Soirée rap au Lab. Rap historique, américain, rude, mais porteur de sens. Enfants des Etats-Unis, A$AP Ferg, Ty Dolla $ign et Young Thug ont distillé leur pluralisme musical tout au long de la soirée du 4 juillet dans cette salle, autrement perçue laboratoire. Lab car ces trois talents appartiennent à la relève talentueuse des prédécesseurs du genre tels Tupac Shakur, André 3000 ou encore The Notorious B.I.G. Retour sur une soirée riche au Lab.
Une before bien rôdée ; une salle éveillée, apprêtée, à l’affût de la moindre vibration. Le public jeune du Montreux Jazz Lab a laissé éclater sa joie à l’apparition sur scène du DJ du Queens, TJ Mizell. Une totale mise en abyme pensée et contrôlée du rap proposé tout au long de la soirée. Aux platines, de sa voix saccadée, le New-Yorkais encense l’assistance du Lab, déchaine le remous de la foule, mains levées et conviction atteinte d’agiter l’âme avertie de ce public connaisseur. Car nul n’est néophyte à Montreux, pour le moins pas au Lab ce lundi soir. Face à ce groove d’un autre genre, l’entière soirée se nappe d’un esprit qui domine les frontières du jazz. Une instrumentation anémiée sur les planches pondérée par une contribution torrentueuse de l’entière salle ; un accolement vocal comme il en est de rigueur dans ces ribouldingues de rap. N’en ressort-il que le hip-hop n’apparaisse telle la musique la plus rassembleuse, dans son culte de la proteste, dans cet imaginaire d’une société autre, autre que ce monde supposé de violence et de vengeance. L’héritage du rap afro-américain des quartiers défavorisés de New-York fait école dans son discernement pacifique et artistique. C’est d’ailleurs à Hamilton Heights, cette zone réputée d’Harlem qu’A$AP Ferg se plonge dans l’univers de cette musicalité convulsive. Un art qui le distingue de ses précédents choix mais pour lequel il en fait valoir toute sa distinction. Depuis 2007, la (d’ores et déjà) référence new-yorkaise se distingue sous sa nouvelle cape ; le vent le portant jusqu’au Montreux Jazz Festival cette année en ouverture d’une soirée qui laisse place également à deux de ses contemporains : Ty Dolla $ign et Young Thug – en remplacement de Future, initialement programmé. Le style arbore toujours la même cadence rythmée, part du feuilleton naissant de ces nouvelles figures du rap américain. Accompagné sur scène – en Back Vocals – par son compère d’Harlem, Marty Baller, A$AP Ferg a définitivement et insatiablement emporté l’assistance du Montreux Jazz Lab dans les rues évasées de la culture afro-américaine, près des quartiers historiques – les autrefois ghettos – de Manhattan. On y retrouve sensiblement la richesse des opportunités galvaudée, de cette tentation de réussite assis sur les escaliers escarpés d’Harlem ; toute cette envie profonde de lutter pour la valeur de sa propre identité – Cause you’re missing opportunities. Dans l’extrait abrasif de son titre « Strive », A$AP Ferg accélère la cadence de ses propos et fustige l’atonie. Une manière réglée de communiquer – de se donner les moyens – face à l’adversité de la réalité. Une réalité que Darold Ferguson, de son vrai nom, nie et combat tout au long de son nouvel album, « Always Strive & Prosper », sorti le 22 avril 2016. Au Lab, A$AP Ferg conclut par ailleurs son set sur un de ses titres les plus prospères de son album, « Swipe Life » ; en parfaite transition avec l’arrivée de Ty Dolla $ign sur les planches montreusiennes.
Ty Dolla $ign, entre persévérance et ésotérisme
Le Californien apparaît en star confirmée à Montreux, à 21h30, heure où les plus aguerris du style ont tous cultivé leurs attentes. Précédé, un quart d’heure plus tôt aux platines par Dre Sinata, Ty Dolla $ign a flatté ses rêves de gosse. Avec son premier titre « Stand For », le rappeur et producteur basé à Los Angeles a invité à la persévérance. À vrai dire, à la manière d’un artiste qu’il est – If you believe in somethin’, then stand for it. La révélation depuis 2007 – 2011, pour la sortie de son premier single – peut toutefois se targuer de nombreuses collaborations avec des artistes de sa haute trempe, l’ensemble de la fraternité du hip-hop américain et même plus loin. D’ailleurs, après s’être illustré quelques secondes à la basse sur les planches du Lab, l’artiste au joint et à la bière s’est engagé dans un solo sur une, même deux musicalités bien connues qui ne sont autre que la trap de Major Lazer : la désormais connue « Lean On » et « Boom » sur lequel titre il a collaboré à sa sortie en 2015. Mais Ty Dolla $ign y a aussi merveilleusement illustré une belle partie de sa polyvalence. Après l’apparition de son acolyte Tee Lee 4800 Newman, l’artiste californien a appelé à une solennité accentuée auprès du public, à l’entame de son morceau « Or Nah », son deuxième single sorti le 7 janvier 2014. Qui avec une allumette, qui avec la mécanique de son briquet, qui avec le flash de son téléphone portable – chacun à sa disposition – contribue à créer ce nuage de lumière planant sur les têtes du Montreux Jazz Lab. L’acuité du son en est profondément ressentie, le mystère de celui-ci indéchiffré. Dans le sombre de sa prestation, on discerne pleinement – et on apprécie surtout – les changements de rythmes réussis par Ty. En nous embarquant, à point nommé, dans ce tunnel fuligineux et profond, l’artiste parvient à apporter une pointe d’ésotérisme dans l’éclat de sa prestation. Le tout dans une convivialité exacerbée à l’image de sa scène finale – entouré de supportrices du public – lors de laquelle il interprète, sous les lourds tons punk des années 1980, son morceau « Blasé » (2015), dont l’éloquence même du titre renvoie à la réalité d’une vie bien frénétique.
« Slime Season », l’obsession obsessionnelle de Young Thug
Succédant sur scène à son compère de Los Angeles – à nouveau, même chant, même refrain – avec Bryan Simmons en DJ et Lil Duke en accompagnement vocal, Young Thug avive toute sa maestria en final de soirée au Montreux Jazz Lab. La révélation depuis 2011 est venue présenter à Montreux – et tout au long de sa tournée européenne – le troisième et dernier volet de sa série (obsessionnelle) de compilations « Slime Season ». Somme toute, délectons-nous de toute la « viscosité » que l’entier talent, reconnu et précoce, de Young Thug souhaite nous faire découvrir au travers du tour d’horizon de son répertoire d’ores et déjà bien fourni. Tout est à découvrir chez ce jeune artiste de 24 ans : une nébuleuse gluante ? un prodige trépident ? une collection musicale époustouflante ? Un peu de tout cela réside dans le bagage artistique du rappeur d’Atlanta qui n’hésite absolument plus à explorer les moindres recoins de son étendue musicographique. Toute une partition riche et étoffée dont ne peut que s’en enorgueillir l’artiste. Et le public du Lab aussi.