MJF: Le duo Air entre psychédélisme et rêverie

Air au Montreux Jazz Festival. © 2016 FFJM Lionel Flusin

Après la sensibilisation, l’évasion. Le duo Air de Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin ont succédé à l’inusité show d’Antony Hegarty à l’Auditorium Stravinski pour l’ouverture du 50e Montreux Jazz Festival. Bien au-delà du jazz, de leur indéniable « French Touch », c’est l’électronique qui prévaut sur les planches du 2M2C. L’heure est alors à l’escapade aérienne dans cette bulle de refuge musicale.

Une touche de Versailles pour inaugurer l’Auditorium Stravinski. Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin n’ont, à vrai dire, pas dépaysé le public du Stravinski accompagnés de leurs guitares, leurs claviers et leurs synthétiseurs. Artistes phare de ladite « French Touch », Air se démarque avant tout par leur style bien particulier, participant à l’élaboration d’un genre à part. Tout du moins, le duo reste ancré dans une musique très électronique embrassant la pop et le rock psychédélique à coups de riffs et de vocodeurs. Des ostinatos englobés dans une identité qui n’est nulle autre que celle du lâcher-prise. À Montreux, Jean-Benoît et Nicolas nous ont emmenés de pied en cap dans leur univers saisissant. Au Stravinski, nous avons embarqué dans le train du psychédélisme, celui de l’évasion, somme toute apaisée mais irrationnelle. Ce voyage qui débute nous replonge dans un passé chargé; ces vieilles années musicales empreintes de baguenaudes. Nous nous retrouvons, à cet égard, face à une locomotive ancienne, à vapeur: dynamique et circulaire comme celles qui sillonnaient la ferraille rouillée d’après-guerre. La bielle motrice de la machine engage le mouvement, la contre-manivelle soutient le va-et-vient de la crosse articulée; un ensemble de mécanique qui, autrefois, permettait l’avancement certain de la locomotive jusqu’à destination. Ce mouvement est-il bien répétitif, cyclique, itératif à l’image des balancements bouillonnants de Nicolas Godin sur son banjo et son shamisen; à l’image de l’intensité persévérante de Jean-Benoît Dunckel et de Vincent Taurelle sur leur synthé; à l’image de la transe passionnée du nouveau batteur Louis Delorme. Cette perambulation, le duo Air l’expérimente depuis près de vingt ans. Et même s’ils reviennent à Montreux de leur propre volonté après une pause de six années, cette tournée de best-of n’a rien perdu de son charme. Aussi parce que le set n’est composé que des classiques ayant porté le duo sous les feux de la gloire dans les années 1980 à 1990; des musiques – aucun tube véritable – reconnaissables pour un public fidèle et averti. Au final, à l’aune de leur style musical, Jean-Benoît et Nicolas ne se renouvellent qu’au gré du passé. Une évolution qui suit un sillage bien précis.

Une redécouverte du répertoire

Autrefois questionnés sur leur futur commun, Air communiquait que l’envie d’un nouvel album ne les intéressait pas, insistant sur les énergies de la scène et de l’adrénaline ressentie sur les planches. Aussi car les vraies excursions ne se vivent que dans l’immédiateté. Le duo nécessite de ressentir la connexion des énergies avec son public; il communique, partage et essaime son particularisme. Un caractère constant tout au long de la carrière des deux artistes de 46 ans. Dans cette house filtrée – qui prend en net contre-pied le mouvement de cette dite « French Touch » – Air ménage ses auditeurs en se libérant du beat électro caractéristique des bastringues de boîtes de nuit. Aussi car la volonté n’est certainement pas – du moins pas uniquement – de divertir mais de transcender, d’inviter le musicien et le spectateur à entrer dans la ronde psychédélique de leurs compositions. Mais leur retour à la scène dénote également toute la volonté des deux interprètes à réapproprier leur propres créations. Une manière de traduire leur innovation dans la tradition ? Peu importe… Au final, le voyage se fait sans frein, lancés à rythme effréné dans cette tournée flexueuse qui ne manquera pas de raviver ressouvenance et reconnaissance. Et puis, apprêtons-nous à ne pas toujours toucher terre dans ce recommencement endiablé et imprévisible. De ce fait, Air n’a pas perdu de sa superbe scénique et artistique.

Air au Montreux Jazz Festival. © Lionel Flusin
Air au Montreux Jazz Festival. © Lionel Flusin

Un refuge et subterfuge

L’apport du nouveau batteur Louis Delorme – son jeu de pied sur la grosse caisse par ailleurs – est somme toute et immanquablement importante car l’énergie et le rythme qui le traverse – le transperce même – est à la base de tous mouvements. Il est sensiblement le socle de refrain infernal de cette musique qui s’apprête à nous faire décoller dans les airs, à survoler la chienlit terrienne, à nous précipiter dans cette harmonie et rêve musical qui n’est autre que celui de l’exode. Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin ne se le sont par ailleurs jamais caché: leur musique retient toute une dimension médicinale; cette bulle de refuge face aux violences physiques et sociales qui appartiennent à la réalité de la vie. Avec leurs compositions, le duo ne cherche alors qu’à embastiller les problèmes, les ancrer au sol et prendre l’envol des nouveaux horizons. Un destin scénarisé dans leurs créations qui s’apparente au parcours de Jean-Michel Jarre, duquel artiste le duo a souvent suivi les traces. L’électronique, bien sûr. Voilà donc qu’Air se dope à l’électronique, à leur son psychédélique inextinguible qui nous emporte définitivement dans une autre dimension. Revoici pourquoi le public de l’Auditorium Stravinski n’a pas été dépaysé après le concert détonant d’Anohni. Aussi parce que Jean-Benoît a souvent admiré l’univers et le talent de Daniel Lopatin (plus connu sous son pseudonyme Oneohtrix Point Never), partenaire de scène d’Antony Hegarty ce vendredi premier juillet. Une soirée d’ouverture qui ne manquera pas de faire passer le cantilène électronique telle une véritable musique engagée et qui milite – comme le démontrera à nouveau le compositeur Lyonnais lundi 11 juillet au Stravinski à l’occasion de sa participation à ce 50e Montreux Jazz Festival. C’est ainsi que, pour sa première soirée, le festival a, une nouvelle fois, entériné la tangibilité du « More than Jazz« ; au-delà de l’instrumentalité du bois, le pragmatisme électronique. Une réalité indéniable que promeut tout aussi le Montreux Jazz Festival.