertinemment que son public attend beaucoup de la scène. Tout comme il en était de rigueur au concert du groupe Air (qui a par ailleurs contribué à ce double achèvement collaboratif qu’est Electronica), les attentes visuelles au direct sont revalorisées. C’est ainsi que Jean-Michel Jarre a su enrichir son scénique d’une pointe de dramaturgie toute particulière. En ressort, au final, une réadaptation théâtralisée de son double album qui met en lumière toute la bouffissure du style. Car force est de constater que le maestro de l’électronique est un sculpteur établi des effets spéciaux. Dissimulés derrière les rideaux lumineux – de cette électronique banalisée au profit d’un visuel multicolore – Jean-Michel Jarre et ses partenaires de scène (Claud Samaud et Stéphane Gervais au clavier et à la batterie électronique) ont permis à ce scénique abondant de quasiment prendre le pas sur la musique. Et c’en fut presque dommage jusqu’à l’apparition surprise d’un acteur loin d’être inconnu du grand public: Edward Snowden, auteur des révélations sur les programmes de surveillance de masse américains et britanniques, apparaissant serein et déterminé au premier plan sur les rideaux lumineux de la scène. Issu du second opus The Heart of Noise, sorti le 6 mai dernier, le titre Exit – que l’ancien agent de la CIA et de la NSA cosigne – témoigne de l’éclectisme certain de cette nouvelle collection Electronica extrêmement inspirée de Jean-Michel Jarre. Un véritable fantasme avec différents artistes – de tous bords et de toutes origines – qui vaut bien tous les spots étincelants de la Terre.

Jean Michel Jarre derrière son rideau de lumière en début de concert au Montreux Jazz Festival. © Lionel Flusin
Jean Michel Jarre derrière son rideau de lumière en début de concert au Montreux Jazz Festival. © Lionel Flusin

Au croisement des horizons

C’est lors d’un voyage à Moscou que les deux hommes se rencontrent; Jean-Michel Jarre – volontariste sur le coup – éclaire son génie, innove et instigue à toujours plus de malice dans son univers musical inouï. On y perçoit parfaitement tout le militantisme de l’électro du parrain de la French Touch car, teinté par les paroles engagées d’Edward Snowden, le morceau Exit séduit inexorablement l’assistance du Stravinski lancée dans une vague d’applaudissements. Car chacun peut sortir de son carcan quotidien, loin de cette technologie malsaine et irascible asservissant l’ensemble d’une population sous le diktat de la surveillance de masse. Et c’est dans ce projet-ci que Jean-Michel Jarre éprouve le besoin d’affirmer que la liberté ne souffre d’aucune entrave; une démonstration réussie à la sortie toute récente d’Electronica. D’ailleurs, cette nouvelle tournée affiche tout aussi l’intégration rénovée de précédents opus tels qu’Oxygène (1976) et Rendez-vous (1986). Et d’ailleurs ce mélange d’ancien avec le nouveau, ce croisement des horizons, est parfois rendu visible. Après avoir proposé une série de titres provenant du nouveau recueil The Heart of Noise, comme Circus ou encore Brick England, lors desquels Jean-Michel Jarre caresse soigneusement sa guitare, apparaît subitement une ambiance foncièrement plus mystérieuse – à la considérer tout aussi ténébreuse – avec des plages de l’album Équinoxe (1978), autre production revisitée à l’occasion du périple musical de Jean-Michel Jarre. Un décor pleinement suggéré par l’artiste français qui aime s’adonner à ce genre de soubresauts entre un passé remis au goût du jour et un présent avant-gardiste tenant compte des exploits antérieurs. Et dans ce croisement des horizons, ne sommes-nous jamais au bout de nos surprises; en fin de set, Jean-Michel Jarre sort le grand jeu. Une touche finale pour un final touchant. Interprétant deux de ses morceaux – issus du volume 1 The Time Machine – le titre du même nom et Stardust (musique en collaboration avec le Néerlandais Armin van Buuren), le Lyonnais engage d’abord l’atout de sa harpe laser – véritable joujou à sensation – avant de déchaîner l’ensemble de son attirail scénique et lasérisé pour un atterrissage ébouriffant sur les planches de l’Auditorium Stravinski. Et de ce fait, une seule phrase à retenir de l’apparition de Jean-Michel Jarre au 50e Montreux Jazz Festival: « L’éclectisme de ce festival est dû à la touche prépondérante de son fondateur Claude Nobs ». Tous les deux, maîtres de la méthode, la présence de la figure de l’électronique française était alors incontestable en cette année de jubilé.